Production de vaccins: le Royaume avance doucement mais sûrement

Production de vaccins: le Royaume avance doucement mais sûrement

En investissant massivement dans la production des vaccins, le Maroc fait un pas de géant dans le domaine de la biotechnologie de pointe. Toutefois, des obstacles persistent, notamment en matière de brevets et de propriété industrielle.

Le 27 janvier 2022 marque un tournant majeur en matière de souveraineté sanitaire au Maroc, et une avancée de taille dans le développement des vaccins Made in Morocco. Ce jour-là, le Roi Mohammed VI a donné le coup d’envoi des travaux de réalisation de l’usine de Benslimane, spécialisée dans la fabrication des vaccins. Cet établissement, dont le coût d’investissement s’élève à près de 200 millions d’euros, dispose de 3 lignes industrielles dédiées à la production de seringues préremplies, de flacons de liquides et de flacons lyophilisés. Cette unité industrielle devrait permettre au Maroc d’être, à partir de 2025, en capacité de produire plus de 2 milliards de doses de vaccins.

Par le biais de cette usine, le Royaume ambitionne d’assurer son autosuffisance en matière de vaccins, et aspire à devenir une plateforme de biotechnologie de premier plan à l’échelle du continent africain et du monde, notamment dans le domaine de l’industrie du «Fill & finish». Cette dernière consiste à remplir des flacons de vaccins de substances médicamenteuses biologiques et pharmaceutiques et à terminer le processus d’emballage du médicament en vue de sa distribution. Il est opportun de le souligner  : la pandémie du Covid-19 a accéléré les efforts pour renforcer la production locale des vaccins et a mis en évidence l’importance pour un État d’être autonome en matière de fabrication de ces produits de santé.

Une question de souveraineté nationale

«C’est assurément un motif important de fierté. Mais au-delà, il y a surtout une question de souveraineté nationale mise en exergue par la crise sanitaire du Covid-19 et à laquelle le Maroc a su répondre et qu’il continue à prendre à bras-le-corps. Toutefois, la vitalité de l’industrie pharmaceutique marocaine et sa capacité à innover ne datent pas d’hier. Les laboratoires pharmaceutiques installés au Maroc, marocains ou étrangers, ont déjà fait la preuve de tout leur savoir-faire en matière de production de médicaments génériques, c’est-à-dire ceux qui ne sont plus couverts par un brevet d’invention (protégé 20 ans). Il s’agit notamment de Sun Pharmaceutical, un grand laboratoire indien qui est le quatrième génériqueur mondial, qui a des usines au Maroc», estime Daoud Salmouni Zerhouni, spécialiste en propriété industrielle. Et de poursuivre : «Mais nous avons également des champions 100% marocains qui innovent et déposent des brevets d’invention au Maroc mais aussi à l’étranger.

Le laboratoire marocain Laprophan en est un excellent exemple, avec une activité en R&D intense, des dépôts de brevets d’invention et une expansion à l’international, ainsi qu’une pénétration du marché européen avec Europhan». Le Maroc a certes réalisé des progrès significatifs en termes de renforcement de la production locale des vaccins, mais n’a toutefois pas encore atteint les objectifs escomptés. «Si dans le domaine de la vaccination animale, deux entités nationales, à savoir la BCI, un laboratoire privé, et Biopharma, une institution publique sous tutelle du ministère de l’Agriculture, sont bien actives, il n’en est pas de même pour la production des vaccins à usage humain. Et ce, malgré une production «Fil & finish» des vaccins Sinopharm par les laboratoires Sothema en 2021, et malgré les investissements colossaux qui ont été consentis pour la construction de l’usine des vaccins Marbio «Ex-Sensyo» de Benslimane pour un montant de près de 500 millions d’euros», explique Abdelmadjid Belaïche, expert en industrie pharmaceutique.

 

