Culture & Société

Tous les articles

Les angles morts de la condition de la femme oasienne au Maroc

Les angles morts de la condition de la femme oasienne au Maroc

S'il y a un consensus sur la pertinence de l’action publique en matière d’inclusion économique et sociale des femmes, le débat reste ouvert quant à celle de la femme rurale. Dès lors, d'autres chantiers complexes sont à l'ordre du jour à l'heure où le Maroc s'apprête à consolider ses acquis en matière d’égalité des droits des citoyens et citoyennes. L’étude de la condition de la femme rurale renvoie à deux principales préoccupations : celle de l’intégration de l’approche genre dans les politiques publiques, et celle de l’autonomisation économique des femmes considérée comme étant un processus qui permet «d’augmenter le capital humain, financier et matériel des femmes au fur et à mesure qu’elles bénéficient des opportunités économiques».

L’intégration de l’approche genre dans les politiques publiques Le Maroc a entrepris plusieurs réformes législatives et institutionnelles visant à intégrer l’approche genre dans les politiques publiques et à promouvoir les droits de la femme. Cette dynamique impulsée par les conventions internationales que le Maroc a signées et ratifiées est inscrite dans la Constitution de 2011, qui consacre l’égalité homme et femme dans les droits et devoirs à travers plusieurs dispositions  de l’article 19, en vertu duquel l’Autorité de la parité est instaurée (par l’article 164). Cette instance doit assurer une mission «d’expertise et d’évaluation des politiques visant à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes dans les domaines politiques et socioéconomiques», tel qu’il ressort de la loi n° 79-14 relative à sa création.

L’État et les autorités publiques garantissent, aux termes de l’article 31, l’égal accès à tous les citoyens et citoyennes, aux programmes et actions des politiques publiques  économiques, sociales, culturelles, et l’accès à l’eau et à un environnement sain. Plusieurs stratégies gouvernementales devaient appuyer la mise en œuvre des politiques publiques inclusives qui visent l’intégration progressive de l’approche genre et le renforcement de l’égalité entre les sexes, à travers les objectifs des Programmes gouvernementaux pour l’égalité IKRAM 1 (2012-2016) et IKRAM 2 (2017-2021) conçus par le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social.

L’intégration de cette approche dans la budgétisation publique devait être consacrée par la loi organique n°130-30 relative aux Finances, qui a consacré le principe de la budgétisation sensible au genre (BSG), renforçant l’engagement des départements ministériels pour l’intégration de l’égalité des sexes dans leur programmation et planification. L’appui à l’intégration du genre dans le Département de l’eau s’est traduit par plusieurs mesures, notamment :

• la prise en compte de la BSG dans la planification et la réalisation des études «pour l’identification et l’évaluation des indicateurs genre, pour des programmes réalisés par les diverses entités de ce département»;

• la déclinaison des axes consacrés par la stratégie d’institutionnalisation de l’intégration du genre dans le secteur de l’eau (SIIGSE), visant l’ancrage de la représentativité des femmes et leur participation à la prise de décision au sein des instances et services relevant de ce Département;

• l’intégration de l’approche genre dans les programmes réalisés en partenariat avec les autres intervenants dans le domaine de l’eau. Le renforcement du rôle de la femme dans la prise de décision en la matière, à tous les échelons (central, régional et provincial), ambitionne la mise en œuvre effective de la prise en compte de l’approche genre dans les programmes d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement des écoles en milieu rural. En dépit de ces avancées notables, plusieurs contraintes socioculturelles subsistent, reléguant la femme et des populations marginalisées au second rang, notamment en milieu rural.

Plusieurs diagnostics montrent en effet que la promotion de la femme rurale ne peut être appréhendée sans prendre en considération la problématique du développement du monde rural dans son ensemble. L’autonomisation économique des femmes rurales révèle un paradoxe, du fait des responsabilités importantes qu’incombent à la femme rurale, notamment dans les espaces oasiens, dans le développement local et son rôle peu reconnu et valorisé sous le poids d’un conservatisme rigoureux qui induit sa marginalisation économique et sociale. Le dynamisme des contributions de la femme, en tant qu'acteur économique, est annihilé par la tutelle qu’exerce l’homme qui dispose du droit de la prise de décision finale.

«La femme ne constitue pas encore une catégorie de "décideurs" à part entière, et cette limitation inhibe le dynamisme global de la société rurale». Bien que l’appréhension du statut de la femme dans l’espace oasien, qui requiert des études socioéconomiques, soit rare et éparse, il s’avère que le rôle qu’endosse la femme dans la petite agriculture est impacté par des vulnérabilités écologiques et économiques de l’écosystème oasien induites par le changement climatique et la migration des hommes et des jeunes vers les villes.

Les obstacles que la femme rencontre tiennent à l’accès aux facteurs de production : au foncier, à l’eau et au crédit, ce qui la cantonne dans un rapport hiérarchisé par rapport à l’homme  : «la division du travail selon le genre est un système social où les deux sexes jouent chacun une série de rôles qui découlent du genre. Cette répartition n'est pas basée sur les aptitudes, mais sur le genre».

