Le Maroc entend passer à la vitesse supérieure en matière de commerce extérieur. Fort d’une dynamique exportatrice soutenue ces dernières années, le Royaume se dote d’une nouvelle feuille de route ambitieuse pour la période 2025–2027.
Objectifs : élargir la base des exportateurs, diversifier les marchés et hisser l’offre nationale au rang de référence à l’international. Dans cet entretien exclusif, Omar Hejira, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, détaille les contours de cette stratégie, ses leviers d’action et l’ambition d’un Maroc résolument tourné vers l’international.
Finances News Hebdo : La feuille de route 2025– 2027 se veut ambitieuse. Qu’est-ce qui distingue cette stratégie des précédentes tentatives de développement du commerce extérieur ?
Omar Hejira : Il est important de rappeler que le Maroc s’inscrit dans une dynamique positive, avec une augmentation significative de ses exportations ces dix dernières années (+63% entre 2012 et 2018 et +49% entre 2018 et 2024). Néanmoins, des défis persistent, et c’est à cela que la feuille de route 2025-2027 s’attèle. La stratégie repose une approche basée sur un diagnostic approfondi et actualisé. En effet, une étude analytique fine a été menée sur plus de 170 marchés internationaux et 1.200 couples produit/marché, associée à une vaste concertation nationale ayant impliqué toutes les régions du Royaume et l’ensemble des parties prenantes (fédérations, associations, entreprises…). Dans cette feuille de route, nous nous sommes fixés des objectifs chiffrés clairs et ambitieux. Il s’agit tout d’abord de porter les exportations de 455 milliards de dirhams (2024) à plus de 540 milliards de dirhams à l’horizon 2027; recruter 400 nouveaux exportateurs, principalement des PME, pour élargir la base des exportateurs (actuellement ~6 000) et générer 76.000 emplois directs Au-delà de ces objectifs chiffrés, des instruments opérationnels et innovants seront mis en œuvre à travers, premièrement, un accompagnement sur mesure via la plateforme digitale «One Shop Store Export», permettant à chaque entreprise d’accéder à un accompagnement adapté à ses besoins spécifiques. Aussi, des bureaux régionaux seront déployés pour assurer une proximité effective des services d’appui à l’export dans les 12 régions, favorisant ainsi la justice spatiale et la prise en compte des spécificités territoriales. En outre, la stratégie met l’accent sur la diversification des marchés et la résilience à travers la mise en place d’un dispositif public d’assurance à l’export pour couvrir des marchés émergents et à plus forte croissance (notamment en Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine), là où le secteur privé n’intervenait pas en raison de l’absence d’assurance. Par ailleurs, la digitalisation et la simplification des procédures sont l’un des objectif phares de cette nouvelle stratégie. Les plateformes digitales interactives (Tijar-IA, Trade.ma) sont mises en place pour faciliter l’accès à l’information, la prospection B2B et la visibilité internationale de l’offre marocaine. Dans le même sillage, il sera procédé à la mise en place d’un guichet unique digital pour centraliser toutes les démarches liées à l’export. Enfin, et pour la première fois, des programmes spécifiques sont ou seront mis en place afin de permettre l’émergence de nouvelles filières exportatrices (produits numériques, industries culturelles, énergies renouvelables…)
F. N. H. : L’objectif de créer 400 nouveaux exportateurs par an paraît ambitieux. Quels mécanismes d’accompagnement sont mis en place pour garantir la durabilité de ces nouvelles entreprises à l’international ?