Complexité des biotechnologies nécessaires

Selon Abdelmadjid Belaïche, la production de vaccins à usage humain au Maroc accuse un certain retard, et ce pour de nombreuses raisons. A ce propos, l’analyste des marchés pharmaceutiques évoque la complexité des biotechnologies nécessaires à la production des vaccins modernes, notamment les vaccins à ARN, ainsi que le changement du contexte sanitaire mondial avec la «quasi-disparition» de la pandémie de Covid-19. «Ceci a radicalement changé le profil de la demande en vaccins, qui a migré d’une demande quasi exclusive sur les vaccins du Covid-19, vers le retour à une demande moins importante en volume et surtout plus dispersée sur plusieurs types de vaccins, notamment ceux contre les infections virales ou bactériennes classiques. Ce changement a des impacts négatifs sur les économies d’échelle dans la production des vaccins, et est de nature à refroidir les meilleures volontés d’investissement dans ce domaine», explique-t-il. Par ailleurs, l’expert souligne que les capitaux injectés au Maroc en faveur du renforcement de la production locale des vaccins constituent une opportunité précieuse de se positionner dans le secteur des biotechnologies. «Ces investissements représentent non seulement une force de frappe contre d’éventuelles pandémies à venir, mais également une chance de s’affirmer dans le domaine des biotechnologies et d’accéder au club très sélect des fabricants de vaccins. Il s’agit également d’une occasion inédite pour maîtriser enfin le savoir-faire biopharmaceutique des vaccins et ultérieurement des produits à forte valeur ajoutée, tels que les anticorps monoclonaux, utilisés dans le traitement des cancers et d’autres maladies chroniques», détaille-t-il.

L’usine de Benslimane fin prête

Pour ce qui est de l’usine de Benslimane, Belaïche nous a confié qu’elle est fin prête pour produire des vaccins «Made in Morocco» et que ses équipements et installations industrielles et ses ressources humaines qualifiées, sont déjà disponibles. Et de noter que le démarrage effectif de sa production reste tributaire de diverses autorisations administratives (Autorisation de mise sur le marché -A.M.M- et autres), ce qui nécessite un certain temps. S’agissant des retombées économiques de cette industrie sur le Royaume, l’expert relève que cellesci sont potentiellement énormes, mais demeurent difficilement chiffrables.

«En cas de pandémie de grande ampleur telle que celle qu’a connue notre pays en 2020 et en 2021, le Maroc pourra mettre rapidement en place une couverture vaccinale optimale pour sa population, avec des coûts beaucoup plus faibles que ceux payés en 2021 pour acquérir des vaccins contre le Covid», explique-t-il. Pour rappel, l’importation des vaccins lors de la pandémie a coûté au pays près de 6 milliards de dirhams, ce qui a conduit à l’aggravation du déficit de la balance commerciale pharmaceutique, qui est passé de -6,8 milliards de dirhams (Mds de DH) en 2020 à -12,6 Mds de DH en 2021.

L’inextricable affaire de brevets Le sujet de la fabrication des vaccins est systématiquement lié aux restrictions imposées par les brevets et à l’ensemble des barrières de propriété industrielle qui, souvent, limitent la production rapide et à grande échelle de ces produits de santé. A ce propos, Daoud Salmouni Zerhouni affirme qu’il est «extrêmement délicat» de déposer des brevets sur les vaccins. «Très souvent, lorsqu’un vaccin est mis au point, il utilise des brevets déjà existants. Cela pose alors des questions d’atteintes à ces droits antérieurs et de l’accord des titulaires de ces brevets. C’est précisément l’objet du procès qui s’ouvre actuellement en Europe entre, d’une part, Moderna et, d’autre part, Pfizer et BioNtech, la première accusant les deux dernières d’avoir enfreint ses brevets autour de l’ARN Messager, dans la mise au point de leurs vaccins contre le Covid-19», indique le spécialiste en propriété industrielle. Pour ce qui est du cas du Royaume, Salmouni Zerhouni estime que pour le moment, le Maroc n’est pas en mesure de «concurrencer les géants mondiaux de l’industrie pharmaceutique qui disposent de ressources sans commune mesure avec celles des laboratoires marocains».

Et de poursuivre : «En outre, le simple dépôt d’un brevet d’invention ne suffit pas à sa protection. La demande de brevet fait l’objet d’un examen minutieux par les examinateurs de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale (OMPIC) qui vérifient que les conditions de nouveauté, d’activité inventive et d’application industrielle sont bien réunies, appliquant en cela les standards internationaux en la matière. C’est important, car le monopole que confère un brevet d’invention pendant une durée de 20 ans doit être justifié et mérité par l’invention ainsi dévoilée».

Par ailleurs, Salmouni Zerhouni affirme que les obstacles liés au dépôt de brevet n’empêchent toutefois pas les laboratoires marocains d’être innovants et de déposer des brevets d’invention dans des domaines pharmaceutiques autres que celui du vaccin. Néanmoins, l’expert attire l’attention sur le fait qu’en général, les sociétés marocaines ne représentent qu’une infime partie des déposants de brevets d’invention au Maroc, notant que la majorité des dépôts de brevet est d’origine étrangère. D’ailleurs, les derniers chiffres de l’OMPIC démontrent que sur les 449 demandes de brevets déposées en janvier et février 2024, 416 sont d’origine étrangère et seulement 33 sont des demandes d’origine marocaine.

 

 

 

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