Les plateformes numériques de tourisme sont un levier important pour booster l’offre du Maroc. Il existe une dynamique d’investissement touristique en prévision de la Coupe du monde 2030. Entretien avec Zoubir Bouhoute, expert en tourisme.
Propos recueillis par C. Jaidani
Finances News Hebdo : Quel intérêt pour le Maroc de diversifier ses marchés émetteurs au-delà de l’Europe ?
Zoubir Bouhoute : Depuis quelque temps, le Royaume a amorcé une stratégie de diversification de ses marchés émetteurs afin d’attirer des visiteurs issus de nouvelles régions du monde. La forte dépendance à l’égard du marché européen, qui représente plus de 70% du flux touristique, comporte des risques considérables. Il suffit d’un événement exceptionnel, comme la pandémie de Covid-19, ou de tensions géopolitiques, à l’image de la guerre en Ukraine, pour fragiliser l’ensemble de l’écosystème et entraîner une chute du nombre d’arrivées. Cette dépendance s’explique essentiellement par la proximité géographique : la destination européenne la plus éloignée ne dépasse pas quatre heures de vol du Maroc. À l’inverse, il faut compter environ neuf heures pour relier le Royaume aux Etats-Unis ou à la Chine. Autre facteur déterminant : les marchés européens sont largement desservis par les compagnies à bas coût, alors que ces transporteurs n’opèrent pas sur le long-courrier.
F. N. H. : Il faut donc aussi diversifier les destinations marocaines, car le low cost est concentré sur Marrakech…
Z. B. : Effectivement, cette concentration s’observe à deux niveaux : géographique et territorial. D’un côté, les flux proviennent essentiellement d’un nombre restreint de pays émetteurs; de l’autre, ils se concentrent sur quelques villes marocaines. À elles seules, Marrakech et Agadir totalisent près de 76% des nuitées touristiques. Casablanca, malgré son rôle de hub, demeure davantage une plateforme de transit. La cité ocre, quant à elle, bénéficie d’une capacité d’accueil considérable, aussi bien hôtelière qu’en hébergements alternatifs. Elle jouit également d’un arrière-pays riche et diversifié, propice à la pratique d’un tourisme d’expériences multiples.
F. N. H. : Le Maroc est-il suffisamment préparé sur le plan des infrastructures d’accueil pour la Coupe du monde ?
Z. B. : Si la dynamique d’investissement se maintient, notamment grâce à la charte dédiée qui prévoit une contribution publique pouvant atteindre 30% du montant des projets, les résultats devraient être au rendezvous. Toutefois, il faut souligner que le programme Cap Hospitality accuse un certain retard. Ce dispositif vise à soutenir la modernisation des établissements d’hébergement touristique classés (EHTC) souhaitant engager des travaux de mise à niveau. L’objectif initial était d’atteindre une capacité de 25.000 chambres dès cette année, mais la ministre du Tourisme a récemment évoqué seulement 15.000 chambres opérationnelles d’ici 2025. De nombreux opérateurs ont déjà déposé leurs dossiers dans le cadre du programme, sans avoir encore reçu d’avis favorable.
F. N. H. : Le voyageur moderne est ultra-connecté. Quel rôle peuvent jouer les plateformes numériques comme Booking, Tripadvisor ou Expedia pour accroître le flux touristique vers le Maroc ?
Z. B. : Les opérateurs touristiques marocains ont parfaitement compris l’importance de ces plateformes et y investissent activement. Leur puissance est indéniable, mais elle a aussi son revers. Elles facilitent la visibilité et la vente : Booking, par exemple, consacre des milliards de dollars à la publicité et touche un public mondial. En revanche, elles exposent les établissements aux avis négatifs. Avant de réserver, un voyageur consulte systématiquement les commentaires. Des critiques défavorables peuvent suffire à le détourner d’une offre. D’où la nécessité, pour les professionnels du secteur, d’améliorer constamment la qualité des prestations et de renforcer leur compétitivité. Cela n’exclut pas, bien au contraire, de continuer à miser sur les salons et foires internationaux, véritables vitrines pour la destination Maroc. Ces événements, qui rassemblent aussi bien les professionnels (B to B) que les particuliers (B to C), contribuent à entretenir l’image et la notoriété du pays.
F. N. H. : Le rendement par touriste reste faible par rapport à d’autres destinations comme l’Egypte. Comment l’expliquez-vous ?
Z. B. : Les chiffres du tourisme marocain sont souvent biaisés par l’inclusion des Marocains résidant à l’étranger (MRE). Cela fausse la lecture du séjour moyen et du rendement, puisque la majorité des MRE ne séjourne pas à l’hôtel mais chez des proches ou dans leurs propres résidences. Résultat : le nombre de nuitées payantes s’en trouve mécaniquement réduit. Ainsi, le Maroc a enregistré 17,4 millions d’arrivées touristiques en 2024, contre 15,7 millions pour l’Egypte. Pourtant, ce dernier pays a généré 14 milliards de dollars de recettes, contre 11 milliards pour le Royaume. Pour accroître le rendement, il faut enrichir le produit touristique marocain et encourager des séjours plus longs. Cela passe par le développement d’activités d’animation, de divertissement et d’expériences culturelles. Les investissements hôteliers et de restauration doivent être accompagnés d’offres attractives. Le programme Go Siyaha, bien qu’ambitieux, peine encore à prendre son envol.