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L’intégration financière, de l’Asie à l’Afrique

L’intégration financière, de l’Asie à l’Afrique

 

 

Par Omar Fassal *

 

La Chine serait sur le point d’interdire la cotation de ses grandes entreprises à l’étranger. L’information, qui a fuité dans un grand média financier spécialisé, a été aussitôt démentie par le régulateur chinois. Mais on sent tout de même toute la gêne suscitée à Pékin par ces cotations.

Des incidents, il y en a eu. Ant Group, qui détient Alipay, la plus grande plateforme de paiement en ligne et mobile en Chine, était sur le point de réaliser l’introduction en Bourse la plus importante de l’histoire aux Etats-Unis : 35 milliards de dollars – dépassant le record de 29,4 milliards détenu par Saudi Aramco. Mais les autorités chinoises en ont décidé autrement, elles ont bloqué l’opération. Un autre exemple, celui de Didi – l’équivalent de Uber en Chine qui réalise 25 millions de courses par jour (Oui par jour !).

Malgré les avertissements du régulateur chinois, Didi a insisté pour s’introduire en Bourse à New York. Quelques mois après, une enquête a été ouverte par l’administration chinoise de cyberdéfense contre Didi. Les autorités ont exigé que l’entreprise se retire de la Bourse américaine. Didi envisage d’échanger les titres détenus par les investisseurs étrangers, contre de nouveaux émis à la Bourse de Hong Kong. On l’aura compris, les autorités chinoises sont de plus en plus réticentes à laisser des fleurons technologiques s’introduire en Bourse à l’étranger. Pourquoi ? Car, au-delà des rivalités géopolitiques sino-américaines qui valsent au rythme des différentes administrations, le sujet de protection des données devient extrêmement sensible. Les entreprises technologiques chinoises qui ont réussi, détiennent des milliards de données sur la vie privée des consommateurs.

L’administration chinoise considère ces données comme stratégiques, et perçoit dans ces introductions en Bourse un risque de fuite des données qui porterait atteinte à la sureté nationale. Désormais, l’administration de cyberdéfense chinoise requiert aux entreprises qui détiennent des informations sur plus d’un million de clients, d’obtenir un agrément avant de pouvoir s’introduire en Bourse à l’étranger. Concrètement, des secteurs comme la technologie sont interdits aux investisseurs étrangers. Mais en 2000, une entreprise du nom de Sina Corp, qui opère dans les médias, a trouvé la parade en mettant en place un montage qui deviendra la norme par la suite.

Une banque d’affaires crée une coquille juridique vide (nommée Variable Interest Entity ou VIE) domiciliée typiquement aux Iles Cayman ou dans les Iles Vierges britanniques, qui va recueillir les fonds des investisseurs étrangers. Comme cette coquille ne peut pas acheter la compagnie chinoise, elle va signer un contrat juridique avec la cible, qui lui donne droit aux revenus et à l’usage de ses actifs. Notez bien la différence : la coquille ne détient pas les actifs chinois qui ne relèvent pas de sa propriété, elle dispose uniquement du droit de les utiliser. C’est avec ce montage de VIE, que toutes les grandes entreprises chinoises ont pu lever des fonds à l’étranger alors que cela leur était interdit.

De Ali Baba, mastodonte du commerce en ligne, à Tencent, géant de l’Internet. Les autorités ont toléré cette pratique, qui a permis plus de 300 introductions étrangères portant sur 82 milliards de dollars lors de la dernière décennie. Pourquoi  ? Car l’intégration financière est un moteur pour le développement. Il ne s’agit donc pas pour les autorités chinoises de les arrêter complètement, mais de les filtrer en raison des nouveaux impératifs de cybersécurité.

Une leçon qui résonne chez nous en Afrique, à l’heure où s’est conclue à Casablanca la conférence annuelle de l’African Securities Exchanges Association (ASEA), avec une promesse phare  : agir pour l’intégration de 7 Bourses africaines (Casablanca, Egypte, Johannesburg, Nairobi, Nigeria, Maurice, et la Bourse régionale des valeurs mobilières). Ce projet est louable, car l’intégration financière va de pair avec le développement économique. Plusieurs défis se posent pour réussir ce projet. Commençons du plus simple au plus complexe. Il y a d’abord le défi technologique : concevoir une solution fiable, agile et robuste pour gérer les carnets d’ordres en temps réel sur plusieurs pays.

C’est l’étape la plus simple. Il y a ensuite le défi réglementaire. Pour qu’un émetteur puisse lever des fonds sur plusieurs pays simultanément, il faudrait que la réglementation des émetteurs soit harmonisée sur l’ensemble des pays. Pour que des courtiers puissent intervenir de façon simultanée sur plusieurs marchés, il faudrait que les conditions d’agrément soient mutualisées, comme l’est le passeport européen pour les banques et les services financiers en zone Euro. Il y a ensuite un autre défi moins visible, mais qui pourrait agir comme un grain de sable et bloquer tout le mécanisme. Il s’agit de la convertibilité de change. Il faudrait que les investisseurs aient la possibilité de souscrire aux émissions en monnaie étrangère, en toute fluidité. Les zones les plus intégrées financièrement sont celles qui disposent d’une monnaie commune, ce qui balaye les frictions au niveau des échanges.

Enfin, le dernier défi et le plus difficile est celui qui nécessite un travail sur le long terme. L’intégration financière reste tributaire de l’intégration économique. Si les économies ne sont pas fortement intégrées par des échanges solides, les entreprises ne ressentiront pas le besoin de lever des fonds dans des pays voisins. Selon l’Africa Regional Integration Index, l’Afrique affiche une intégration continentale très faible au niveau commercial, et moyenne au niveau macroéconomique. Toujours selon ce classement, l’Afrique affiche les taxes à l’importation et les barrières non douanières les plus élevées au monde. Réussir l’intégration financière nécessitera de renforcer l’intégration économique Sud-Sud, en développant un marché harmonisé des biens et des services. 

 

(*) : Omar Fassal travaille à la stratégie d’une banque de la place. Il est l'auteur de trois ouvrages en finance et professeur en Ecole de commerce. Retrouvez-le sur www.fassal.net.

 

 

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