L’exclusion de la femme de l'accès à la terre entraine son exclusion systématique de la sphère économique et financière et impacte ses capacités quant à la prise de décision. Quand bien même elle participerait aux responsabilités de la petite agriculture (travaux aux champs, collecte de l’eau, choix de certaines cultures et leur entretien…), parfois en l’absence même de l’homme, le travail agricole non rémunéré qui fait occuper la femme et les filles des heures pendant la journée en tant qu’aides familiales, auquel s’ajoutent les tâches domestiques au foyer, ne valorise pas son statut social déjà impacté par des représentations culturelles fortement ancrées dans la communauté.

La femme oasienne, par ses contributions artisanales agricoles et de transformation des produits de terroir afin de faire diversifier les revenus du foyer, véhicule un savoir-faire ancestral et révèle une sensibilité qui touche également la gestion rationnelle des ressources en eau dont elle a la charge. L’accès à l’eau est un autre volet de la vulnérabilité de la femme, au même titre que ses filles qui doivent assurer la corvée de l’eau pour les besoins du foyer et pour l’irrigation de certaines cultures vivrières dans un contexte de rareté de la ressource.

Les inégalités touchent également les droits traditionnels de l’eau dont le partage est réglé entre les ayants droit masculins : «les femmes sans droits d’eau et sans puits se retrouvent dans les plus grandes difficultés pour irriguer leurs parcelles et subvenir à leurs besoins»  dans un écosystème où la survie de la communauté est fortement tributaire de la disponibilité des ressources en eau.

L’accès de la femme à la terre et à l’eau constitue inévitablement des leviers qui lui permettent de confirmer son statut social et d’être présente aux organes de la prise de décision. Cependant, les conditions réelles de la femme oasienne révèlent une quasiabsence de celle-ci au sein des instances de concertation relatives à la gestion et à l’utilisation des ressources en eau, notamment au sein des associations des usagers de l’eau. L’autonomisation économique des femmes rurales est loin d’être inscrite sur le terrain des réalités.

L’autonomisation économique de la femme oasienne C’est dans le domaine associatif et coopératif que les femmes oasiennes essaient de retrouver une relative émancipation par leur insertion dans le tissu économique afin de se prémunir contre la vulnérabilité et «d’accroître leur pouvoir décisionnel et leur autonomie autant dans la famille que dans la collectivité». L’essor de cette dynamique est tributaire de la responsabilisation des femmes à s’autodévelopper par leurs propres moyens, car il est significatif de constater que certaines femmes oasiennes «participantes à ces actions, le font par la volonté de leur mari pour profiter indirectement des aides de l’État et des bailleurs de fonds, et non pas d’une reconnaissance sociale de la part de la société de leur droit à une relative autonomie financière qui pourrait améliorer leur situation». 

La dynamique des coopératives et des associations féminines est une prérogative de la société civile qui se singularise au Maroc par une vitalité remarquable et par une légitimité acquise auprès des pouvoirs publics et des citoyens. C’est dans ce contexte que les programmes gouvernementaux tels l’INDH et le Plan Maroc Vert (Pilier II) ont impulsé, par des mesures d’accompagnement et d’encadrement, la création de coopératives agricoles, en vue de mutualiser les ressources des adhérents dans la mise en œuvre d’une agriculture solidaire (en matière de gestion des eaux d’irrigation et des travaux agricoles…) et de soutenir l’économie des zones fragiles.

La dynamique territoriale des coopératives agricoles familiales et non familiales s’est considérablement renforcée dans l’espace oasien, impulsée par plusieurs organismes publics nationaux et des ONG internationales, permettant la valorisation de leurs actions pour la durabilité et la préservation de l’espace oasien. Compte tenu de ce diagnostic, force est de constater que les stratégies qui ambitionnent de faire du tissu coopératif et associatif un levier de développement des capacités des femmes oasiennes se sont heurtées à des contraintes managériales, organisationnelles, d’accès au financement, et surtout socioculturelles qui ont impacté leur action, où la prise de décision demeure l’apanage de l’homme, notamment pour les coopératives familiales, le plus souvent présidées par le mari ou le fils ainé, reproduisant ainsi le modèle de leadership patriarcal.

• In fine, hormis de rares exceptions, l’action publique visant l’essor d’une société plus inclusive intégrant la femme et les populations marginalisées n’a pas induit l’émergence d’une identité plus valorisante de la femme rurale, en général, et de la femme oasienne, en particulier. 

 

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Samedi 12 Juillet 2025

e-commerce : les défis d’un marché en pleine croissance

Vendredi 11 Juillet 2025

La CGEM attribue le Label RSE à Axa Services Maroc et le renouvelle à Novec

Vendredi 11 Juillet 2025

La CMR lance la nouvelle version de son application mobile

Vendredi 11 Juillet 2025

L’ANGSPE publie la première édition du rapport sur l’état actionnaire

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux