Marketing sportif: «Le seul secteur privé du sport pèse 1,56% du PIB marocain»

Marketing sportif: «Le seul secteur privé du sport pèse 1,56% du PIB marocain»

Le marketing sportif revêt une importance capitale dans la promotion, la commercialisation et le développement des produits ou services. Le branding est un levier d’internationalisation incontournable des entreprises. Entretien avec Khalid Doumou, analyste économiste et financier, ancien joueur et vice-président du Kénitra Athlétic Club- KAC.

 

Par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Le marketing sportif, plus précisément le branding du football, a un impact considérable sur l’économie du sport et donc sur la société. Concrètement, comment peut-on mesurer sa portée aujourd’hui ?

Khalid Doumou : Créer une marque (Brand) permet de générer de l’impact, de l’attention et de la décision d’achat, ce qui est primordial à toute activité lucrative, car cela se matérialise par des ventes et du chiffre d’affaires. Le football de type «associatif» (associations sportives) qui a sévi jusqu’à ce jour au Maroc, ne permet pas de pérenniser les recettes nécessaires à la création d’un club omnisport digne de ce nom, c’est-à-dire auto-suffisant financièrement. Si le Marocain est par essence doué dans la pratique sportive (athlétisme, football et arts martiaux…), la bonne gouvernance sportive a très longtemps fait défaut, car le football est envisagé du point de vue d’un spectacle hebdomadaire ou bihebdomadaire destiné à un public de fans, voire d’ultras qui se reconnaissent dans un club, mais qui ne sont toujours pas un modèle à suivre sur le plan comportemental. J’en veux pour preuve de nombreux incidents tragiques qui ont eu lieu récemment dans certains de nos stades, que ce soit lorsque l’équipe nationale joue, ou lors des matches de championnat. Certains publics sont même souvent interdits de déplacement, ce qui pénalise sportivement leur équipe de cœur. La portée du marketing sportif a été récemment calculée par le bureau de la «FMPS», l’Agence fédérale allemande GIZ et le cabinet conseil IN& Sport. Les données collectées font apparaître l’existence d’au moins 350.000 licenciés répartis sur environ 5.000 associations sportives. L’industrie du sport formel au Maroc représente 2,5% du PIB, et environ 115.000 emplois, dont 21% d’emplois féminins. Le potentiel de ce marché est estimé à 240.000 emplois. Le seul secteur privé du sport au Maroc pèse 1,56% du PIB marocain. On estime le chiffre d’affaires du sport informel à environ 27,5 milliards de dirhams, soit 2% du PIB du Royaume.

F.N.H. : Des échéances importantes attendent le Royaume, à savoir l’organisation de la CAN 2025 et du Mondial 2030. A votre avis, comment professionnaliser le branding à l’approche de ces évènements majeurs ?

Kh. D. : La 34ème édition de la CAN 2023 en Côte d’Ivoire a été organisée dans 5 villes, 6 stades et a accueilli 24 nations pour célébrer la grand-messe du football africain en accueillant 52 rencontres. En 2025, la CAN sera organisée au Maroc, et notre pays est en passe de réaliser de nombreux investissements dans la construction et la rénovation d’infrastructures, de voies d’accès et de lieux d’hébergement, afin de garantir des conditions optimales de transport et d’accueil pour les équipes, les officiels et les fans. L’organisation d’une CAN accroît les demandes d’accueil, stimule l’industrie de tourisme, l’hôtellerie, la restauration, et d’autres secteurs connexes comme celui du transport et de la logistique. Le budget 2024 de la Côte d’Ivoire s’élève à 21 milliards d’euros. Celui du Maroc s’élève à 63,15 milliards de dollars, en hausse de 6,3% par rapport à celui de 2023. L’une des plus grandes fêtes du football avec la Coupe du monde et les Jeux olympiques est la Coupe d’Afrique des Nations. Le football africain a également créé ces dernières années le CHAN, et le football féminin commence à être bien représenté au niveau des clubs et de l’équipe nationale féminine.

F.N.H. : Le ‘nation branding’ a été réussi au Qatar 2022, et le succès de l'équipe nationale marocaine y a grandement contribué. Comment peut-on améliorer ce facteur de compétitivité stratégique ?

