Le PLF 2023 instaure d’ici 2026 un taux d’IS de 35% pour les entreprises qui réalisent un bénéfice net égal ou supérieur à 100 MDH.
BAM, CDG, les établissements de crédit ainsi que les compagnies d’assurances et de réassurance devront s’acquitter d’un IS de 40%.
Ces nouveaux taux sont jugés excessifs par certains fiscalistes, dont Hicham Mouchir, économiste et expert-comptable, qui tire la sonnette d’alarme.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : L’une des mesures-phares du PLF 2023 est l’instauration du taux commun de l’IS à 20% à l’horizon 2026, 35% pour les entreprises qui réalisent un bénéfice net égal ou supérieur à 100 MDH et 40% pour BAM, la CDG, les établissements de crédit et les entités évoluant dans le secteur des assurances. Que pensez-vous nous dire de cette réforme de l’IS ?
Hicham Mouchir : Tout d’abord, avant d’aborder la réforme de l’IS sur une durée de 4 ans, il convient d’analyser les hypothèses de base sur lesquelles le gouvernement s’est fondé afin d’élaborer le PLF 2023. Pour l’année prochaine, l’exécutif table, entre autres, sur un taux de croissance de 4%, un taux d’inflation de 2% et un déficit budgétaire de 4,5% du PIB. Au regard de la situation actuelle et du contexte de crise, force est d’admettre que ces prévisions débordent d’ambition et d’optimisme. D’ailleurs, pour l’année 2022, il sera difficile pour l’économie nationale d’enregistrer un taux de croissance de 3% du PIB. Les prévisions du gouvernement relatives au taux d’inflation en 2023 suscitent beaucoup d’interrogations, surtout si l’on sait que le taux d’inflation enregistré en septembre 2022 dépasse 8%, d’après les chiffres officiels du haut-commissariat au Plan (HCP). Pour sa part, Bank Al-Maghrib (BAM) table sur un taux d’inflation de 6,3% pour 2022. A cela, il faudrait ajouter que le taux d'inflation annuel de la zone Euro s’est affiché à 10% en septembre 2022.
Concernant le déficit budgétaire, ce dernier devrait tourner autour de 5,5% du PIB cette année. Tout porte à croire que ce chiffre progressera en 2023 pour culminer entre 6 et 7% du PIB. Pour revenir à la réforme de l’IS, concrétisée par les nouveaux taux que vous avez rappelés, il s’agit d’une recommandation issue des dernières assises fiscales de 2019. L’événement organisé à Skhirat, il y a un peu plus de trois ans, avait mis en exergue, sous forme d’une recommandation, la nécessité de garantir la visibilité fiscale en matière de taux d’imposition d’IS. Le PLF 2023 vient ainsi harmoniser le taux de droit commun de cet impôt direct applicable aux entreprises. En clair, d’ici 2026, les entreprises dont le bénéfice net est inférieur ou égal à 300.000 DH devront payer un taux d’IS à 20% (contre 10% actuellement). Par exemple, les sociétés qui réalisent un bénéfice net supérieur à 1 MDH et inférieur à 100 MDH s’acquitteront également d’un IS à 20% (contre actuellement 31%). La nouvelle réforme est quelque part louable puisqu’elle est de nature à réduire la pression fiscale sur les entreprises dont le bénéfice net est supérieur à 1 MDH. Jusque-là, celles-ci payaient un IS à 31%. Sachant qu’il est important de garder à l’esprit que les entreprises s’acquittent aussi de la taxe sur les dividendes, laquelle devrait aussi baisser pour se situer autour de 10% d’ici 2026 (contre 15% actuellement).
F.N.H. : La réforme de l’IS ne pénalise-t-elle pas davantage les TPE qui réalisent un bénéfice net inférieur ou égal à 300.000DH, et qui devront payer d’ici 2026 un taux de 20% (contre 10% actuellement) ?
H. M. : Il est important de préciser que d’après les données relatives à l’IS, seules 20% des entreprises représentent près de 80% des recettes de l’IS. Ces chiffres montrent que beaucoup de sociétés déclarent une activité déficitaire. Ce qui soustrait celles-ci au paiement de l’IS. Ceci dit, pour les entrepreneurs désirant intégrer le secteur formel et les TPE soucieuses de la conformité fiscale, le fait de payer à terme un IS à 20% peut constituer un obstacle de taille. D’où la pertinence de revenir au barème progressif de l’IS qui assure davantage d’équité fiscale, notamment pour les TPE constituant la catégorie d’entreprises la plus fragile au Maroc. Il est clair que le taux réduit d’IS de 10% (supprimé par le PLF 2023) a poussé beaucoup d’entrepreneurs à être identifiés par le fisc. Aujourd’hui, il n’est pas illusoire de penser que ceux-ci risquent de reconsidérer leurs décisions en basculant dans l’informel à nouveau. A mon sens, il serait plus judicieux d’allonger la période de transition de quatre années. Et ce, afin de permettre aux TPE de mieux se préparer et «digérer» la nouvelle augmentation de l’IS dont le taux est appelé à doubler pour cette catégorie d’entreprises.
