Programme gouvernemental : réaliste ou pas ?

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Hicham Bensaid, directeur des risques, de l’information, des sinistres et du recouvrement à Euler Hermes Acmar, analyse la déclaration gouvernementale de Saâd Eddine El Othmani, en faisant le focus sur ce qui semble réalisable et ce qui ne l’est pas.

                                            

 

Finances News Hebdo : Dans la déclaration gouvernementale, Saâd Eddine El Othmani a annoncé un certain nombre de chiffres tels qu’un taux de croissance économique compris entre 4,5 et 5,5%, un déficit budgétaire à 3% du PIB à l’horizon 2021… Quelle appréciation faites-vous de ces chiffres qui au demeurant restent modestes ?

 

Hicham Bensaid : A l’occasion de sa déclaration gouvernementale, le Chef du gouvernement a effectivement énoncé une série de chiffres et d’agrégats macroéconomiques, dont nous pouvons notamment retenir une croissance économique estimée autour des 5% annuels, un déficit budgétaire plafonné à 3% du PIB ou encore une dette à 60% du PIB, à la fin du mandat …

En opérant une revue rétrospective des principales réalisations du pays, et particulièrement un taux de croissance annuelle du PIB marocain au-delà de 4% au cours des 15 dernières années, un déficit budgétaire actuellement en dessous des 4% (et sur une tendance positive) et un endettement du Trésor légèrement au-dessus des 60%, les perspectives annoncées ne semblent pas spécifiquement irréalisables.

En revanche, les agrégats sus-énoncés méritent a minima de s’appesantir sur trois éléments majeurs. Tout d’abord, la dette du Trésor est certes de l'ordre de 64% du PIB, mais si l'on prend en compte la dette garantie par l'Etat des établissements et entreprises publics, la dette publique de l'Etat marocain, celle-ci dépasse les 80% du PIB et s'inscrit sur un trend haussier à même d'interpeller les observateurs. Ensuite, même si l'économie marocaine, qui a les qualités de ses défauts -notamment une absence de dépendance à l'égard d'une matière première ou «commodité» spécifique, mais aussi un plan ambitieux de diversification économique-, a prouvé de par le passé sa résilience et sa capacité à générer de la croissance, la conjonction d'autres mesures gouvernementales phares (décompensation potentielle du gaz butane, ambition affichée de juguler le déficit budgétaire et la dette du Trésor…), qui semblent augurer d'une politique plutôt d'austérité, devrait engendrer un impact négatif sur la demande intérieure, qui demeure l'un des moteurs de la croissance.

De fait, et c'est là le point d'achoppement du raisonnement, je pense que certaines ambitions, prises séparément, peuvent paraître réalisables, mais en revanche, leur conjonction avec d'autres annonces (par exemple, un taux de chômage ambitionné à 8,5% à l'horizon 2021) paraît un peu moins cohérente.

 

F. N. H. : Dans le même sillage, les réformes annoncées, à savoir le parachèvement de la décompensation, le renforcement de la compétitivité nationale conjuguées aux batteries de mesures dont l’accélération de la cadence de mise en œuvre du nouveau plan de la réforme de l’investissement… sont-elles à même de permettre au Maroc (tel qu’il se présente aujourd’hui) d’intégrer les 50 premières économies du monde de l’indice Doing Business à l’horizon 2021, tel qu’annoncé par le Chef de gouvernement ?

 

H. B. : Là encore, l'annonce du Chef de gouvernement peut paraître réaliste, eu égard au classement actuel de notre pays (68ème sur 190 au titre du classement Doing Business 2017) et à la bonne dynamique économique et sociétale enregistrée depuis une quinzaine d'années. Toutefois, notre pays accuse des retards structurels, notamment au titre de la résolution des contentieux (131ème sur 190), de l'accès au financement (101ème sur 190) ou encore de la protection des investisseurs minoritaires (87ème sur 190).

Au regard de l'importance des chantiers concernés, une progression spectaculaire dans ces domaines, condition indispensable à l'intégration du top 50 mondial en termes de classement Doing Business, semble davantage un vœu pieux qu'un objectif réalisable, a fortiori en 5 années uniquement.

 

F. N. H. : Le manque de coordination entre les différentes stratégies sectorielles est souvent cité par les économistes comme un frein à l’aboutissement d’une croissance forte et durable. Dans vos analyses et vos recherches sur les risques inhérents aux différents secteurs, remarquez-vous une telle défaillance ?

 

H. B. : Le constat est moins marqué que par le passé, car si l'on considère par exemple la structuration du Plan d'accélération industrielle, ce dernier semble bien s'articuler autour de l'ensemble de la chaîne de valeur d'un secteur donné (automobile, aéronautique, textile…). Cette première étape de l'intégration industrielle et opérationnelle doit déjà être menée à bien (ce qui n'est de fait pas encore le cas), avant de penser à créer des liens entre les différentes stratégies sectorielles prises séparément.

Toutefois, les prémisses d'une coordination sectorielle semblent voir le jour, à l'image du nouveau contrat-programme de l'agro-industrie notamment, que l'on pourrait concevoir quelque part comme la convergence du Plan d'accélération industrielle et du Plan Maroc Vert. Mais comme sus-rappelé, il faudrait au préalable que les différents secteurs prioritaires atteignent une vitesse de croisière avant de pouvoir, dans une étape ultérieure, les faire converger mutuellement, dans une optique d'efficience stratégique.

 

F. N. H. : Si l’on tient compte de l’avis des experts dans le domaine, une reprise des cours du pétrole est en train de se dessiner, mais elle est nettement moins rapide que celle de 2008. D’abord, êtes-vous du même avis que le cours ne va pas dépasser les 100 dollars ? Et à quel niveau peut-il compromettre les objectifs macroéconomiques, essentiellement en termes de croissance annoncés dans le PLF 2017 (taux de croissance de 4,5%, déficit budgétaire de 3% du PIB) ?

 

H. B. : L'analyse de l'évolution des cours du pétrole au cours de la dernière décennie révèle le caractère cyclique des prix de cette matière première. A ce titre, une extrapolation des courbes permet d'anticiper effectivement une reprise des cours dans les 2 ou 3 prochaines années, comme cela a été le cas en 2004 et en 2009 notamment.

Dans cette logique d'extrapolation, le fait que les cours excèdent les 100 dollars ne semble pas non plus une utopie, car cette valeur avait été assez régulièrement atteinte au cours de la dernière décennie. Bien entendu, s'agissant d'une matière extrêmement sensible aux perturbations géopolitiques, l'éclatement d'une guerre par exemple dans un pays producteur majeur pourrait induire une raréfaction des volumes en circulation et par conséquent un renchérissement des prix.

En termes d'impacts macroéconomiques sur notre pays, une reprise des cours devrait en théorie générer un impact neutre ou quasi-neutre sur le déficit budgétaire, les hydrocarbures n'étant plus compensés par l'Etat marocain. De ce fait, comme l'impact devrait davantage se ressentir sur le consommateur final, il est probable que cela générerait un effet négatif sur la croissance. En effet, la consommation des ménages pesant près de 60% du PIB, tout levier négatif au titre de cet agrégat devrait mécaniquement induire un effet domino sur la croissance économique dans sa globalité. ■

 

 

Propos recueillis par S. Es-siari

 

 

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