Envolée des prix Bitcoin, approbation des ETF Bitcoin, adhésion croissante des Marocains, nouvelle règlementation et projet de création d’une CBDC par BAM… Plongée dans l'actualité des cryptomonnaies aux côtés de Badr Bellaj, expert en Blockchain et cryptomonnaies et cofondateur de «Mchain».
Propos recueillis par Y. Seddik
Finances News Hebdo : La flambée des prix du Bitcoin depuis octobre dernier a été spectaculaire. Quelles sont les forces motrices derrière cette forte hausse ?
Badr Bellaj : La récente flambée des prix du Bitcoin peut être attribuée à deux facteurs distincts. Tout d'abord, les marchés ont réagi positivement aux dernières statistiques qui montrent une baisse continue de l'inflation, qui a mécaniquement influencé l’ensemble des marchés financiers. Cependant, le deuxième facteur, et de loin le plus important, est lié à l'anticipation de l'approbation future d'un ETF Bitcoin. Les investisseurs ont pricé cette anticipation dans la valeur de la cryptomonnaie et ont augmenté ainsi leurs achats. Cela s'aligne avec la célèbre expression en anglais «You buy the rumors and sell the news» (on achète les rumeurs et on vend les nouvelles). En parallèle, l'événement déclencheur de cette tendance réside dans l’échec de la Securities and Exchange Commission (SEC) lors d'un procès l'année dernière contre le géant Grayscale. Cela s'est produit après que l'autorité a initialement rejeté la demande de Grayscale de transformer son fonds bitcoin en un ETF bitcoin au comptant. Le tribunal a critiqué la SEC en soulignant le manque d'explications claires derrière le rejet de la demande d'ETF Bitcoin spot de Grayscale. Cette décision a donc contraint la SEC à reconsidérer sa position sur cette question, ce qui a ouvert la voie à des anticipations plus positives dans le marché.
F.N.H. : L'approbation récente des ETF Bitcoin par la SEC lui confère une légitimité et une crédibilité en tant qu'actif d'investissement. Comment cette décision pourrait-elle influencer et remodeler le paysage actuel des cryptomonnaies ?
B. B. : Il faut dire que l'approbation des ETF Bitcoin par la SEC pourrait avoir trois impacts majeurs. Tout d'abord, elle pourrait élargir le bassin des investisseurs en attirant de nombreux particuliers grâce à la puissance marketing des opérateurs d'ETF et en stimulant ainsi la demande de Bitcoin. Deuxièmement, la révision de la position de la SEC ne se résume pas à une simple légitimation, mais suggère une disposition des acteurs financiers à faire des compromis pour des gains financiers et ouvrir ainsi la porte à une possible conversion d'autres acteurs vers des schémas financiers complexes impliquant Bitcoin. Troisièmement, cette approbation pourrait avoir des répercussions sur la future réglementation de Bitcoin. Elle constitue un signal positif qui pourrait servir de référence dans d'éventuels litiges liés à des schémas financiers basés sur Bitcoin ou la finance décentralisée. En somme, l'approbation des ETF Bitcoin par la SEC pourrait favoriser une augmentation de l'adoption de Bitcoin, encourager des utilisations plus complexes dans le secteur financier et contribuer à l'intégration progressive de Bitcoin dans le cadre réglementaire. Bien que cette approbation ne constitue pas une légitimation complète de Bitcoin, elle représente une atténuation de la position traditionnelle qui considérait Bitcoin comme un actif toxique. La SEC et d'autres acteurs financiers demeurent sceptiques, surtout face aux risques de volatilité associés à Bitcoin. L'acceptation de l'ETF est vue comme une concession pragmatique pour opérer dans le cadre financier des États-Unis, sans nécessairement refléter un changement radical de perspective. Aujourd’hui, les fournisseurs d'ETFs rejoignent l'espace Bitcoin principalement pour les opportunités de profit plutôt que par conviction idéologique dans la décentralisation de Bitcoin. Quoi qu’il en soit, l'approbation de l'ETF Bitcoin représente une adaptation aux règles financières et une reconnaissance nuancée de Bitcoin en tant qu'actif risqué, sans nécessairement signifier une adhésion totale de l'establishment financier.
F.N.H. : Malgré l'absence d'un cadre réglementaire, le Maroc se classe dans le top 20 mondial en termes d'adoption des cryptomonnaies. Quels facteurs contribuent à cette position élevée et comment les utilisateurs naviguent-ils dans cet environnement non réglementé ?
