Concurrence: «La conformité est devenue un élément clé de la gouvernance d'entreprise»

Concurrence: «La conformité est devenue un élément clé de la gouvernance d'entreprise»

La préservation de la libre concurrence est un levier de développement économique et social indéniable.

Le Conseil de la concurrence joue un rôle important dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles et dans la préservation de la libre concurrence.

Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, présidente de la commission startup et capital risque de l’Union internationale des avocats (UIA) et associée responsable Roudane Law Firm, en collaboration avec Al Tamimi & Co.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

 

 

Finances News Hebdo : Pourquoi aujourd’hui la conformité (notamment règlementaire) est considérée comme un chantier stratégique pour le Maroc ?

Me Nesrine Roudane : De nos jours, la conformité, notamment règlementaire, est devenue un chantier stratégique pour de nombreux pays, y compris le Maroc, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'environnement réglementaire est de plus en plus complexe et en constante évolution. Les entreprises doivent se conformer à une multitude de réglementations, souvent contradictoires ou difficiles à interpréter, ce qui peut entraîner des coûts importants et des risques juridiques. La non-conformité peut également avoir des conséquences néfastes sur la réputation et la confiance des investisseurs, ce qui peut nuire à l'attractivité économique du pays. En outre, les réglementations sont de plus en plus internationales. Les entreprises marocaines sont souvent soumises à des réglementations étrangères, notamment européennes, en raison de leur activité à l'étranger ou de leurs partenariats avec des entreprises étrangères. Par conséquent, elles doivent être en mesure de se conformer à ces réglementations internationales pour éviter les sanctions et les amendes. Enfin, la conformité est devenue un élément clé de la gouvernance d'entreprise. Cette dernière doit démontrer son respect des règles et des normes, non seulement pour se conformer aux lois et règlements, mais aussi pour répondre aux attentes des parties prenantes, telles que les actionnaires, les clients, les employés et la société en général. Pour répondre à ces défis, le Maroc a adopté plusieurs mesures pour renforcer la conformité. Ainsi, des agences de réglementation et des autorités indépendantes ont été créées pour superviser les secteurs clés, tels que la finance, l'énergie, les télécommunications et la concurrence. Ont également été mis en place des mécanismes de contrôle pour s'assurer que les entreprises respectent les règlementations, notamment en renforçant les pouvoirs des régulateurs et en durcissant les sanctions en cas de non-respect. En conclusion, la conformité est devenue un chantier stratégique pour le Maroc en raison de l'évolution rapide de l'environnement réglementaire, de la nature internationale des réglementations et de la nécessité de renforcer la gouvernance d'entreprise. Le Royaume a adopté des mesures pour renforcer la conformité et doit continuer à travailler en étroite collaboration avec les entreprises pour maintenir un environnement réglementaire stable et attractif pour les investisseurs nationaux et internationaux.

 

F.N.H. : Il est vrai que la préservation de la libre concurrence améliore grandement le développement économique. Quel rôle peut jouer le Conseil de la concurrence dans ce sens ?  

Me N.R. : Il est généralement admis que la préservation de la libre concurrence est bénéfique pour le développement économique, car elle encourage l'innovation, stimule la croissance des entreprises et améliore la qualité des produits et services. Le Conseil de la concurrence (CC) joue un rôle important dans la préservation de la libre concurrence en veillant à ce que les règles de la concurrence soient respectées et en prenant des mesures pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles. Le Conseil de la concurrence est une institution publique prévue par la Constitution. Il est chargé de surveiller et de réglementer les activités économiques en veillant à ce que les entreprises respectent les règles de la concurrence. Il joue un rôle important dans la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, telles que les ententes entre entreprises, les abus de position dominante, les fusions et acquisitions qui réduisent la concurrence, ainsi que d'autres pratiques qui limitent la concurrence sur le marché. En s'assurant que les règles de la concurrence sont respectées, le CC favorise un environnement économique sain et équitable pour les entreprises et les consommateurs. Il encourage la concurrence loyale et ouverte sur le marché, ce qui favorise l'innovation et l'amélioration des produits et services. En outre, le CC peut recommander des politiques économiques qui favorisent la concurrence, ce qui peut stimuler la croissance économique. En conclusion, le Conseil de la concurrence joue un rôle crucial dans la préservation de la libre concurrence, ce qui est bénéfique pour le développement économique en encourageant l'innovation, la croissance des entreprises et l'amélioration des produits et services.

