La tenue des réunions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international dans la ville ocre a eu un impact indéniable sur l’image du Maroc.
Sans le soutien des organisations financières internationales, le Maroc ne serait pas parvenu à développer son économie, et cela depuis son indépendance.
Entretien avec Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich, juge près la Cour internationale de résolution des différends «Incodir» à Londres, arbitre en ingénierie et consultant international de l’audit auprès de l'Ordre mondial des experts internationaux à Genève.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Quel bilan faites-vous des Assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI tenues à Marrakech ?
Me Abdelhakim El Kadiri Boutchich : Le bilan que je peux dresser à titre indicatif et non exhaustif à l’issue des Assemblées générales 2023 du FMI et de la BM, retrace une nouvelle stratégie financière, économique, sociale, éducative, touristique et environnementale, à savoir :
• Des réformes structurelles propices à la croissance pour renforcer la gouvernance, l’État de droit, le commerce et l’environnement des affaires afin d’attirer de nouveaux investissements et créer des emplois.
• La diversification des sources financières en stimulant la mobilisation des ressources intérieures, les ressources à faible coût et les ressources des donateurs; promouvoir les investissements directs étrangers et le financement du secteur privé et améliorer l'efficacité des dépenses publiques.
• Combattre l’instabilité en mettant efficacement en œuvre des mécanismes de soutien aux pays en situation d’instabilité ou de conflit, tout en s’attaquant aux causes profondes des pénuries alimentaires et énergétiques mondiales.
• Renforcement des capacités institutionnelles en créant des cadres institutionnels et politiques publics plus solides, avec le soutien des organisations internationales.
• Amélioration de la gestion et la liquidation de la dette extérieure et intérieure, tout en rendant le processus de restructuration de la dette plus efficace et plus rapide.
• Une éducation équitable et de haute qualité pour soutenir les efforts mondiaux pour le bien commun.
• Inciter l'égalité des sexes pour accroître et faciliter les opportunités économiques des femmes, leur autonomisation et la reconnaissance de leur leadership.
• Une transition verte grâce à un effort déterminé de tous les pays pour contribuer à décarboner leurs économies conformément aux principes de l’Accord de Paris, tout en garantissant la sécurité de l’approvisionnement énergétique pendant la période de transition.
• L’accompagnement des évolutions techniques pour prévenir la fragmentation numérique, faciliter les systèmes de paiement, moderniser l'inclusion financière et harmoniser les réglementations internationales pour protéger les cryptoactifs, développer les données, la cybersécurité et l'intelligence artificielle.
En effet, les CEO des deux organismes ont été agréablement surpris par l’organisation très avancée de cet évènement. Force est de constater que le Maroc possède une structure économique remarquable par rapport aux années précédentes, accentuée par une stratégie d’investissement sécurisée et attrayante. Néanmoins, d'après le FMI, le Maroc est candidat à l’étalon-or réservé aux économies émergentes avancées. Par conséquent, il faut instaurer une nouvelle charte financière internationale pour sauver les pays les plus pauvres. Cette initiative permet une expansion économique et la création de l'autosuffisance, surtout en matière agricole. Car les tensions aggravantes dans le monde, notamment au Moyen-Orient et en Ukraine, provoqueront sans doute une hausse des prix du pétrole qui va avoir une incidence sur le coût exercé par les pays non producteurs, surtout les céréales. Du coup, le Maroc doit tirer la leçon de cette crise pour se pencher davantage vers la création d’une autosuffisance céréalière.
F.N.H. : Plusieurs personnalités et institutions internationales ont salué «l'excellente» organisation par le Maroc des Assemblées annuelles BM-FMI. Quel impact aura-t-elle sur l'image du pays en général ? Et quelle est l'importance de l'accueil d'un évènement d'une telle ampleur ?
Me A.E.K.B : Les assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI) au Maroc constituent un événement important pour tous les pays africains, puisqu’il consolide la réputation du Maroc sur la scène mondiale. Cet effort est considérable à bien des égards. Ainsi, il aura sans aucun doute un impact positif sur plusieurs secteurs de l’économie nationale, ainsi que sur la perception générale du Maroc au niveau international. L’importance de l’accueil d’un tel évènement offre à notre pays une excellente opportunité de donner un nouvel élan à l’événementiel. Aussi, il ouvre une large porte vers la coopération et l’appui des partenariats économiques avec divers groupes et organisations internationaux.
F.N.H. : Des sujets importants ont été abordés lors des assemblées : contributions du secteur privé, éducation, insertions économiques des femmes, investissement privé, capital humain, climat… Comment le Maroc s’inscrit-il dans cette dynamique de réformes ?
