La disponibilité de biens nouveaux mettra du temps. L’acquisition d’un bien en formule VEFA n’est pas applicable à la Mourabaha. Entretien avec Amine Mernissi, expert en immobilier.
Finances News Hebdo : L’immobilier connaît depuis des années un marasme qui semble perdurer. Avec les nouvelles dispositions prises par le gouvernement, pensez-vous qu’il peut y avoir un début de relance du secteur en 2024 ?
Amine Mernissi : Il y a la relance par l’offre et la relance par la demande. Les nouvelles dispositions prises par le gouvernement en 2024 conjuguent les deux
En effet, le Programme d’aide directe au logement, notamment dans son volet distribution de la subvention financière aux primoacquéreurs d’un logement, est pleinement effectif depuis ce 1er janvier à travers la plateforme www.daamsakane.ma. Pour les personnes éligibles : 100.000 DH d’aide directe pour l’acquisition d’un logement de moins de 300.000 DH et 70.000 DH pour celui dont le prix se situe entre 300.000 et 700.000 DH. Cela constitue à la fois un levier dont la portée est sociale et économique. Par conséquent, c’est une offre immobilière renouvelée qui est attendue et également une demande nouvelle qui va s’exprimer. Preuve en est, depuis le lancement de la plateforme, près de 31.000 demandes de logement y ont afflué, chiffre arrêté au 18 janvier seulement. Près des ¾ de cette demande concernent des logements à 300.000 DH et moins, et le reste pour ceux entre 300.000 et 700.000 DH. A noter que plus de 20% des demandes émanent des MRE. L’engouement populaire pour ce programme est donc clair, tant pour la classe sociale défavorisée que pour la classe moyenne. A condition que cet engouement soit le même du côté de la production pour satisfaire cette demande ! Et là, je regarde vers le secteur privé qui est la condition sine qua non de la réussite de ce programme. A titre de rappel, dans le programme gouvernemental précédent, à savoir celui du 250.000 DH, la promotion immobilière privée a réalisé plus de 90% de l’offre… Donc oui, le marasme dont vous parlez peut laisser place à la relance effective, mais à la condition qu’une demande rencontre son offre sur le terrain dans la réalité, pas uniquement à travers des chiffres. Autrement dit, il s’agit de traduire ces chiffres prometteurs en chantiers.
F.N.H. : De nombreux professionnels du secteur, dont les promoteurs, estiment que l’aide au logement ne pourra pas atteindre tous ses objectifs puisqu’elle concerne les permis d’habiter de 2023, alors qu’il existe beaucoup d’unités à déstocker. Actuellement, la plateforme lancée par le département de tutelle connaît une forte demande, mais les logements ne sont pas encore disponibles. Quel est votre avis ?
A. M. : L’aide au logement n’a pas été conçue pour déstocker les invendus. Elle est là pour injecter dans le marché une offre nouvelle, donc à créer, et celle dont le permis d’habiter date du 1er janvier 2023. Pas avant. Mais on peut aussi comprendre l’inquiétude des professionnels du secteur dont les biens produits sont plus anciens et qui se retrouvent en concurrence directe avec des produits subventionnés et parfois dont la fourchette de prix de vente est la même… Le programme aurait pu élargir l’éligibilité des biens concernés à des biens dont le permis d’habiter remonte à 2021 par exemple. Cela aurait permis aux professionnels qui ont un stock qui répond aux critères, de le céder plus facilement et de passer à autre chose, notamment à ce nouveau programme. La forte demande exprimée à travers la plateforme confirme une fois de plus que l’attente est grande. La disponibilité de biens nouveaux mettra du temps. Il aurait été judicieux, ne serait-ce que le temps de la voir déployée, de permettre à des biens un peu plus anciens de trouver acquéreur. Tout le monde aurait été gagnant.
F.N.H. : Mourabaha connaît un grand intérêt de la part des acquéreurs. Quels sont les éléments de cette formule à ajuster pour créer une nouvelle dynamique dans le secteur ?
A. M. : La Mourabaha est une formule inspirée des principes de la finance participative et s’érige comme une alternative qui séduit de plus en plus d’acquéreurs au Maroc. Sa progression à fin septembre 2023 montre une hausse de 14,8% par rapport à l’année précédente, selon les chiffres de Bank Al-Maghrib. Avec ce mécanisme, la banque n’est pas seulement un prêteur, mais un partenaire qui achète le bien pour le revendre à l’emprunteur. Un de ses principes est de ne financer que ce qui «existe déjà», c’est-à-dire qu’aujourd’hui l’acquisition d’un bien en VEFA (vente en état futur d’achèvement) n’est pas applicable à la Mourabaha. Or, nous savons tous qu’acquérir via la VEFA est un levier financier à la fois pour le promoteur et une formule avantageuse qui trouve preneur du côté de l’acquéreur.
F.N.H. : Le foncier reste le nerf de la guerre pour développer l’immobilier. Quel rôle peuvent jouer les terrains appartenant à l’Etat pour relancer le secteur, particulièrement pour les segments subventionnés ?
A. M. : En effet, les «3 F». Avec la fiscalité et le financement, le foncier est le nerf de la guerre en matière de développement immobilier. C’est la matière première ! L’Etat a un rôle à la fois de stratège et de régulateur du marché. Et son action vient à point nommé pour donner une vraie impulsion à ce nouveau programme de logements subventionnés. Et encore et toujours, en libérant du foncier qui permette de réaliser de façon économiquement viable ce type d’opérations immobilières où le facteur coût est primordial. Il n’y a pas de secret ni de miracle. Alors, l’annonce de la mise en place de 12 agences urbaines régionales est le prélude d’une solution à cette problématique ? L’avenir nous le dira.