L’économiste Youssef Guerraoui appelle à une révision profonde des mécanismes d’élaboration des Lois de Finances des années à venir. Objectif : s’éloigner d’un modèle dépendant de l’agriculture pour miser sur des secteurs productifs comme l’industrie, le tourisme et les services. Entretien.
Propos recueillis par Désy M.
Finances News Hebdo : Quel bilan faites-vous de la croissance économique marocaine en 2024 ?
Youssef Guerraoui : La croissance économique en 2024 a été mitigée, marquée par une certaine fragilité, notamment à cause du recul des précipitations et d’une récolte céréalière restée faible. Ces facteurs, amplifiés par les changements climatiques, ont limité la contribution de la valeur ajoutée agricole, qui s'est révélée en dessous des attentes. Cependant, une dynamique dans le secteur industriel a permis de stabiliser la croissance, grâce à une valeur ajoutée non agricole qui a contribué à maintenir le PIB autour de 3%. Je pense que cela souligne l’urgence de revoir les mécanismes et les hypothèses à la base de l’élaboration des Lois de Finances pour les années à venir. Malheureusement, la Loi de Finances 2025 ne reflète pas ce besoin. Continuer à fonder les prévisions économiques sur des hypothèses liées à la récoltecéréalière et aux précipitations semble aujourd’hui obsolète. Il est temps de changer d’approche et de se concentrer davantage sur des secteurs productifs comme l’industrie, le tourisme et les services. En innovant dans la préparation des Lois de Finances et en priorisant la valeur ajoutée non agricole, nous pourrions viser des taux de croissance plus ambitieux, autour de 5 à 6%.
F.N.H. : Quelles sont les mesures et les secteurs ayant contribué à une amélioration ou une décélération de la croissance économique du pays ?
Y. G. : Certains secteurs ont affiché des performances remarquables, notamment l’offshoring et les services liés à l’infogérance ou à l’informatique, qui continuent d’enregistrer une croissance à deux chiffres. L’industrie automobile et l’aéronautique se distinguent également par leur contribution à l’économie, avec des chiffres d’affaires significatifs à l’exportation. Bien que ces secteurs soient tournés vers l’extérieur, ils témoignent d’une bonne dynamique économique. Par ailleurs, le tourisme a connu une année exceptionnelle avec des chiffres record. Pour consolider cette dynamique, il sera essentiel d’améliorer la qualité des prestations dans l’hôtellerie et la restauration. À terme, le secteur touristique pourrait devenir l’un des moteurs principaux de la croissance économique, aux côtés de l’industrie. Il est donc impératif de rompre avec le modèle actuel, encore trop dépendant de la valeur ajoutée agricole et des aléas climatiques, pour bâtir une croissance solide sur ces secteurs structurants.
F.N.H. : Comment percevez-vous les nouvelles mesures économiques et fiscales qui entreront en vigueur cette année 2025 pour dynamiser l’économie nationale et répondre aux défis structurels tels que le chômage ?
Y. G. : En ce qui concerne la Loi de Finances 2025, je ne perçois pas de mesures réellement novatrices pour dynamiser l’économie nationale. On retrouve des ajustements classiques, comme la baisse du taux marginal de l’impôt sur le revenu (IR), l’exonération des revenus inférieurs à 40.000 dirhams et la poursuite de la restructuration des taux de TVA en trois niveaux (0%, 10%, 20%). À cela s’ajoute une révision à la hausse de la taxe intérieure de consommation (TIC) sur les produits comme le fioul. Concernant le chômage, la Loi de Finances prévoit une enveloppe de 14 milliards de dirhams. Sur ce montant, 2 milliards sont alloués aux programmes d’appui à la formation et à l’insertion professionnelle, tandis que les 12 milliards restants sont destinés à des subventions pour des investissements productifs censés créer des emplois. Cependant, je n’ai pas constaté de mécanismes clairs qui garantissent que ces investissements atteindront cet objectif. Avec un taux de chômage national dépassant les 13,7% et atteignant 21% chez les jeunes, selon le haut-commissariat au Plan (HCP), les résultats actuels sont préoccupants. En somme, il devient impératif de revoir le paradigme de la Loi de Finances. Nous ne pouvons plus continuer à dépendre de la valeur ajoutée agricole, des récoltes céréalières et des précipitations pour soutenir notre croissance. Le moment est venu d’adopter des hypothèses plus réalistes et d’innover, notamment pour la Loi de Finances 2026, afin de relever les défis socioéconomiques auxquels le Maroc est confronté.