Nous y voilà ! En plein stress hydrique ! C'était prévisible depuis des lustres, mais rien n'y fait : il faut faire face, faute d'avoir anticipé ce que les spécialistes avaient redouté depuis plus de deux décennies. Quelques mesurettes à l'occasion, mais pas de véritable stratégie. Ainsi vont donc les politiques depuis le début des années 2000. L'eau ! Une ressource vitale évidemment. Mais qui accuse une raréfaction continue.
Vulnérable aussi à la pollution. Voici plus de trois ans, l’Institut Royal d'études stratégiques (IRES) avait pourtant tiré la sonnette d'alarme dans un rapport circonstancié de quelque 170 pages. Et après, dira-ton ? Pratiquement rien, pas grand-chose en tout cas. Globalement, le Maroc est semi-aride avec une déclinaison variable et une moyenne de 400/600 mm au plus.
Une grande variabilité interannuelle tournant autour de quelques milliards de m3. La ventilation est la suivante : un potentiel de 18 milliards de m3/ an pour les eaux superficielles et de 4 milliards pour les eaux souterraines. De fortes contraintes naturelles pèsent sur ces ressources : les unes sont spatiales et temporelles; d'autres sont liées à la fréquence des années de sécheresse; à la vulnérabilité aux inondations (plus de 400 sites identifiés); à l’érosion des sols et l'envasement des retenues des barrages (12% environ); sans oublier les menaces sur les zones sensibles et les systèmes fragiles.
Dans un autre chapitre, il vaut de relever les contraintes dites anthropiques, celles liées aux humains et à leur mode de vie : surexploitation des ressources en eau souterraines, pollution. Quant à la demande globale en eau, elle se présente comme suit : 10% environ d'eau potable, industrielle et touristique et 90% pour l'agriculture. Aujourd'hui, elle est estimée à 18 milliards de m3. Il faut aussi évoquer la question du changement climatique et son impact sur les ressources en eau. Les sécheresses deviennent de plus en plus fréquentes; il y aurait même des cycles de trois ou quatre ans selon les climatologues. Les niveaux des nappes accusent une baisse sensible et continue; le taux de remplissage des barrages en pâtit. De même, les inondations se multiplient et causent de grands dégâts (routes, ponts, habitations, agriculture,...).
Enfin, l'on observe une baisse du potentiel couplé à la raréfaction des ressources. Tel est le cas dans les bassins suivants : Oum Er Rbia, Souss - Massa, Tensift, Moulouya, Sebou,... Si bien que le capital eau/habitant/an, qui était de 3.650m3/an/habitant en 1960, a chuté à 1.000 en 2.000, puis à moins de 700 en 2022. Préoccupant : il est l'un des plus faibles au monde, dans le lot des vingt pays les plus menacés par le stress hydrique. Une tendance soutenue par le réchauffement climatique, la baisse de la pluviométrie et, partant, des ressources en eau.
Quelle stratégie ?
Que faire alors pour relever tous ces défis ? Une stratégie de l'eau a bien été présentée à SM le Roi, à Fès, voici plus d'une dizaine d'années – le 14 avril 2009. Quels axes stratégiques ont été alors retenus ? Le premier a trait à la gestion de la demande et à la valorisation de l'eau. Il s'agit des programmes suivants : reconversion à l'irrigation localisée, amélioration des rendements des réseaux d'adductions vers les périmètres irrigués, tarification volumétrique, techniques d'économie d’eau chez les agriculteurs. Il faut y ajouter, dans le domaine de l’eau potable, industrielle et touristique un potentiel d'économie : rendement des réseaux avec une moyenne nationale de 80%, recours aux technologies appropriées, révision du système tarifaire...
Le deuxième axe regarde, lui, la gestion et le développement de l'offre : poursuite de la réalisation de grands barrages, transfert Nord-Sud entre les bassins excédentaires vers ceux qui sont déficitaires, programme de petits et de moyens barrages, développement de la mobilisation des ressources non conventionnelles, dessalement d'eau de mer, collecte des eaux pluviales, réutilisation des eaux usées épurées... Le troisième axe concerne la préservation et la protection des ressources en eau, du milieu naturel et des zones fragiles : lutte contre la pollution, sauvegarde et reconstitution des nappes ainsi que des bassins versants, des oasis et des zones humides.
A n'en pas douter, de grandes réalisations ont été opérées dans le secteur de l'eau. Elles intéressent la mobilisation des ressources en eau conventionnelles : quasi généralisation de l'accès à l'eau potable, irrigation de plus de 1,6 million d'hectares, 140 barrages avec une capacité de stockage de 18 milliards de m3, une trentaine de grands barrages à l'horizon 2030, dessalement de l'eau de mer (Laâyoune, Boujdour) et programmation de nouvelles stations pour l'alimentation en eau potable (Agadir, Sidi Ifni, Tantan), développement de l'énergie hydroélectrique.
Selon le dernier classement de l'Association internationale de l'hydroélectricité (IHA), le Maroc n'est que le 10ème en Afrique avec 1.770 MW, loin derrière l'Ethiopie, l'Angola, l'Afrique du Sud, l'Egypte, le RP du Congo, la Zambie, etc. Le 13 janvier 2020, devant le Souverain, a été signée une convention cadre pour la réalisation du programme national d'approvisionnement en eau et d'irrigation. Il était alors prévu des investissements de 115 milliards de DH. Qu'en est-il aujourd'hui ? Trois ans après, quel a été de fait le programme de consolidation et de diversification ? La sécurité hydrique a-telle été mieux garantie ? Et la lutte contre les effets des changements climatiques ? Qu’en est-il aussi du partenariat public privé ?
Incohérences
Ce qui pose problème va au-delà d'une politique et d'une stratégie de l'eau : n'est-ce pas en effet l'appréhension des interactions de l'eau avec l'énergie, l'agriculture et les écosystèmes naturels ? Cette approche est-elle tellement prégnante dans les politiques actuelles et chez les décideurs qui en ont la charge ? Quelles structures de gestion et de gouvernance ont été mises en place à cet égard ? Force est de faire ce constat: bien des incohérences persistent dans les interdépendances entre ces secteurs. L'approche sectorielle a continué à prévaloir; la logique de la cohérence n'est pas vraiment probante; il manque encore une intégration optimale des actions et des programmes.
Des instances nationales ont bien été créées. Tel le Conseil supérieur de l'eau et du climat (CSEC) en 1981. Mais, depuis une bonne vingtaine d'années, il ne s'est pas réuni. Il faut aussi mentionner la Commission interministérielle de l'eau (CE) créée en 2011. Présidée par le chef du gouvernement, cette commission n’a été mise sur pied qu'en 2017. Elle n'a été finalement institutionnalisée qu'en 2014. Combien de fois s'est-elle réunie depuis ? Et pour quoi faire de bien concret ? Enfin, la régionalisation - pour laborieuse qu'elle soit dans tant de domaines - n'accorde point une grande place à toutes ces questions: tant s'en faut.
Manque de surcroît des approches territorialisées avec un cadre juridique approprié et des ressources humaines répondant aux besoins de formation, de recherche& développement, d'innovation et de sensibilisation. Une politique intégrée est nécessaire, une feuille de route aussi ainsi que la mobilisation des moyens adéquats. Faute de quoi, qu'arrivera-t-il ? Continuer à regarder ailleurs...