B. B. : Pour répondre votre question, il est important de souligner que le Maroc présente une particularité dans ce sujet : la jeunesse marocaine est fortement attirée par les cryptomonnaies, en particulier le bitcoin, et cela s'explique par divers facteurs. Tout d'abord, de nombreux jeunes voient le bitcoin comme un moyen d'investissement pour améliorer leur situation financière. Certains l'utilisent également pour des paiements internationaux pour contourner ainsi les limites existantes. Pour ceux qui n'ont pas accès aux services bancaires, le bitcoin offre une alternative de paiement. De plus, il est utilisé pour des transferts transfrontaliers en raison de ses frais réduits, et certains jeunes le choisissent pour recevoir des paiements liés à leurs activités en ligne et bénéficient de coûts très bas comparés aux alternatives actuelles. En quelque sorte, le Bitcoin devient une solution aux multiples problèmes (ou restrictions) financiers auxquels les jeunes au Maroc sont confrontés. Ces défis spécifiques auxquels les jeunes font face, combinés à une forte exposition à la technologie, contribuent à rendre le Bitcoin largement adopté au Maroc.
F.N.H. : En quoi la nouvelle législation envisagée par BAM pourrait-elle résoudre les défis actuels et favoriser un environnement plus sécurisé pour les utilisateurs de cryptomonnaies au Maroc ?
B. B. : La nouvelle législation envisagée par Bank Al-Maghrib (BAM) suscite des discussions sur la manière dont elle pourrait résoudre les défis actuels liés aux cryptomonnaies au Maroc, tout en favorisant un environnement plus sécurisé pour les utilisateurs. Le wali de BAM a explicitement exprimé l'intention de réglementer les cryptomonnaies, soulignant la prise en considération des directives du G20. Il est noté que de nombreux pays, en particulier en Europe avec la régulation ‘MICA’ (Market in Crypto Assets), ont déjà établi des règles précises pour encadrer les cryptomonnaies. Le Maroc, en adoptant ces normes à son contexte spécifique caractérisé par l'absence de convertibilité du Dirham et des contraintes liées aux règles de change, s'inscrit dans une démarche de convergence avec les pratiques internationales. Toutefois, j’estime que le manque de transparence qui entoure l'élaboration de ces règles suscite des inquiétudes. Il est important d’inclure le consommateur dans le cœur du processus d’établissement de ces règles qui se déroule derrière des «portes fermées». Bien que l'objectif affiché soit la protection du consommateur, l'accent doit être mis sur la nécessité d'assurer une réglementation qui ne se transforme pas en une interdiction déguisée des cryptomonnaies. On espère que la législation qui en découlera sera favorable pour clarifier les droits et obligations des investisseurs en cryptomonnaies. Il est essentiel de mettre en place un cadre qui définisse clairement le statut des cryptomonnaies, que ce soit en tant que moyen de paiement, actif financier, ou autres. Ainsi, le régulateur est appelé à réaliser un travail approfondi pour créer un cadre législatif équilibré, différent des autres pays en raison de son contexte unique, tout en évitant une régulation inadéquate qui pourrait entraver le développement positif des cryptomonnaies dans le pays.
F.N.H. : En collaboration avec le FMI, Bank Al-Maghrib progresse activement dans son projet de création d’un CBDC. Quelles sont les implications prévues sur la cryptosphère et pour l'économie en général, et de quelle manière cette collaboration stratégique avec le FMI renforce-t-elle la viabilité et la stabilité de ce projet innovant ?
B. B. : Pour aborder la question de la Central Bank Digital Currency (CBDC), il faut comprendre que cette dernière ne signifie pas nécessairement une cryptomonnaie, et son impact direct sur la cryptosphère peut être limité. La création d'une CBDC représente simplement une version digitale du Dirham, gérée par la Banque centrale, sans forcément affecter directement l’utilisation ou l’adoption des cryptomonnaies. La participation du FMI ou de la Banque mondiale dans ce projet est compréhensible, car ces entités sont actives dans des projets similaires et peuvent apporter leur expertise à la Banque centrale. En revanche, la décision finale devrait être prise par la Banque centrale marocaine, en tenant compte de ses propres intérêts et du contexte unique du Maroc. Il est souligné que les recommandations du FMI, basées sur des schémas singapouriens ou européens, peuvent ne pas nécessairement convenir à l'économie marocaine, qui est distincte. Il est intéressant que le Maroc bénéficie de l'expertise du FMI tout en prenant les rênes du projet de CBDC de manière autonome.
La confidentialité des Marocains doit être respectée en évitant tout outil de traçabilité, compte tenu des problèmes de confiance qui existent dans notre pays. L'objectif de la CBDC est au final d'offrir des avantages tels que rapidité, sécurité, accessibilité et facilité. La solution CBDC devrait être conçue de manière à ne pas reproduire les difficultés rencontrées par la solution du paiement mobile qui, malgré d’importants investissements mobilisés, ne connaît pas l’engouement escompté par les autorités. Pour conclure, la question de l'utilisation préférentielle de la cryptomonnaie par les Marocains, malgré les restrictions, doit être examinée attentivement. Cela soulève des interrogations sur l'adoption plus faible du Mobile Money, même avec des efforts de marketing et d'investissement. Ce phénomène incite à réfléchir à une approche libérale qui offre plus de liberté à la jeunesse, tout en réglementant de manière appropriée, sans succomber à une mentalité restrictive.