Me A.E.K.B : Le Maroc a participé à toutes les questions portant sur l’ordre du jour des deux assemblées. Le gouvernement marocain a justifié à l’ensemble des participants qu’il est bien avancé dans sa stratégie de développement, notamment sur le plan économique par la mise en place d’une nouvelle charte d’investissement apportant un soutien de taille aux projets d’investissement et prévoyant d’importantes incitations à l’investissement. Ces dernières sont liées à la réalisation des objectifs en termes de création d’emplois et de valeur, d’égalité des sexes, de développement durable et d’équité entre les régions ainsi que la politique environnementale. Cette dynamique structurelle a convaincu les deux organismes financiers à donner de l’importance au Maroc et à le doter de tous les moyens pour surmonter les contraintes qui pourraient freiner ses aspirations à court et moyens terme. Les dirigeants de ces organismes financiers considèrent que le Maroc est une porte qui s’ouvre pour le développement de l’Afrique. Le Maroc fait partie de la dynamique structurelle de la Banque mondiale et du FMI, vu que les autorités ont pris certaines mesures depuis 2020, dont voici un aperçu :
• Mesures de soutien à court terme pour relever les défis. Une série de transformations a été entamée.
• Un nouveau modèle de développement qui comprend une série de réformes visant à améliorer l'environnement, le développement social et économique et l’accélération de la croissance économique.
Une proposition qui comprend l’objectif à atteindre en 2035 a été mesurée à partir d'une quinzaine d'indicateurs. Des besoins de développement ont été identifiés. Ainsi, les principaux leviers comprennent : les demandes de protection sociale; la volonté de soutenir la production et la demande locales; entretenir des relations distinguées avec l’Europe et obtenir un groupe diversifié de partenaires commerciaux de valeur; et les défis climatiques, dont la transition verte et la décarbonation des chaînes.
F.N.H. : L'Afrique a été au centre des discussions lors des travaux de ces Assemblées. Que pensezvous de l'engagement de ces deux institutions pour le continent ?
Me A.E.K.B : L’Afrique est au centre des discours et de l’attention de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui ont exprimé la volonté d’améliorer les financements, notamment pour ce qui suit :
• La crise climatique devenant de plus en plus urgente, le monde doit prendre des mesures immédiates pour atteindre les objectifs climatiques. Il s’agit d’explorer des moyens innovants permettant d'impliquer le secteur privé et les pays en développement en mettant en œuvre des politiques qui accélèrent une croissance résiliente et à faible intensité de carbone, contribuant ainsi à l'amélioration de la qualité de vie des populations, en plus d’attirer davantage de militants pour le financement climatique.
• La Banque mondiale aide les gouvernements à mobiliser des ressources pour la transformation numérique, adopter de nouvelles technologies et développer des cadres politiques et réglementaires numériques plus efficaces. Elle cherche de plus en plus à intégrer les technologies numériques et le secteur de l’énergie.
• Renforcer les systèmes de santé et créer des mécanismes mondiaux pour garantir un accès équitable aux vaccins et à la médecine.
• Promouvoir une éducation équitable de qualité et soutenir les efforts mondiaux dans ce sens pour offrir des opportunités éducatives et élargir l'accès à l'éducation au plus grand nombre. De la maternelle à l'école primaire et l’enseignement secondaire, améliorer la qualité de l’enseignement et assurer l’apprentissage en classe. • Promouvoir l'égalité des sexes, augmenter et améliorer les opportunités économiques des femmes et leur donner les moyens d'agir. L’égalité est urgente tant moralement qu’économiquement. Mais atteindre ces objectifs représente un défi particulièrement difficile et complexe. C’est pourquoi toutes les parties prenantes devraient travailler ensemble afin d’œuvrer pour accélérer l’égalité des sexes et construire un monde plus pacifique, plus prospère et plus vivable.
• Renforcer le système monétaire international, ses règles, accords et institutions pour répondre aux besoins des pays et faciliter les échanges et les paiements, sans oublier les investissements internationaux.
• Consolider le système commercial multilatéral pour qu’il soit fondé sur des règles non discriminatoires, équitables et justes et qu'il soutienne la coopération et la croissance économiques mondiales. Qui plus est, ledit système devrait être ouvert, inclusif, durable, transparent et doté d’un mécanisme efficace de règlement des différends.
• Les institutions monétaires internationales sont encouragées à ne pas compter uniquement sur les fonds publics, mais selon les calculs du FMI, il est nécessaire de redoubler d'efforts dans le secteur privé, en ce qui concerne les économies émergentes et en développement.
Les patrons de la Banque mondiale et du FMI, respectivement Ajay Banga et Kristalina Georgieva, entendent appeler le secteur privé à contribuer davantage, notamment pour atteindre les objectifs climatiques de 2050, et les objectifs de neutralisation en fournissant les investissements nécessaires. Dans un contexte d’incertitude économique et d’aggravation des crises transfrontalières, le besoin
d’un financement mondial pour atteindre les objectifs de développement durable est plus important que jamais. Seule une petite partie du capital total détenu par les institutions financières privées est dirigée vers les économies émergentes et en développement. Les Banques mondiales, les investisseurs institutionnels et les gestionnaires d’actifs gèrent plus de 400.000 milliards de dollars d’actifs, soit plusieurs fois le capital des Banques mondiales de développement réunies.
• Investir dans le capital humain signifie doter les gens de connaissances et de compétences qui leur permettront d’occuper actuellement des postes et de créer des emplois dans l’avenir. Les Assemblées annuelles (AGA) des deux organismes financiers explorent des solutions pour promouvoir la création d'emplois et l'entrepreneuriat inclusif. Ensemble, imaginons un avenir dans lequel davantage de personnes évolueront dans un environnement favorable leur permettant non seulement de vivre dignement, mais surtout de libérer leur plein potentiel.
F.N.H. : La ministre de l'Economie et des Finances, Nadia Fettah, a récemment affirmé que le Maroc a réussi à utiliser efficacement ses partenariats avec les institutions financières internationales pour soutenir sa croissance. Partagez-vous cet avis ?
Me A.E.K.B : C'est incontestable. Je partage l'avis de la ministre de l’Economie et des Finances, sinon on n’aurait pas l'occasion d'organiser la tenue des assemblées BM et FMI. Sans le soutien des organisations financières internationales, le Maroc ne serait pas parvenu à développer son économie, et cela depuis son indépendance. C'était une opportunité importante pour le gouvernement de faire une véritable présentation physique avec ces opérateurs. La question de l’investissement au Maroc est toujours sur le devant de la scène des AGA du FMI et de la BM, confirmée positivement par les participants. Il faut affirmer aussi que tout risque lié au Maroc est en chute, vu que beaucoup d’investisseurs se sont lancés dans des projets diversifiés (infrastructures, technologie, intelligence artificielle, grandes industries…). Et que notre pays a instauré le règlement des conflits par l’arbitrage à travers des institutions de haut niveau comme la Cour internationale du règlement des conflits Incodir à Londres, la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale à Paris (CCI), le Centre de règlement d'investissement international (CIRDI) et bien d’autres. D’après la ministre, si nous possédons un portefeuille solide de projets, nous pouvons trouver des financements auprès de partenaires. La stabilité politique et économique est essentielle pour attirer les investisseurs étrangers, qui cherchent des marchés stables et prévisibles. Les gouvernements des marchés émergents doivent garantir la stabilité politique. Selon les managers des deux institutions financières, la diversification de l'économie marocaine donne aux générations futures une chance d'amortir les chocs qui les attendent. A noter que le Maroc occupe une position particulière sur le continent auprès des institutions de Bretton Woods.
F.N.H. : Concernant la réforme du système financier international, des responsables africains ont plaidé à Marrakech pour l'allègement de la dette lors des Assemblées. Pensezvous que ce sera une solution durable face aux répercussions des chocs économiques successifs que nous vivons ces derniers temps ?
Me A.E.K.B : C’est très difficile, vu que les effets néfastes des crises successives sont de plus en plus visibles. Et ce, à l’heure où de nombreux pays luttent contre une inflation élevée, une dette élevée et des déficits de financement importants. Le but étant de fournir des services de qualité, agir pour le climat, ainsi que réduire la pauvreté, les inégalités et l’instabilité croissante. Ces assemblées sont un appel à une coopération mondiale renforcée pour relever les défis auxquels le monde entier est confronté, accroître la résilience et créer davantage d’opportunités pour un avenir meilleur. La BM et le FMI ont appelé à mettre en œuvre l'Initiative de suspension du service de la dette (DSSI). Cette initiative est censée aider les pays à concentrer leurs ressources sur la lutte contre les situations difficiles. Plusieurs centaines d'opposants aux politiques néolibérales ont quitté Marrakech dimanche 15 octobre avec des perspectives très sombres. Les mois à venir s'annoncent des plus difficiles pour les habitants de nombreux pays du Sud, menacés par ce qu'on appelle la «nouvelle crise de la dette». La suspension du service de la dette aide les pays à orienter leurs ressources vers la résolution de la crise économique et sanitaire et à protéger la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes touchées par la crise. Depuis son entrée en vigueur le 1er mai 2020, cette nouvelle mesure a soulagé un endettement d'environ 5 milliards de dollars pour plus de 40 pays.