O. H. : L’ambition d’intégrer 400 nouveaux exportateurs s’appuie sur un dispositif complet et novateur d’accompagnement, pensé pour sécuriser non seulement leur accès aux marchés extérieurs, mais aussi la pérennité de leur activité à l’export sur le long terme. Ce dispositif comprend un accompagnement personnalisé et territorial. Chaque entreprise bénéficie d’un parcours d’accompagnement sur-mesure, adapté à son secteur, sa taille, sa maturité export et sa localisation. Sur le plan territorial, des bureaux régionaux de commerce extérieur seront déployés dans les 12 régions du Royaume. Il s’agit de guichets de proximité permettant un suivi régulier, un diagnostic terrain et une réponse adaptée aux besoins locaux. Comme souligné plus haut, la digitalisation et l’accès simplifié aux services est une priorité. Les exportateurs auront accès à la plateforme digitale One Shop Store Export qui est un guichet unique pour consulter, candidater, suivre et activer l’ensemble des programmes de soutien (études de marché, missions de prospection…). La plateforme Tijar-IA orientera les entreprises vers les opportunités, les exigences réglementaires et les réseaux de distribution. Quant à Trade.ma, elle est destinée à la promotion des produits. L’appui et l’accompagnement des exportateurs passent également par la mise en place d’un dispositif public d’assurance-crédit à l’export, couvrant les risques commerciaux et politiques, notamment vers les marchés non couverts par les sociétés d’assurance à l’export. De même, les entreprises exportatrices seront orientées vers les offres de financement dédiées à l’export, en lien avec l’AMDIE, les banques et les organismes partenaires. L’appui à la certification, à l’innovation et à la montée en gamme n’est pas en reste. Les entreprises bénéficieront de programmes d’aide pour l’obtention de certifications internationales, la conformité aux normes et l’adaptation des produits aux marchés cibles. Elles auront en outre accès à des formations spécialisées et à des accompagnements pour l’innovation, le packaging, la logistique export et le marketing digital. Un autre volet de ce dispositif consiste en la mutualisation et la structuration de l’offre export, à travers la création de Sociétés d’agrégation à l’export (SAE) qui permettent de mutualiser les ressources, de structurer l’offre de PME et de faciliter leur accès collectif aux marchés difficiles d’accès individuellement. Il sera également question de favoriser la constitution de groupements exportateurs (clusters régionaux ou sectoriels) pour accéder à des chaînes de valeur internationales.
F. N. H. : En quoi le dispositif d’assurance publique complémentaire à l’export est-il structurant pour l’ouverture de nouveaux marchés à risque ?
O. H. : Le dispositif d’assurance publique complémentaire à l’export constitue une innovation majeure dans la stratégie de développement du commerce extérieur marocain. Il répond à un besoin concret : permettre aux entreprises marocaines, notamment les PME, de s’aventurer sur de nouveaux marchés non couverts et présentant potentiellement plus de risques (notamment en Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine), là où les assureurs privés sont peu présents ou proposent des couvertures limitées et coûteuses. En quoi ce dispositif est-il structurant pour notre commerce ? D’abord parce qu’il lève un frein majeur à l’internationalisation. Sur les marchés émergents ou à fort potentiel, les entreprises marocaines hésitent souvent à exporter faute de solutions de couverture contre les risques commerciaux (non-paiement, insolvabilité) ou politiques (blocage des transferts, instabilité…). Ce nouveau mécanisme offre une sécurité financière et psychologique qui encouragera les entreprises à tenter l’aventure de l’exportation dans ces zones. Ce dispositif permet aussi de mutualiser les risques et d’élargir la base exportatrice. L’assurance publique intervient là où le privé ne va pas, partageant le risque avec l’entreprise et lui permettant de proposer des conditions de paiement attractives à ses clients étrangers, tout en se protégeant. Cela bénéficie particulièrement aux PME, qui n’ont ni la taille, ni l’historique, ni la solidité financière pour supporter seules de gros impayés ou aléas. En outre, le dispositif d’assurance publique complémentaire à l’export a un effet de levier sur les volumes exportés. Selon les analyses actuarielles, chaque Dirham mobilisé pour l’assurance-crédit à l’export peut générer jusqu’à 75 dirhams de chiffre d’affaires export supplémentaire : l’État a injecté 100 millions de dirhams pour permettre de couvrir potentiellement 7,5 milliards de dirhams de nouveaux contrats export. Ce levier financier est particulièrement structurant pour la montée en puissance de l’offre exportable nationale. Enfin, ce dispositif favorise la professionnalisation et la montée en compétence des entreprises. En accédant à ce dispositif, les entreprises sont incitées à structurer leur approche commerciale (analyse du risque client, contractualisation, suivi, etc.), ce qui contribue à la diffusion d’une culture de gestion des risques à l’international.
F. N. H. : La répartition géographique des exportateurs est très déséquilibrée. Comment comptezvous renforcer l’ancrage régional du commerce extérieur, notamment dans les zones enclavées ?
O. H. : Le déséquilibre régional dans la répartition des exportateurs marocains a longtemps constitué un frein à une croissance inclusive et à une valorisation optimale du potentiel national. La feuille de route 2025-2027 fait de la territorialisation de la politique d’export une priorité structurante, avec des mesures concrètes pour renforcer l’ancrage régional du commerce extérieur, y compris dans les zones moins industrialisées ou enclavées. Les bureaux dédiés dans les 12 régions du Royaume sont de véritables guichets de proximité offrant accompagnement, information, coaching et mise en réseau avec l’écosystème local. Avec comme objectif de détecter les porteurs de projets exportateurs, leur proposer un parcours personnalisé et assurer le suivi sur le terrain. De même, chaque région bénéficie d’un diagnostic de potentiel exportateur, permettant d’identifier les secteurs et filières à développer localement. Les dispositifs d’accompagnement (missions de prospection, appui financier, aide à la certification, etc.) sont adaptés aux réalités et besoins de chaque territoire. L’ancrage régional du commerce extérieur passera également par la mise en œuvre de programmes spécifiques à l’artisanat et à l’économie sociale qui facilitent l’accès à l’export pour des territoires à faible base industrielle et la mise en place d’accords et de conventions pour simplifier les démarches d’export des produits du terroir, de l’artisanat ou de l’économie sociale et solidaire. En outre, la promotion des Sociétés d’agrégation à l’export (SAE) permettra à plusieurs acteurs locaux de mutualiser ressources, logistique et réseaux commerciaux, et accéder ainsi à des marchés internationaux jusque-là inaccessibles individuellement. Enfin, la généralisation des plateformes digitales («One Shop Export», «Trade. ma», «Tijar-IA») permettra à tout exportateur, où qu’il soit situé, d’accéder à l’information, à l’accompagnement et à la mise en relation commerciale sans barrière géographique. Il en est de même pour la simplification des démarches administratives pour réduire la fracture territoriale.
F. N. H. : La ZLECAf est présentée comme un levier majeur pour l’Afrique. Comment le Maroc s’y positionne-t- il concrètement aujourd’hui ?
O. H. : Comme vous le savez, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est un accord ambitieux visant, entre autres, l’industrialisation de l’Afrique et la création d’un marché unique pour les biens et services en éliminant les barrières tarifaires et en stimulant le commerce intra-africain. Depuis son retour à l’Union africaine en 2017, le Maroc s’est engagé pleinement dans une dynamique de co-développement et se positionne aujourd’hui comme un acteur proactif et essentiel dans le cadre de la ZLECAf. Il a déployé des efforts consistants pour faire avancer ce chantier tant au niveau national qu’au niveau régional. On peut citer à titre d’exemple l’élaboration d’une étude d’impact sur l’intégration économique et commerciale du Maroc à l’Union africaine en 2018, la création d’une task force pour identifier le potentiel d’export et les projets d’investissement en Afrique, la signature de l’Accord-ZLECAf en mars 2018 à Kigali (Rwanda), la mise en place du Comité national de la mise en œuvre de la ZLECAf en juin 2023, ou encore l’’opérationnalisation de l’Accord-ZLECAf au niveau national en février 2024. Je tiens à rappeler que nous avons organisé la 1ère édition du Forum d’affaires sur la ZLECAf en novembre 2024, en présence de son Secrétaire général, mais également mis en place des ateliers de formation au profit de plusieurs partenaires africains, notamment sur le commerce des services et le commerce numérique. La ZLECAf représente bien plus qu’une opportunité économique pour le Royaume; elle est surtout la concrétisation d’une vision panafricaine que notre pays, sous l’impulsion éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, a toujours défendue.
F. N. H. : Les accords de libre-échange ont parfois fragilisé certaines filières. Quelle approche d’équilibre le gouvernement adopte-t-il désormais dans la signature ou la renégociation de ces accords ?
O. H. : Je vous remercie d’avoir posé cette question qui me permettra d’éclairer l’opinion publique sur ce sujet. Avant tout, il convient de rappeler que, dans le cadre des hautes orientations Royales visant à renforcer la présence du Royaume sur la scène économique internationale, le Maroc a adopté une politique d’ouverture volontariste, faisant du commerce un levier essentiel du développement économique et social. Le Royaume a conclu, dans le cadre de cette politique, de nombreux accords de libre-échange avec plusieurs partenaires stratégiques (Union européenne, États-Unis, Royaume-Uni, Turquie, pays arabes, pays africains, etc.), dans le but de dynamiser ses échanges commerciaux, de stimuler la croissance économique et d’attirer les investissements directs étrangers. La signature de ces accords a permis un bond qualitatif des exportations marocaines, qui ont connu une profonde transformation ces dernières années. Il convient de souligner la montée en puissance d’écosystèmes industriels structurants, tels que l’automobile, l’aéronautique, l’électronique et l’électricité; avec en parallèle la résilience des secteurs traditionnels comme les phosphates et dérivés, l’agriculture et agroalimentaire, ainsi que le textile et l’habillement. Les accords de libre-échange ont insufflé une nouvelle dynamique aux investissements étrangers au Maroc, qui ont connu un saut qualitatif et quantitatif durant les vingt dernières années. L’objectif stratégique de cette démarche est de positionner le Maroc comme une plateforme compétitive d’investissement et d’exportation, offrant aux industriels et investisseurs étrangers un accès privilégié à certains des plus grands marchés mondiaux. Toutefois, dans un contexte mondial marqué par des mutations économiques, sanitaires et géopolitiques profondes, il est de notre responsabilité, en tant que gouvernement, de réévaluer l’état d’avancement de ces accords et de promouvoir une nouvelle génération d’accords plus équilibrés, au service de l’économie nationale. C’est dans cette optique que le Royaume a entamé, avec certains partenaires, un processus de réévaluation. C’est notamment le cas de l’Accord de libre-échange avec la Turquie. Car bien que cet accord ait permis une progression significative des échanges bilatéraux – avec un taux de croissance annuel moyen de 13%–, la balance commerciale est restée structurellement déficitaire en défaveur du Maroc, atteignant près de 27 Mds de DH en 2024. Face à ce déséquilibre, le Royaume avait pris l’initiative, en 2022, d’ouvrir des discussions avec la partie turque afin de revoir les conditions de l’accord, dans le but d’instaurer un commerce plus équilibré, de favoriser l’attraction d’IDE turcs au Maroc, et de faciliter l’accès des produits marocains au marché turc.
F. N. H. : La taxe carbone européenne est un signal fort. Comment le Maroc anticipe-t-il l’impact de ces exigences environnementales sur ses produits exportés ?
O. H. : La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) lancée en 2016 et accompagnée d’un plan d’action adopté en 2017, a pour objectif de construire une économie sobre en carbone en intégrant des initiatives dans plusieurs secteurs clés, tels que l’énergie et l’industrie. Elle vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la promotion des énergies renouvelables. Le plan d’action de la SNBC comprend des mesures spécifiques pour décarboner les secteurs industriels et incite les entreprises à adopter des technologies plus respectueuses de l’environnement. En 2019, le Maroc a également lancé le Plan national pour l’économie circulaire (PNEC), qui met l’accent sur la gestion des déchets et l’optimisation des ressources dans le secteur industriel. Depuis la mise en place de la politique commerciale, autonome, durable et ferme de l’UE de février 2021, le Maroc a renforcé sa stratégie pour mieux se conformer aux exigences durables de son principal partenaire commercial, dont le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM). En effet, le Royaume a renforcé son engagement en matière de décarbonation en 2021 avec une nouvelle stratégie nationale visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Cette stratégie cible principalement les secteurs les plus polluants, tels que l’industrie, les transports et l’agriculture. Pour soutenir ces efforts, le pays a mis en place des mécanismes de financement verts, permettant aux entreprises industrielles de bénéficier de programmes dédiés à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables. Ce ministère a déployé un ensemble de programmes pour accompagner le secteur privé dans son effort de décarbonation, tels que Tatwir croissance ou Green Industry. Ces programmes visent à moderniser les équipements industriels, améliorer l’efficacité énergétique, réduire les émissions de gaz à effet de serre et promouvoir les énergies renouvelables. Nous sommes, à travers l’IMANOR, en train de travailler également sur une norme selon laquelle les opérateurs devraient pouvoir établir un bilan carbone (Norme marocaine «ISO 140641» qui spécifie les principes et les exigences, au niveau des organismes, pour la quantification et la rédaction de rapports sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et leur suppression). Il sied de souligner qu’afin de limiter la complexité du dispositif, le CBAM est appliqué, dans un premier temps, uniquement aux marchandises fortement exposées au risque de fuite de carbone, à savoir six secteurs : la fonte, l’acier et fer, le ciment, l’aluminium, les engrais azotés, l’hydrogène et l’électricité.
F. N. H. : Enfin, quel message souhaiteriez-vous adresser aux opérateurs économiques marocains qui hésitent encore à franchir le pas de l’internationalisation ?
O. H. : À tous les opérateurs économiques marocains qui hésitent encore à se lancer à l’international, j’aimerais adresser un message clair : le Maroc s’est doté aujourd’hui d’une feuille de route ambitieuse, pragmatique et inclusive, avec des outils inédits pour accompagner chaque entreprise, quel que soit son secteur, sa taille ou sa localisation. Jamais les conditions n’ont été aussi favorables pour oser franchir le pas de l’export : accompagnement personnalisé, dispositifs de financement et d’assurance, accès facilité à l’information, guichets de proximité, plateformes digitales, réseaux de promotion… L’internationalisation n’est plus un saut dans l’inconnu, mais un parcours sécurisé, balisé et soutenu, où chaque entreprise marocaine peut compter sur un écosystème engagé à ses côtés à chaque étape. À ceux qui doutent, je dirais ceci : le potentiel est là, les outils sont là, le monde attend ce que le Maroc a de meilleur à offrir. L’avenir de l’entreprise marocaine, c’est aussi au-delà de nos frontières. Osez l’export, osez grandir ! Nous sommes à vos côtés pour transformer ensemble ce potentiel en réussite collective.