Le séisme qui a durement frappé le Royaume suscite moult interrogations. Dans cet entretien, Finances News Hebdo s’intéresse plus particulièrement aux bâtiments ruraux qui se sont majoritairement effondrés comme des châteaux de carte. Pourquoi n’ont-ils pas résisté ? Où se situent leurs failles ? Et que faut-il faire s’il faut reconstruire rapidement, en raison de l’hiver qui arrive ?
Eclairage de Mohammed Errouaiti, expert en construction, qui a dirigé pendant 20 ans le Centre scientifique des techniques de construction (CSTC) du Laboratoire public d’essais et d’études (LPEE).
Propos recueillis par A. Diouf
Finances News Hebdo : Le séisme d’Al Haouz soulève à nouveau la question de la non-application des normes antisismiques. Qu’en pensezvous ?
Mohammed Errouaiti : Avant de répondre à votre question, permettezmoi tout d’abord de présenter mes sincères condoléances à mes concitoyens qui ont perdu leurs proches lors de ce drame meurtrier; et de souhaiter à toutes les personnes qui ont perdu la vie de reposer en paix. Maintenant, pour en venir à votre question, je dirai que ce ne serait pas prudent de lier le nombre de bâtiments détruits à l’application ou la non-application des règles parasismiques. Pourquoi ? Parce que les règles parasismiques sont dédiées aux constructions que l’on projette d’édifier après la date de promulgation du règlement élaboré à cet effet. Ce qui n’est pas le cas dans ce séisme où la plupart des bâtiments sinistrés dans les zones affectées d’Al Haouz, Ouarzazate, Taroudant, etc. sont d’anciennes constructions en adobe, en pisé ou en pierre. D’ailleurs, comme on le voit dans certaines vidéos diffusées par les médias, les bâtiments construits en béton armé sont juste fissurés, dégradés, partiellement effondrés, mais en tous cas pas totalement détruits. Parce que les règles parasismiques, comme leur nom l’indique, ne sont pas destinées à construire antisismique, mais plutôt parasismique. Cela veut dire que l’on cherche à éviter l’effondrement subit et brutal des constructions. Ainsi, les occupants ont le temps d’évacuer lesdites constructions trop affectées lors des séismes violents. Autrement dit, construire antisismique, c’est presque utopique.
F.N.H. : Le code parasismique concerne certains types de bâtiments. Quels sont-ils ?
M. E. : Au Maroc, il y a deux règlements de construction parasismique. Le RPS 2000, avec sa version 2011, qui est dédié aux constructions conventionnelles, c’est-à-dire des constructions régies par des normes et des codes de calcul. Et l’autre, c‘est le règlement parasismique des constructions en terre et matériaux traditionnels. Il faut dire que le second règlement est moins connu que le premier. Mais les deux règlements sont tous d’application obligatoire.
F.N.H. : Sachant que les habitants de ces zones reculées n’ont pas de moyens, comment voyez-vous l’application des normes parasismiques dans ces zones ?
M. E. : Comme je l’ai déjà signalé, il existe trois types de construction en terre. Les constructions en adobe, en pisé ou encore en pierre. Ces constructions ont donné satisfaction en termes d’exploitation vis-à-vis des sollicitations autres que parasismiques. En effet, elles ont résisté pendant des années et des années aux charges gravitationnelles. On ne peut donc pas leur reprocher d’être de mauvaise qualité. Seulement voilà, ces bâtiments n’ont pas été construits pour s’opposer aux sollicitations sismiques, qui sont des sollicitations horizontales et cycliques. Tout simplement parce qu’ils n’ont pas intégré les dispositions qu’il faut pour faire face à ce type de sollicitations. Maintenant, que faut-il faire pour que ces bâtiments résistent mieux aux sollicitations sismiques ?
D’abord, il faut appliquer le règlement parasismique en vigueur. Ensuite, compte tenu du fait que les habitants des zones rurales n’ont pas suffisamment de moyens pour se faire accompagner par des hommes de l’art, il faut dans un premier temps largement vulgariser les dispositions constructives à adopter pour que les constructions en terre et matériaux traditionnels puissent supporter les sollicitations sismiques modérées. Il faut notamment faire comprendre aux habitants qu’il faut limiter le nombre de niveaux des constructions. Parce que dans une zone reconnue pour sa sismicité, il faut se contenter d’ériger des constructions simples, c’est-à-dire un rez-de-chaussée ou tout au plus un rez-de-chaussée plus un. Il faut aussi respecter certaines exigences sur les murs, notamment les épaisseurs et les hauteurs. Il faut également ceinturer les constructions par des chaînages horizontaux. Il s’agit aussi de montrer aux habitants de ces zones où estce qu’ils peuvent mettre des ouvertures, notamment les portes et les fenêtres. Et surtout, il faut que les planchers des constructions soient allégés. Généralement, les habitants de ces zones mettent des planchers constitués de matériaux traditionnels, souvent des rondins en bois recouverts de roseaux et de la terre au-dessus. Et ils procèdent à l’entretien de ce plancher par ajout de terre, ce qui l'alourdit et le rend vulnérable en cas de sollicitations parasismiques. D’ailleurs, on constate que la plupart des victimes de séisme dans ces zones meurent par asphyxie que par autre chose.
F.N.H. : Que recommandez-vous aux habitants des zones sismiques reculées qui veulent reconstruire ?
M. E. : Nous sommes en automne et l’hiver approche, synonyme de baisse des températures et de pluies. Autant dire que nous devons reconstruire le plus rapidement possible. Et pour ce faire, il faut se baser sur ce qui existe déjà, en utilisant des matériaux conventionnels pour leur rapidité de mise en œuvre, et en reconstruisant suivant les typologies des constructions locales. On peut par exemple construire la structure de façon conventionnelle, et pour ce qui est de l’habillage, on peut utiliser les matériaux locaux de performances mécaniques acceptables.