Après deux années de recul, les défaillances d’entreprises devraient croître en 2022 et 2023 à l’échelle mondiale, et dépasser ainsi leur niveau pré-pandémie.
Une croissance économique significativement revue à la baisse en 2022, à moins de 1%, l’envolée de la facture énergétique, la hausse des taux d’intérêt et des salaires, entre autres facteurs, pèseront fortement sur la rentabilité et la trésorerie des entreprises marocaines.
Les pressions inflationnistes, le resserrement monétaire, la crise énergétique et les perturbations des chaînes d’approvisionnement mettent la trésorerie des entreprises en péril. Toutefois, de nombreux gouvernements ont décidé de déployer des politiques budgétaires fortes pour faire face à la situation actuelle. Ces mesures seront-elles suffisantes pour empêcher une forte hausse des défaillances d’entreprises à l’échelle mondiale et locale ? Allianz Trade, le leader mondial de l’assurance-crédit, s’est penché sur la question dans sa dernière étude.
Selon Allianz Trade, les défaillances d’entreprises devraient rebondir à l’échelle mondiale en 2022 (+10%) et en 2023 (+19%). Deux rebonds significatifs, qui surviendront après deux années consécutives de recul, et qui devraient ramener les défaillances au-dessus de leurs niveaux pré-pandémie dès l’année prochaine (+2%).
«Le rebond des défaillances d’entreprises est déjà une réalité pour de nombreux pays, en particulier les principaux marchés européens comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et la Suisse. Ces marchés expliquent d’ailleurs deux-tiers de la hausse des défaillances d’entreprises attendue à l’échelle mondiale cette année. La moitié des pays que nous avons analysés ont d’ores et déjà enregistré une croissance des défaillances d’entreprises à deux chiffres lors du premier semestre 2022. A l’inverse, les Etats-Unis, la Chine, l’Allemagne, l’Italie et le Brésil continuent de témoigner de faibles niveaux de défaillance, mais la tendance devrait s’inverser l’année prochaine dans ces pays», détaille Maxime Lemerle, Responsable des études défaillances chez Allianz Trade.
L’Europe devrait être particulièrement affectée par la hausse des défaillances lors des deux prochaines années : Allianz Trade prévoit une forte croissance des défaillances d’entreprises en France (+46% en 2022 ; +29% en 2023), au Royaume-Uni (+51% ; +10%), en Allemagne (+5% ; +17%) et en Italie (-6% ; +36%). La région devrait, dans son ensemble, dépasser ses niveaux de défaillances d’entreprises pré-pandémie dès la fin de l’année 2022 (+5%). En Asie, la Chine devrait enregistrer une hausse des défaillances de +15% en 2023, principalement du fait du faible rythme de croissance économique et de l’impact limité de l’assouplissement monétaire et budgétaire. Aux Etats-Unis, Allianz Trade anticipe une hausse de +38% des défaillances en 2023, conséquence directe du durcissement des conditions financières et monétaires.
«La normalisation des défaillances reste hétérogène selon les secteurs et la taille des entreprises. En Europe, nous observons une accélération des défaillances dans près de 60% des secteurs d’activité[1], avec un retour au niveau pré-Covid-19 majoritairement pour l’hôtellerie-restauration, l’industrie manufacturière et les services B2C. Dans le même temps, le rebond généralisé des défaillances d’entreprises à l’échelle mondiale provient majoritairement de défaillances de petites entreprises. Le nombre de grandes défaillances est d’ailleurs modéré au niveau international : on dénombre seulement 182 cas en cumulé sur les 9 premiers mois de l’année, comparé à 187 cas en 2021 et 332 cas en 2020», développe Ano Kuhanathan, Responsable de la recherche sectorielle chez Allianz Trade.
Envolée de la facture énergétique et hausse des taux d’intérêt et des salaires : 3 chocs de rentabilité pèsent fortement sur la trésorerie des entreprises
Comment expliquer cette hausse généralisée des défaillances d’entreprises ? Allianz Trade identifie 3 chocs majeurs qui pourraient avoir un impact conséquent sur la rentabilité des entreprises. La facture énergétique reste le choc de rentabilité le plus important, plus particulièrement dans les pays européens mais également au Maroc. Aux niveaux actuels, dans un contexte de recul du pricing-power et de ralentissement de la demande, les prix de l’énergie feraient disparaître les profits de la plupart des entreprises non-financières. Si les entreprises étaient en mesure de répercuter ne serait-ce qu’un quart de la hausse du prix de l’énergie sur leurs prix de vente, elles pourraient supporter une hausse du coût de l’énergie de +50% en Allemagne et de +40% en France. Si l’on regarde plus précisément le cas de la France, en excluant les microentreprises [2], Allianz Trade estime que la hausse du prix de l’énergie pourrait coûter -9 Mds d’euros à plus de 7.000 entreprises appartenant aux 4 secteurs les plus exposés à la situation actuelle, à savoir le papier, la métallurgie, les machines et équipements et l’industrie minière. En comparaison, en Allemagne, ce montant atteint -7 Mds d’euros, et concerne 4.000 entreprises, appartenant principalement aux secteurs du papier et de la métallurgie.
Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt devrait se poursuivre au premier semestre 2023, en parallèle de l’accélération des salaires. En Europe, ce choc devrait être équivalent au choc de rentabilité subi par les entreprises lors de la crise Covid-19, à savoir un impact de -4 points de marge. Comme attendu, les fortes réserves de liquidités des entreprises (toujours +43% au-dessus de leur niveau pré-pandémie aux Etats-Unis, +36% au Royaume-Uni et +32% en zone Euro) ont permis aux entreprises de se protéger de la normalisation des politiques monétaires en 2022, mais le pire reste à venir.
«Nous estimons que les prochaines hausses de taux directeurs à venir aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en zone Euro feront croître les taux d’intérêt pour les entreprises de +200 points de base d’ici mi-2023, ce qui affectera les marges à hauteur de -1,5 point aux Etats-Unis, -2,2 points au Royaume-Uni et -3 points en zone Euro. L’Italie, la France et l’Espagne sont les pays les plus exposés. De plus, les salaires sont légèrement plus coûteux pour les secteurs industriels européens que pour les américains. Ainsi, une hausse des salaires de 4 à 5% en 2023 pourrait amputer les marges des entreprises de -0,5 point à -1 point en moyenne. De manière générale, la hausse des taux et des salaires, dans un contexte de faible croissance économique met particulièrement en péril les secteurs de la construction, des transports, des télécoms, des machines et équipements, de la distribution, des équipements des ménages, de l’électronique, de l’automobile et du textile», ajoute Ana Boata, Directrice de la Recherche économique d’Allianz Trade. «De par son profond ancrage économique autour des pays de la zone Euro, mais également de par les hausses enregistrées et escomptées du taux directeur par Bank Al-Maghrib, l'impact sur les marges des entreprises marocaines devrait suivre une tendance similaire à celle anticipée pour les entreprises de la zone Euro», estime pour sa part Hicham Bensaid Alaoui, Directeur général d'Allianz Trade au Maroc.
Le soutien public sera essentiel pour éviter une vague massive de défaillances
Afin d’éviter une trop forte hausse des défaillances, le soutien public devrait s’accélérer en Europe, d’autant plus si la récession s’aggrave à cause de la crise énergétique. Selon Allianz Trade, le soutien budgétaire actuel réduit la hausse des défaillances d’entreprises d’au moins -10 points en 2022 et 2023 pour toutes les plus grandes économies européennes. En Allemagne, il devrait permettre de limiter la hausse des défaillances de -12 points (soit 2.600 entreprises sauvées), de -13 points en France et en Italie (respectivement 6.700 et 1.900 entreprises sauvées), de -15 points au Royaume-Uni (4.300) et de -24 points en Espagne (2.100).
Si la crise énergétique s’accentue et intensifie la récession, la croissance des défaillances en Europe devrait être plus forte de +8 points et atteindre ainsi +25% en 2023, soit la hausse annuelle la plus importante constatée depuis 2009. Allianz Trade estime que pour absorber cette hausse additionnelle des défaillances, le soutien budgétaire devrait s’accroître et atteindre 5% du PIB en moyenne en Europe. Cependant, ces importants dispositifs seront difficiles à déployer dans un contexte de durcissement monétaire. Mais la solidarité européenne semble être de mise : l’emprunt commun permettrait à tous les Etats membres de l’UE de formuler une réponse budgétaire adéquate et alignée face à la crise actuelle, sans mettre en danger la soutenabilité de la dette.
Et le Maroc dans tout cela ?
Au Maroc, le rebond des défaillances d'entreprises est l'un des plus spectaculaires parmi les pays concernés par cette étude. L'analyse des évolutions pouvant être biaisée, ou du moins insuffisamment parfaite, lors des années précédentes (recul encore insuffisant pour réellement dégager une tendance durable, fermeture des tribunaux de commerce en 2020, entraînant un niveau artificiellement bas de défaillances d'entreprises, avec un phénomène de rattrapage observé par la suite, niveau particulièrement important du soutien étatique depuis 2020…), une comparaison entre 2023 et la période d'avant-Covid semble autrement plus pertinente. L'installation du 'new normal' révèle, à ce titre, une spectaculaire hausse de 44% des défaillances d'entreprises au Maroc…
Pour conclure, selon Allianz Trade, au Maroc, l'effet de la crise économique commencera à se faire percevoir avec davantage d'acuité en 2023, là où des aides publiques exceptionnelles et une grande stabilité des agrégats macroéconomiques avaient permis de digérer davantage les chocs exogènes. L'impact additionnel du choc énergétique et de la pression inflationniste ont contribué à rendre la situation économique encore plus sensible, induisant ce niveau particulièrement important de défaillances d'entreprises.