Facturation électronique, ICE, contrôles fiscaux, nouveau Code général des impôts, etc. : la fiscalité est au cœur de l’actualité économique en ce début d’année 2019.
Rachid Seddik Seghir, expert-comptable et fondateur du cabinet Seddik et Associés, nous livre son diagnostic sur la question fiscale au Maroc et propose des pistes d’amélioration.
Finances News Hebdo : Les recettes issues de l’IR professionnel sont en deçà du potentiel de cette catégorie d’impôt. Le Fisc devrait intensifier le contrôle des professions libérales. Que vous suggère cette nouvelle donne ?
Rachid Seddik Seghir : Le principe de base est que tout le monde doit contribuer à l’effort fiscal, et pas uniquement les professions libérales qui font une déclaration spontanée. Cette pratique n’est que l’émanation de la loi fiscale votée par le Parlement de notre pays.
A mon sens, le Fisc est dans son rôle, car le corollaire de la déclaration spontanée est le contrôle. Un contribuable est libre de déclarer ce qu’il veut. En revanche, l’administration fiscale, qui grâce à la déclaration spontanée et la puissance de l’outil informatique, s’est déchargée d’une série de tâches (saisie des données), a pour vocation à effectuer le contrôle, facilité par le croisement des données.
Il est également utile de souligner que le contribuable est de plus en plus armé pour maîtriser sa fiscalité et réduire le risque fiscal avec Génitax (Voir page 32). Le risque fiscal découle, entre autres, de la mauvaise interprétation d’une disposition de loi.
F.N.H. : En tant que professionnel, quelle analyse faites-vous de l’actualité liée à la facturation électronique qui défraye la chronique ?
R. S. S. : Cette actualité me suggère une double lecture. Le premier aspect a trait à la régularité et la conformité de la loi. Tout le monde doit être traité de la même façon sur le plan fiscal. Quant à l’application de la loi, force est de reconnaître qu’il peut y avoir un certain nombre de contraintes, notamment pour les «petits commerçants» qui, faut-il le rappeler, ne sont pas concernés par cette mesure spécifique.
Le «petit commerçant» aurait du mal, par exemple, à laisser son travail pour se livrer à d’autres activités administratives, pas toujours rentables financièrement, notamment les démarches pour l’obtention de l’identifiant commun des entreprises (ICE).
Le deuxième aspect sous-jacent à la question m’amène à dire que le secteur privé souffre. Les contribuables les plus contrôlés au Maroc sont ceux qui font leur déclaration au Fisc. Le plus grand problème est que les entreprises évoluent dans un marché peu structuré, dominé par l’informel. Le quotidien des entreprises est parfois difficile, car celles-ci ont parfois pour interlocutrices des entités incapables de fournir ne serait-ce qu’une facture ou un ICE.
J’estime que la question de la facturation électronique et celle de l’intégration de l’informel au formel doivent être analysées de façon intelligente, de telle sorte à limiter les contraintes pesant sur les populations cibles. L’exemple du système de l’auto-entrepreneur est éloquent. Ce statut moins contraignant sur le plan administratif et qui allège la pression fiscale sur l’auto-entrepreneur, a marché au Maroc. Cette mesure a permis d’amener progressivement les porteurs de projet et les petites structures vers le secteur formel.
F.N.H. : Quelles sont vos attentes pour le nouveau Code général des impôts qui devrait être présenté en mai en 2019 ?
R. S. S. : Les initiateurs du nouveau Code général des impôts (CGI) doivent aller davantage dans le sens de la simplification de la loi fiscale. Il faut savoir qu’au Maroc, l’IS qui concerne la grande entreprise et la PME est moins complexe que l’IR afférent aux personnes physiques par exemple. Ceci dit, la recherche de la simplification et celle de la forfaitisation constituent aussi des terreaux pour l’injustice fiscale.
L’enjeu du nouveau CGI est d’introduire plus d’équité dans la pression fiscale. A revenu égal, impôt égal. D’où l’impératif d’éviter de faire l’impasse sur les règles de déclaration sur la base de la comptabilité.
L’autre attente concerne le renforcement de la digitalisation des procédures (télédéclarations, télépaiements, etc.). Le Maroc a tout de même fait un grand bond en la matière. Il est précurseur dans le domaine de la digitalisation des procédures fiscales. Nous n’avons rien à envier aux pays développés. Aujourd’hui, des efforts de sensibilisation et de vulgarisation doivent être déployés afin que le recours au digital en matière d’impôt soit une culture bien ancrée dans notre pays.
F.N.H. : Enfin, que répondez-vous aux patrons de PME estimant que l’entreprise marocaine est trop taxée ?
R. S. S. : Je nuance ces propos car, à mon sens, l’entreprise marocaine n’est pas trop taxée, même s’il faut reconnaître quelque part que l’Etat est actionnaire dans les entreprises, et ce sans risque et sans investissement. Celui-ci se sert en premier à travers les impôts. Même les entreprises qui ne dégagent pas de bénéfice s’acquittent de la cotisation minimale.
Par ailleurs, il est utile de rappeler que la fiscalité n’a jamais été un élément entravant pour la décision d’investir. Les salaires, le prix de l’énergie et d’autres facteurs sont généralement beaucoup plus importants que le coût fiscal.
En définitive, la baisse de la pression fiscale passera par la généralisation de l’impôt (élargissement de l’assiette fiscale) avec, en prime, la réduction des taux d’imposition. Aujourd’hui, il est nécessaire que tous les secteurs participent à l’effort fiscal. Une conditionnalité pour la hausse des recettes publiques. ◆