Kh. D. : La campagne victorieuse de la sélection marocaine au Qatar en 2022 (première équipe africaine et arabe à atteindre le stade des demifinales) a effectivement eu des retombées très positives en termes d’image de marque du produit «Morocco». Cela s’est d’ailleurs traduit par un engouement populaire énorme pour la pratique du football, que ce soit des hommes ou des équipes féminines (FAR, Sporting Club de Casablanca, équipe nationale). Après la Coupe du monde qatarie, le Maroc a réalisé un record d’affluence de plus de 13,2 millions de touristes en 2023. Les résultats obtenus par le groupe de Walid Regragui, ainsi que l’esprit bon enfant de nos joueurs fêtant leurs victoires avec leurs parents ont montré le visage d’un nouveau Maroc : conquérant, humain, conscient de ses forces et ouvert au monde (un grand nombre de binationaux sont bien intégrés dans le groupe). Le football, sport le plus populaire de la planète, lorsqu’il sort vainqueur de ses confrontations, est un vecteur d’unification et de fierté partagée à l’échelle nationale par tout le monde. Mais pas que, aucun autre événement que le football mondial ne peut amener le Chef d’État d’un pays étranger, avec le statut de l’Emir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, à brandir fièrement le drapeau marocain à chacune de nos victoires. A la suite de ce succès au Qatar, une des plus grandes nations du football mondial (le Brésil Ndlr) a également accepté de se confronter amicalement le 26 mars 2023 à l’équipe du Maroc à Tanger. Pour améliorer ce facteur de compétitivité national, nous devons poursuivre nos exploits dans toutes nos sorties à l’international (Coupe du monde, CAN, Jeux olympiques, futsal, coupes africaines).

F.N.H. : Peut-on dire que le football est aujourd’hui le nouvel outil du soft power marocain ?

Kh. D. : «Hala hala hala lemgharba sbo3a o rejala Diro Diro Niya Ynsorna L3ali Ta3ala». Cette chanson résonne dans la tête de tous les Marocains qui ont connu un succès d’influence sans précédent en terre qatarie. Le Maroc ne s’est d’ailleurs pas illustré que sur le plan sportif, mais également sur le volet sécuritaire, par son professionnalisme pour venir prêter main forte aux services de sécurité locaux dans cette mission de sécurisation de cet allié stratégique qu’est devenu le Qatar pendant les mois de novembre et décembre 2022. Bien entendu, lorsque les résultats sont là, que le comportement des supporters marocains est exemplaire, et que le Maroc se présente comme partenaire stratégique (au Qatar, mais également lors des prochains Jeux olympiques de Paris devant se dérouler du 26 juillet au 11 août prochain), les bons points sont récoltés par notre diplomatie parallèle, et viennent renforcer le très grand travail réalisé par notre ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger.

L’exemple du football comme outil d’image et levier d’influence à l’international est plus flagrant en Arabie Saoudite. Celle-ci s’est payée les plus grandes stars du football mondial pour améliorer son image, écornée depuis la guerre du Yémen et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat d’Arabie Saoudite en Turquie, en 2018. Outre le recrutement par les clubs saoudiens de sportifs à la renommée planétaire, on peut aussi citer la tentative de rachat d’un club de football (avortée dans le cas de Manchester United en 2018, mais finalement réussie avec Newcastle acquis par le PIF, le richissime fonds souverain abondé par les revenus du pétrole), l’organisation du rallye Dakar depuis 2020 qui permet de valoriser les paysages saoudiens, de même que le tour d’Arabie Saoudite en cyclisme. Alors qu’il accueille les Jeux olympiques asiatiques d’hiver (2029) et d’été (2034), le royaume ambitionne même d’organiser les Jeux olympiques d'été en 2036. Le 1er novembre 2023, le président de la FIFA, Gianni Infantino, a annoncé que l'Arabie Saoudite organisera la Coupe du monde de football 2034, sans attendre la fin du processus de désignation qui devait s'achever fin 2024.

F.N.H. : Quels sont les leviers du marketing sportif sur lesquels on doit capitaliser ?

Kh. D. : Ce sont souvent des fonds d’investissement ou des Family offices (grandes fortunes familiales) qui ont récemment investi dans les plus grandes écuries du football européen. L’Arabie Saoudite, quant à elle, est en train de mener une campagne. Pour ce qui est du football marocain, nous disposons de clubs gérés de manière professionnelle, et d’autres qui reposent sur une très grande base populaire pour rester au sommet de la hiérarchie du football national. Les grands clubs nationaux que sont le Wydad et le Raja de Casablanca, les FAR et le Fus de Rabat, et la Renaissance sportive de Berkane ont un point en commun. Ce sont des clubs qui possèdent des centres de formation qui produisent des joueurs capables de jouer les premiers rôles dans le championnat «Botola 1», tout en ayant la possibilité de contracter des joueurs étrangers, notamment africains (nouveauté pour les Far depuis 2017). Ce qui leur a permis de réaliser de bons résultats sur la scène footballistique continentale. La quasi-majorité de nos clubs d’excellence n’arrive pas à fixer des objectifs à moyen et long terme, vu la fragilité et l’instabilité de l’équipe dirigeante, ce qui influence la bonne marche de l’organisation sportive.

