Lancée pour améliorer la qualité de vie et lutter contre l’exclusion sociale, la mise à niveau urbaine reste entravée par des contraintes structurelles. Problèmes liés au foncier, financement insuffisant et études imprécises compliquent l’avancement des projets.
Par C Jaidani
La mise à niveau urbaine est très importante pour améliorer la qualité de vie de la population, particulièrement dans les quartiers populaires ou sous-équipés, les anciennes médinas et les zones périphériques marginalisées. A travers la généralisation des infrastructures et des équipements de base, cette initiative permettra de lutter contre l’exclusion sociale et la précarité. Elle devrait améliorer l’indice de développement humain et intégrer les habitats anarchiques et les quartiers non structurés dans le tissu urbain.
Rappelons que depuis le lancement de ce programme en 2022, de nombreux chantiers ont été lancés, notamment en matière d’accès aux réseaux de l’eau potable, de l’assainissement et de l’électricité. Il s’agit aussi de l’éradication des bidonvilles et des habitats menaçant ruine. Le programme a profité à 1,6 million de ménages. Interpellée à ce sujet par le groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS) à la Chambre des représentants, Fatima Zahra El Mansouri, ministre de l'Habitat et de la Politique de la ville, a donné un bilan des réalisations.
Dans une réponse à une question orale, elle a affirmé qu’«entre 2015 et 2024, 407 conventions ont été signées dans le cadre de la politique de la ville. Cela a nécessité une enveloppe budgétaire de 66,5 milliards de DH, dont 18 milliards à titre de participation du département de tutelle. Le programme a touché 866 communes, dont 765 rurales». La ministre a évoqué par la suite les contraintes qui impactent le non-achèvement du programme, dont le problème du foncier, le financement ainsi que le manque de précision des études lancées. «Sur 1.262 conventions concernant la politique de la ville, 820 ont abouti, 412 sont en cours et 30 ne peuvent être réalisées», a-t-elle noté.
Pour Driss Effina, professeur universitaire d’économie et président du Directoire du Centre indépendant des analyses stratégiques, «El Mansouri a fait part de contraintes structurelles qui freinent l’achèvement des programmes de mise à niveau urbaine. Il s'agit du problème foncier, du financement insuffisant et du manque de précision des études préliminaires. Ces contraintes sont réelles et reflètent des défis systémiques.
Pour le problème foncier, la rareté des terrains publics, la complexité des statuts fonciers et les conflits de propriété sont des obstacles majeurs. Une réforme foncière s’impose pour fluidifier l’accès aux terrains nécessaires. Concernant le financement, la dépendance à plusieurs parties prenantes pour la mobilisation des ressources financières crée des retards. Il est temps d’explorer des mécanismes de financement innovants, tels que les partenariats public-privé (PPP).
S’agissant des précisions des études, il faut reconnaître qu’elles sont insuffisamment approfondies, aboutissant souvent à des prévisions budgétaires et temporelles irréalistes. Il est impératif de renforcer les capacités techniques des bureaux d’études et d’exiger des analyses plus pointues dès la phase de planification». En cela, afin de réussir la stratégie de mise à niveau urbaine, Effina note qu’«il est nécessaire de capitaliser sur des leviers importants comme la réforme foncière. Dans ce cadre, il est essentiel de mettre en œuvre une politique nationale de régularisation foncière et de simplifier les procédures administratives pour faciliter l’accès au foncier. Quant au renforcement du financement, il est opportun de créer un fonds dédié à la mise à niveau urbaine, soutenu par des contributions publiques et privées. En parallèle, il faut encourager les investisseurs locaux et internationaux à y participer via des incitations fiscales. Pour améliorer la qualité des études et de la planification, il devient nécessaire d’adopter des outils modernes de modélisation et de cartographie urbaine. La garantie d’études fiables passe également par le renforcement de la collaboration avec des experts locaux et internationaux. La réussite de la mise à niveau urbaine nécessite enfin une approche participative. Celle-ci doit impliquer les collectivités territoriales et les citoyens dès les premières étapes pour garantir une adhésion locale. Et renforcer également la coordination entre les différents acteurs institutionnels. Dans le même sens, le développement et l'utilisation de plateformes numériques permettra de suivre l’avancement des projets, d’identifier les blocages et rendre les données accessibles à tous les acteurs».
La multitude des intervenants et des acteurs impliqués dans la mise à niveau urbaine, dont certains opèrent au niveau central et d’autres au niveau local comme les Conseils des villes, les départements de l’habitat, celui de l’intérieur, les agences urbaines et autres administrations, implique une coordination très étroite et des synergies pour réussir le programme. «La mise à niveau urbaine est une responsabilité partagée, et sa réussite dépend d’une coordination inter-institutionnelle efficace. Les Conseils des villes jouent un rôle clé dans l’identification des besoins locaux et la priorisation des projets. En tant qu’entités de proximité, ils sont les premiers interlocuteurs des citoyens et garantissent que les projets répondent aux réalités locales. De son côté, le département de l’Aménagement urbain est responsable de la planification stratégique; il assure la cohérence nationale des programmes de mise à niveau et fournit un soutien technique. Quant au ministère de l’Intérieur, il intervient dans la mobilisation des moyens humains et financiers, en plus de son rôle de supervision des collectivités territoriales. In fine, la mise à niveau urbaine ne peut être réussie que si chaque acteur assume pleinement ses responsabilités dans un cadre de gouvernance intégré. Une charte nationale pourrait être envisagée pour clarifier les rôles et obligations de chaque partie prenante», conclut Effina.