Dans le cadre de la lutte, certes inefficace pour l’instant, menée contre l’inflation qui sévit actuellement au Maroc, le gouvernement a approuvé jeudi un décret simplifiant l’exonération de la TVA sur les semences et les produits phytosanitaires importés. L’objectif est d’agir efficacement, et surtout rapidement, en amont de la filière, pour réduire les coûts de certains intrants, qui finissent par se répercuter au niveau du prix final.
L’idée est certes louable, mais loin d’être nouvelle au Maroc, puisque d’autres produits comme certains médicaments en sont exonérés. Dans d’autres pays comme la Pologne, ce sont les hydrocarbures qui sont l’objet d’une exonération partielle ou totale, toujours dans la perspective de lutter contre l’inflation. Peutêtre cela sera le cas aussi au Maroc prochainement, si les choses continuent ainsi. Car, dans ce genre de situation, deux approches sont possibles. Ou bien l’Etat dépense des sommes colossales pour administrer indirectement les prix à travers des mécanismes tels que le bouclier tarifaire ou la caisse de compensation. Ou bien il agit en amont, en libérant des produits vitaux de certaines taxes comme la TVA, afin de baisser les prix des intrants. Si le résultat est globalement le même à quelques détails près, les conséquences à long terme sont fondamentalement différentes.
Dans le premier cas, l’argent déboursé par l’Etat au profit d’importateurs ou de producteurs prend la forme d’une douce drogue dont le sevrage peut s'avérer difficile. D’autant plus que la différence qu’il s’agit de compenser est de fait une variable, qui dépend grandement des aléas des cours sur les marchés internationaux. Le Maroc peut en témoigner quand il s’agit par exemple de maintenir à 40 DH le prix d’une bonbonne de gaz.
Chaque année, ce coût varie en fonction des cours du gaz à l’international. Il devient par conséquent très compliqué d’avoir une cohérence budgétaire sur la longue durée, dès lors que certaines composantes sont par nature volatiles. De même, dès le moment où l’Etat décide de mettre fin à la logique de compensation, le consommateur subit les conséquences de cette décision comme un abandon et une perte sèche de son pouvoir d’achat. Souvenons-nous de la libéralisation des prix des hydrocarbures en 2015 et de leurs impacts sur les ménages marocains. Impacts que nous continuons de subir jusqu’à aujourd’hui. Cela pour dire que cet argent déboursé est également une douce drogue pour les consommateurs, habitués trop longtemps à des prix artificiellement plus bas que les prix réels, ceux du marché.
Enfin, pour en finir avec cette approche, sachez que la compensation n’est pas gratuite. Car l’argent ne pousse pas dans les champs, et l’Etat ne le crée pas par magie. Il est financé soit à partir des recettes fiscales, soit à partir de nos impôts. Voilà donc autant d’argent qui n’ira pas dans la santé, l’éducation ou le développement des infrastructures. Et là on parle de dépenses de compensation de l’ordre de 38 milliards de dirhams pour l’année 2022, au moment où le budget de la santé pour la même année fut d'environ 23,5 milliards de dirhams. Ainsi, loin de moi l’idée de défendre ce mécanisme; une autre approche est possible, celle de la libération de la production et de la création de richesse en amont, par la suppression de certaines taxes anachroniques et handicapantes pour les entreprises. La TVA figure ainsi en haut du podium.
Contrairement à la compensation, ce mécanisme ne prend pas la forme d’une dépense sèche, mais d’un manque à gagner. Ce dernier va naturellement se traduire par une baisse des recettes fiscales, et conséquemment par une aggravation du déficit budgétaire. Mais ce que l’Etat ne gagnera plus en termes de TVA, il le regagnera en partie au niveau de l’IS, en raison du gain de compétitivité que cette mesure offrira aux producteurs. Sans oublier que cela réduira le gap existant entre les entreprises qui respectent les règles du jeu, celles du secteur formel, et les commerçants et producteurs de l’informel, pour qui l’impôt est une simple rumeur. Ainsi, si l’Etat veut plus d’argent, et bien il n’a qu’à aller le chercher auprès de ceux qui ne payent rien, au lieu de s’acharner sur ceux qui payent déjà beaucoup, beaucoup trop ! Moins de taxes et une assiette fiscale plus large, voici donc le crédo qui devrait animer une refonte en profondeur de notre fiscalité. Et comme disait Pierre Véron : «Puisque l’impôt a une assiette, pourquoi mange-t-il toujours dans la nôtre ?».
Mais en attendant, l’intransigeance de l’Etat face aux demandes de suppression de la TVA pour certains produits, n’a d’égale que sa fébrilité et sa quasi-complaisance avec un informel qui, non seulement prospère, mais nargue quotidiennement les entreprises honnêtes. Enfin, et je garde le meilleur pour la fin, la dernière raison qui m’amène à m’attaquer à la TVA, c’est qu’elle n’a tout simplement pas de sens. Un impôt doit, dans un système démocratique, avoir une finalité, car pour un citoyen libre, l’impôt est une contribution en vue de quelque chose de concret. Or, je défie quiconque de me donner le sens de la «taxe sur la valeur ajoutée» ? Une contribution au service de la nation ?
D’accord, mais cela est valable pour tous les autres impôts (IR, IS, …). La vraie question est : qu’est-ce qui distingue la TVA des autres taxes et impôts ? A-t-elle une raison qui lui est propre ? Une finalité ? Une légitimité ? Ou encore une crédibilité ? Le fait est que pour beaucoup de Marocains, il faut payer la TVA car il faut payer la TVA. Une tautologie qui n’a pas ou plus lieu d’être. On me dira que la réponse est contenue dans le sens même des mots. Autrement dit, j’ai créé une valeur ajoutée, et par conséquent je paye la TVA en guise de merci à l’Etat pour m’avoir offert les moyens de la créer, ou du moins, pour ne pas m’en avoir empêché. N’est-ce pas la même réponse que pour l’IS ou encore l’IR ? Car au fond, cette valeur ajoutée issue du dur labeur des travailleurs et entrepreneurs, et tant convoitée par l’Etat, est triplement taxée dans les faits.
Imaginons un entrepreneur qui travaille d’arrache-pied pour gagner son pain, et voit son dur labeur gratifié d’une rentrée d’argent de 100 DH. L’Etat, et ce pour le bien de cet entrepreneur et celui de la communauté, vient lui prendre 20% de TVA, soit 20 DH. Dans un second temps, il vient lui prendre 20% d’IS des 80 DH restants, soit encore 16 DH. Enfin, quand notre vaillant entrepreneur croit finalement apercevoir le bout du tunnel, l’Etat vient à nouveau lui prendre 15% sur les dividendes, sur les 64 DH restants, soit 9,6 DH. Ainsi, des 100 DH gagnés initialement, le pauvre bougre ne touchera que 54,4 DH. Et je ne compte même pas les autres dépenses qu’il devra supporter : l’IR, la charge patronale, le loyer du bureau, les factures, la traite de crédit, … Je sais, l’exemple est simplifié à l’extrême, car il faudra intégrer les charges dans l’équation pour calculer l’IS…. Mais vous voyez où je veux en venir.
Par conséquent, soit notre entrepreneur est très poli, et accepte de remercier l’Etat trois fois. Soit, tous les impôts et taxes sont des TVA, et donc TVA ne veut plus rien dire. Espérons donc que la prochaine Loi de Finances soit l’occasion de repenser en profondeur, non seulement notre architecture fiscale, mais avant tout le sens même que nous devons donner à chaque taxe et impôt. Il en va de la crédibilité et de la légitimité de ces derniers. Mais je ne me fais pas trop d’illusions à ce propos. En attendant, beaucoup de Marocains continueront de voir la TVA et ses acolytes comme une contrainte avec laquelle il faut composer ou contourner pour certains, donnant ainsi raison au grand économiste John Maynard Keynes pour qui : «éviter de payer des impôts est la seule recherche intellectuelle gratifiante».
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting