Le Maroc a été l’un des tout premiers pays d’Afrique à élaborer une politique active à destination de sa population émigrée.
Les banques doivent également jouer leur rôle pour encourager les MRE à orienter une partie de leur épargne vers ’investissement au Maroc.
Entretien avec Khalid Karbouai, professeur universitaire et expert en entrepreneuriat.
Propos recueillis par Ibtissam Z.
Finances News Hebdo : Tout d’abord, quel bilan faites-vous des transferts des MRE ?
Khalid Karbouai : Les transferts constituent le premier avantage de la migration pour le pays d'origine. En effet, le Maroc a été l’un des tout premiers pays d’Afrique à élaborer une politique active à destination de sa population émigrée. Aujourd’hui, l’un de ses objectifs, en plus de maintenir les transferts d’argent des MRE, est d’accroître la part des transferts allouée à l’investissement. La majorité des transferts provient essentiellement de nos ressortissants dans les pays de l’Europe, les pays du Golfe et de l’Amérique. En 2021, en pleine crise de la Covid-19, les transferts des MRE ont atteint un record, avec une augmentation de 37% contrairement aux prévisions de Bank Al -Maghrib et du HCP. Cela dit, malgré la crise du Coronavirus qui a eu des répercussions sur l’emploi, le pouvoir d’achat, avec une crise économique et financière sans précédent, l’entrepreneur MRE a fait preuve d’agilité et de résilience. Cette hausse des transferts trouve son explication dans les potentialités entrepreneuriales du MRE qui dépassent celles de son homologue local, selon notre étude comparatiste avec les entrepreneurs locaux effectuée en 2017. L’étude a été portée sur la recherche des potentialités entrepreneuriales des Marocains résidant à l'étranger de retour.
F.N.H. : Malgré des transferts records, 2% seulement sont orientés vers l’investissement productif. Comment expliquer ce fossé énorme à votre avis ?
Kh. K. : Les différentes études menées à ce sujet mettent en lumière des résultats contrastés. En fait, la majorité des transferts va à la consommation et à l’épargne (70%), puis le reste est placé dans des investissements dits non productifs comme l’immobilier. Les 2% du total des transferts des MRE, tels qu’indiqués par les données statistiques, sont affectés à l’investissement productif (tourisme et industrie). Plusieurs raisons d’ordre économique, psychologique et social peuvent expliquer ce constat. Sur le plan économique, le MRE dispose de très peu d’informations sur les opportunités d’investissement dans son pays d’origine. Ce manque d’informations engendre un manque de confiance pour orienter l’épargne vers des investissements productifs. Il préfère donc orienter son épargne vers un investissement qui présente peu de risque, à savoir le foncier et le logement. De plus, la plupart des projets sont financés grâce aux apports personnels des migrants, sans recours aux emprunts bancaires. Cela explique également le montant faible dédié à l’investissement productif.
Du point de vue sociologique, le MRE cherche d’abord à choisir un investissement lui permettant d’avoir un pied dans le pays d’origine. Il commence généralement par l’immobilier. Cela représente pour lui un accomplissement de soi et il cherche à développer des micros projets d'infrastructures et d'équipements de première nécessité, indispensables pour les populations locales. De tels investissements témoignent de la solidité des liens qu’entretiennent les MRE avec leur région de départ et de l’intérêt qu’ils accordent à la situation économique de leurs familles restées au pays. Cela représente une réussite de l’entrepreneur vis-à-vis de la famille. Par ailleurs, l’expérience migratoire permet naturellement à l’immigré marocain de retour de développer des compétences dans le pays d’origine qui ne sont pas transférables dans son pays d’accueil, ce qui peut représenter un frein psychologique à la création pour l’entrepreneur MRE. En effet, le MRE qui a vécu pendant un moment loin de son pays d'origine, dispose de peu d'informations sur l'environnement économique de son milieu d'origine et de l'intensité de la concurrence existante. Son réseau personnel et professionnel ainsi que son entourage familial sont ses seules sources d'information.
F.N.H. : Pour encourager l’investissement au profit des Marocains résidant à l’étranger, des mesures devraient être prises, dont la simplification des démarches administratives. Justement, quel rôle peut jouer l’Etat pour améliorer l’investissement productif des MRE ?
Kh. K. : Aujourd'hui, l'investissement des migrants pour le développement de leur pays ou leur région d’origine est primordial. Ce n’est plus seulement le volume des transferts qui est désormais pris en considération, mais le contenu économique vers l’investissement productif ou vers l’épargne financière. Conscients de l’impact positif que l’investissement des migrants peut avoir sur le développement économique des pays d’origine, le Maroc a entrepris des réformes visant à stimuler ce type d’investissement. Le gouvernement actuel œuvre pour l'élaboration d'une nouvelle feuille de route relative à l'amélioration du climat des affaires, considérée comme une condition sine qua non pour la simplification et la facilitation de l'investissement et de l'entrepreneuriat, parallèlement à l'élaboration de la nouvelle charte de l'investissement et ses textes d'application. D’ailleurs, Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de l'Investissement, de la Convergence et de l'Evaluation des politiques publiques, a fait savoir à travers la tenue de quatre réunions interministérielles, que le gouvernement s'est attaché à prendre des mesures concrètes, conformément aux hautes instructions royales. Et ce, pour garantir la mise en place de cette charte, mettant en exergue ses axes prioritaires, en particulier la simplification des démarches administratives, la mise en œuvre effective de la charte de décentralisation administrative et la facilitation de l'accès au foncier.
Répondant à une question portant sur la simplification des démarches administratives au profit des MRE, le ministre a relevé que le gouvernement œuvre pour la mise en place de mécanismes d'appui et d'accompagnement appropriés au profit des Marocains du monde. Et de noter que des travaux sont en cours pour mettre en place une cellule spéciale d'accueil et d'orientation de la communauté MRE. L’Etat peut et dispose des moyens pour développer l’entrepreneuriat des MRE. Mais si les résidents au Maroc n’ont pas assez d’informations sur les projets pour le développement de l’entrepreneuriat au Maroc, qu’en est-il du MRE qui réside loin de son pays ? Pour remédier à cette situation, l’Etat doit mettre en place un dispositif de communication puissant. A cet effet, les ambassades et les consulats doivent se rapprocher davantage de nos MRE établis à l’étranger pour communiquer sur les opportunités d’affaires et d’investissement. Par ailleurs, les banques doivent également jouer leur rôle pour encourager les MRE à orienter une partie de leur épargne vers l’investissement au Maroc. Force est de constater qu’au niveau des centres régionaux d’investissement, le système informatique ne permet pas de distinguer, lors de la création d’entreprise, entre entrepreneur résident local et entrepreneur MRE. Par conséquent, l’Etat ne peut pas disposer des chiffres réels sur la part des entreprises créées par les ressortissants marocains.
F.N.H. : Selon vous, quels sont les facteurs clés pour un climat des affaires favorable à l’investissement des MRE ?
Kh. K. : Le MRE a vécu pendant un moment loin de son pays d'origine. Il dispose donc de peu d'informations sur l'environnement économique de son pays et l'intensité de la concurrence existante. Son réseau personnel et professionnel ainsi que son entourage familial sont ses seules sources d'information. Pour rendre le climat favorable à la création d’entreprise par les MRE, il faut permettre à ces derniers une meilleure connaissance de l’environnement et des opportunités qu’il présente. Plusieurs dispositifs d'aide à la création d'entreprise n'ont pas abouti parce qu'ils n'ont pas tenu compte de la dimension individuelle et de celle de l'environnement du porteur de projet. A ce titre, les programmes d’accompagnement par les organismes d’aide à la création d’entreprise doivent tenir compte de cette dimension psychologique du créateur, de son parcours professionnel et de la réalité du contexte dans lequel il a vécu et de celui où il souhaite créer.
F.N.H. : Quelle différence y a-t-il entre le profil de l’investisseur local et son homologue étranger ?
Kh. K. : Les travaux de recherche ont montré que l’entrepreneur MRE dispose de plus de potentialités que son homologue résident local. En effet, l’ouverture culturelle et l’ouverture sur l’international sont considérées comme des vecteurs favorables au développement des potentialités entrepreneuriales. Cette expérience migratoire permet donc de développer des caractéristiques intrinsèques comme l’accomplissement, l’autonomie, la prise de risque, la créativité qui sont nécessaires pour réussir dans tout projet entrepreneurial. La bonne connaissance de l’environnement et des opportunités d’affaires représentent des potentialités entrepreneuriales en faveur de l’entrepreneur local.