 

F.N.H. : La législation de la concurrence a connu plusieurs remaniements, dont la plus récente, n’est pas encore entrée en vigueur. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Me N.R. : Au cours des dernières années, la législation sur la concurrence au Maroc a été soumise à plusieurs modifications afin de mieux s'adapter aux évolutions constantes de l'environnement économique et de corriger les éventuelles lacunes juridiques. Ces modifications ont commencé avec l'adoption de la loi n°06-99 relative à la liberté des prix et de la concurrence en 2000, qui a été révisée par la suite. Ensuite, la loi n°104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence a été promulguée en 2012, introduisant des dispositions importantes pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles, telles que les ententes entre entreprises, les abus de position dominante et les concentrations économiques. En 2018, un projet de loi visant à modifier et à compléter la loi n°104- 12 a été adopté par le Parlement marocain, renforçant ainsi les pouvoirs décisionnels du Conseil de la concurrence. Plus récemment, la loi n°40-21 du 25 novembre 2022 a été adoptée pour améliorer encore davantage la législation sur la concurrence au Maroc. Cette loi comble certaines lacunes et apporte des précisions nécessaires pour une meilleure application de la législation sur la concurrence. Elle introduit également plusieurs points importants, notamment en ce qui concerne le contrôle des concentrations. Les nouvelles conditions relatives à l'obligation de notification au Conseil de la concurrence lors d'une opération de concentration économique ont été précisées, et les parties à la concentration peuvent désormais recourir à une nouvelle forme de notification simplifiée. Les notifications seront également soumises à une redevance fixée par voie réglementaire, et les opérations effectuées par les mêmes parties à une concentration entraînant un changement de contrôle seront considérées comme une seule concentration pendant une durée de deux ans à compter de la date de la dernière opération. En outre, la loi n°40-21 introduit une nouvelle procédure, la procédure de transaction, qui permet une réduction de la sanction pécuniaire à l'encontre des entreprises qui ne contestent pas les griefs qui leur sont notifiés. La sanction pécuniaire sera évaluée en fonction de différents critères, tels que le chiffre d'affaires en relation avec l'infraction et les ventes de biens ou de services réalisées par le contrevenant. Dans l'ensemble, le remaniement de la loi sur la concurrence était nécessaire pour adapter la législation aux évolutions constantes de l'environnement économique et pour corriger les éventuelles lacunes juridiques. La loi n°40-21 apporte des améliorations significatives pour une meilleure application de la législation sur la concurrence au Maroc.

 

F.N.H. : Quelle importance revêtent les sanctions annoncées dans les pratiques anticoncurrentielles relevées dans certaines affaires au Maroc ? 