L’un des principaux leviers est de créer de véritables sociétés sportives à but lucratif, où les dirigeants du football national ne fonctionnent plus sur le seul modèle du bénévolat, mais deviennent des salariés du club qui les emploie. On ne peut pas travailler à temps partiel dans un club, et vouloir créer des structures managériales d’exception et pérennes. Aussi, les stades doivent être cédés (définitivement ou sur la base de baux pluriannuels) aux équipes sportives des villes et ne plus rester aux mains des mairies incapables de gérer convenablement des infrastructures sportives de très grande taille. Cela n’est pas encore arrivé, car l’assiette foncière de nos stades est considérée comme un actif stratégique pour de nombreuses mairies. Ces dernières ne disposent pourtant pas des financements nécessaires pour pérenniser la gestion d’infrastructures sportives de grande taille. C’est là où réside le problème de notre incapacité à gérer la maintenance de nos infrastructures. En outre, un stade remis en gestion déléguée à des équipes d’experts du management sportif permettrait d’attirer des investisseurs étrangers dans le giron de clubs marocains. La récente affaire Saïd Naciri du WAC devrait nous faire définitivement prendre conscience de la nécessité d’institutionnaliser la gestion des clubs d’excellence du Maroc. Le statut social ou politique d’une personne ne doit plus faire la réussite d’un club, mais un ensemble de centres de profits mis à la disposition de nos différents clubs nationaux. L’iniquité du sponsoring sportif à l’échelle nationale : certains clubs bénéficient de la part du lion et d’autres de simples miettes, alliée à l’incapacité de nombreux clubs de bénéficier de leurs propres centres de préformation et de formation autonomes. Cela doit nous orienter vers la privatisation et la libéralisation du management sportif à l’échelle nationale.

L’accès au foncier ou aux stades existants doit être rendu plus évident pour les actuelles associations sportives représentant les différentes villes du Royaume. Soit nous décidons de niveler notre football par le haut au niveau infra-étatique, pour permettre au football marocain d’avoir accès aux marchés internationaux de capitaux, soit nous nous condamnons par défaut de moyens, à ne pas réaliser un véritable bond en avant de notre politique footballistique nationale si le football continue d’être dirigé par un seul centre de décision qu’est la Fédération royale marocaine de football. Les institutions survivent aux hommes, même aux plus charismatiques et efficaces dans leur monde. L’institutionnalisation du sport en général et du football en particulier comme locomotive du sport national, passe par la polycentricité des centres de décisions. L’économie du sport est un véritable vecteur de croissance et d’emplois si ce secteur est ouvert à la libre concurrence et à la bonne gestion des personnes éclairées et suffisamment qualifiées pour lever encore plus haut le drapeau national. Faire fallacieusement croire que la famille du sport marocain est déshéritée en matière de grands talents aura toujours pour effet la paralysie d’un secteur porteur pour l’économie nationale.

Le sport marocain a connu ses heures de gloire en athlétisme, boxe, Muay thaï, tennis, football, pétanque, sport automobile, surf, judo, et j’en passe. Si nous voulons faire revivre la flamme de tous ces sports, il faut nommer les bonnes personnes à la tête des différentes fédérations nationales, et accorder un peu plus d’autonomie de gestion aux clubs. Le ministère de la Jeunesse et des Sports peut mieux faire s’il s’entoure de véritables consultants professionnels, et si le sport retrouve ses vertus de jeu, plutôt que d’enjeu. La clé de la réussite étant toujours une formation de haut niveau et une gestion intelligente, rigoureuse et honnête des deniers que peut rapporter notre sport national. Sans oublier les retombées en termes d’emplois créés. L’étude quantitative dont je vous ai parlé en début d’interview pourrait faire passer l’emploi sportif au Maroc de 115.000 personnes à 240.000, si ce secteur était mis entre de bonnes mains et sur de bons rails. L’effet Coupe du monde 2030 va booster l’économie marocaine pour les sept prochaines années, cela est indéniable. Mais l’après Coupe du monde est aussi un challenge auquel nous devons nous préparer dès à présent pour bien former les hommes, et ainsi bien valoriser et gérer les infrastructures de toutes sortes dont nous allons hériter après 2030. Et bonne CAN 2023 à nos lions Incha Allah ! 

 

 

 

 

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