F.N.H. : Toujours au chapitre de la taxation des entreprises, le PLF 2023 maintient la contribution sociale de solidarité des entreprises jusqu’en 2025. La reconduction de cet impôt est-elle justifiée ?
H. M. : Tout d’abord, il faut dire que cette mesure était attendue. La situation internationale est toujours dégradée par le conflit en Ukraine et dont les conséquences les plus manifestes sont la flambée des prix des matières premières et ceux des produits alimentaires et énergétiques. Cette donne entretient le contexte inflationniste à l’échelle nationale et internationale. Au Maroc, l’on remarque également que les conséquences de la crise liée à la covid19 sont toujours d’actualité, comme en témoigne la multiplication des entreprises en difficulté. Il est tout à fait normal qu’en période de crise, les entreprises qui s’en sortent le mieux contribuent davantage au paiement de l’impôt. D’autant que les besoins de la collectivité à financer par les recettes publiques augmentent. Ceci dit, l’Etat, à travers le PLF 2023, devrait donner un signal fort en matière de soutien au pouvoir d’achat des salariés, notamment les moins nantis, par le truchement de la baisse de l’impôt sur le revenu (IR). Une révision de l’IR à la baisse s’apparenterait à une forme de redistribution de richesse plus que jamais nécessaire. Pour preuve, les derniers chiffres du HCP portant sur l’impact de la Covid-19 et la hausse des prix sur les ménages, confirment l’accroissement des inégalités et la dégradation du niveau de vie des ménages marocains. La baisse de l’IR est une demande pressante des syndicats et des salariés.
F.N.H. : D’ici 2026, BAM, la CDG, les établissements de crédit ainsi que les compagnies d’assurances et de réassurance devront s’acquitter d’un IS avec un taux marginal de 40%. Ne jugez-vous pas ce taux excessif, voire confiscatoire ?
H. M. : Globalement, je trouve deux taux d’IS élevés, même s’ils ne seront effectifs qu’à partir de 2026. A mon sens, il est plus judicieux de ramener le taux de 35% à 30% pour les entreprises qui réalisent un bénéfice net supérieur ou égal à 100 MDH et remplacer le taux de 40% par celui de 35%. Sachant que les entités dont vous faîtes mention payent déjà un IS élevé de 37%. Il faut savoir que parmi les banques qui exercent au Maroc, certaines sont des filiales d’entités étrangères. L’augmentation du taux d’IS à 40% pourrait amener ce type d’établissements de crédit à recourir à une forme d’optimisation fiscale afin de payer moins d’impôt. Cela est également valable pour les multinationales installées au Maroc et qui réalisent un bénéfice net supérieur ou égal à 100 MDH. Celles-ci pourraient être tentées de recourir à plusieurs pratiques leur permettant de ne pas atteindre ou dépasser le seuil de 100 MDH de bénéfice net. En définitive, j’espère que ces taux élevés par rapport à ceux appliqués dans plusieurs pays, seront revus à la baisse grâce à l’introduction d’amendements au niveau des deux Chambres du parlement.
F.N.H. : Le PLF 2023 prévoit la baisse de la cotisation minimale des entreprises à 0,25%. Comment accueillez-vous cette nouvelle mesure ?
H. M. : Cette disposition est une application d’une recommandation des assises fiscales de 2019. Tout le monde s’accorde sur le fait que la cotisation minimale est un impôt qui ne devrait pas exister au Maroc. En vertu de la Constitution marocaine, chaque contribuable doit s’acquitter du paiement de l’impôt en fonction de sa capacité contributive. L’instauration de la cotisation minimale est une violation de ce principe constitutionnel. En conséquence, d’ici 2026, la cotisation minimale doit être supprimée. Parallèlement à cette mesure, le contrôle des entreprises qui déclarent régulièrement un résultat déficitaire doit être renforcé. Grâce aux nouvelles technologies et la disponibilité de la data, l’administration fiscale a les moyens de muscler le contrôle en la matière.