Me N.R. : Les sanctions annoncées dans les pratiques anticoncurrentielles sont d'une importance capitale, car elles contribuent à prévenir les comportements anticoncurrentiels et à rétablir une concurrence saine et loyale sur le marché. Lorsque le Conseil de la concurrence constate une pratique anticoncurrentielle, il peut prendre une série de mesures correctives et infliger des sanctions financières. Ces mesures correctives peuvent comprendre des injonctions visant à mettre fin à la pratique anticoncurrentielle, des amendes, des ordonnances de restitution de profits illégalement obtenus, etc. Les sanctions financières peuvent être très lourdes et atteindre des montants considérables, comme cela a été le cas pour la société «SIKA AG», qui a effectué une opération de concentration économique sans notification préalable et a été sanctionnée par le conseil d'une amende de 11.670.215 dirhams. Cette affaire constitue d’ailleurs un tournant dans l’appréciation de l’effectivité du droit de la concurrence au Maroc, mais elle n’est pas la seule. C’est le cas également de la sanction prononcée par le Conseil de la concurrence à l’encontre des sociétés «LSF10 Flavum Holdings SARL» et «LSF11 Skyscraper Investments SARL», de 10.683.704,83 dirhams, pour non-notification préalable d’opérations de concentration économique. En outre, les entreprises peuvent subir des dommages à leur réputation et à leur image de marque en raison de l'impact médiatique des affaires de pratiques anticoncurrentielles. En somme, les sanctions imposées dans les affaires de pratiques anticoncurrentielles sont essentielles pour s’assurer que les entreprises agiront de manière équitable et ne porteront pas atteinte à la concurrence. Elles jouent un rôle dissuasif important en décourageant les comportements anticoncurrentiels et en promouvant une concurrence loyale et transparente sur le marché.

 

F.N.H. : Les entreprises ont l'obligation de notifier les opérations de concentrations économiques auprès du Conseil de la concurrence, sans quoi de lourdes amendes sont prononcées. Pourquoi ? 

Me N.R. : Les entreprises ont l'obligation de notifier les opérations de concentrations économiques auprès du Conseil de la concurrence afin d'assurer que la concurrence sur le marché n'est pas faussée par ces opérations. Les opérations de concentrations économiques peuvent avoir un impact significatif sur la concurrence, notamment en réduisant le nombre d'acteurs sur le marché et en augmentant la concentration du pouvoir économique. L'obligation de notifier ces opérations permet au Conseil de la concurrence de procéder à une analyse approfondie des effets potentiels de ces opérations sur la concurrence. Si le CC constate que l'opération de concentration économique est susceptible d'entraver la concurrence sur le marché, il peut prendre des mesures pour corriger cette situation, telles que l'interdiction de l'opération ou la mise en place de mesures correctives. Lorsque les entreprises ne respectent pas cette obligation de notification, elles se soustraient à l'analyse du Conseil de la concurrence et risquent donc de porter atteinte à la concurrence sur le marché. En conséquence, le CC peut imposer des amendes significatives aux entreprises qui n'ont pas notifié leurs opérations de concentrations économiques. Ces amendes servent à dissuader les entreprises de ne pas respecter cette obligation de notification et à garantir un environnement concurrentiel équitable pour toutes les entreprises opérant sur le marché.

 

F.N.H. : Le Conseil de la concurrence a-t-il des positions à prendre dans ce contexte de hausse des prix ? Son pouvoir est-il limité seulement aux cas d’entente sur les prix ? 

Me N.R. : Le Conseil de la concurrence a pour mission de garantir le respect des règles de la concurrence et de prévenir les pratiques anticoncurrentielles. Il peut jouer un rôle important dans l'examen des pratiques commerciales des entreprises pour s'assurer qu'elles respectent les règles de la concurrence et maintenir des niveaux de prix abordables pour les consommateurs. Le CC peut enquêter sur des pratiques telles que les abus de position dominante, les pratiques discriminatoires et les pratiques restrictives de concurrence, qui peuvent contribuer à la hausse des prix, et imposer des amendes ou ordonner la cessation des pratiques anticoncurrentielles. Il peut également émettre des recommandations ou des avis aux pouvoirs publics sur les politiques économiques à mettre en place pour maintenir un niveau de prix abordable pour les consommateurs. Un exemple récent est l'avis émis par le Conseil de la concurrence (n° A/3/22) sur la flambée des prix des intrants et matières premières au niveau mondial et ses conséquences sur le fonctionnement concurrentiel des marchés nationaux, notamment pour les carburants (gasoil et essence). Cependant, le CC n'a pas le pouvoir direct de fixer les prix. Son rôle est de s'assurer que les entreprises respectent les règles de la concurrence et que les prix reflètent les conditions du marché et la concurrence entre les entreprises. 

 

 

 

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