Intrants importés et extrant non exportable: notre recette de protectionnisme à la sauce tomate

Intrants importés et extrant non exportable: notre recette de protectionnisme à la sauce tomate

La tomate, nous la cultivons sur nos terres et nous en récoltons assez pour nourrir l’Angleterre. À l’origine, une semence généreuse, implantée en particulier dans la région du Souss et dont les fruits sont récoltés au long de l’année. La raison en est que c’est une culture sous serre, quoiqu’il serait trop dire de la qualifier de «culture en microclimat», puisque la canicule, les vagues de froid et les autres aléas climatiques sont susceptibles de se transmettre, et même s’intensifier, au milieu des structures closes.

D’où le profil saisonnier du prix de la tomate qui reflète, outre les pressions de la demande, l’effet du macroclimat sur le poids des récoltes. Cependant, les fluctuations récentes du prix de la tomate ne peuvent nullement être interprétées comme une simple accentuation de la saisonnalité du prix de la tomate, du fait que les pics les plus hauts n’ont pas été compensés par des creux encore plus bas.  Et c’est pourquoi les six derniers mois semblent être en dehors du temps cyclique de la tomate et indiquent une rupture de tendance.

«C’est une inflation par les coûts», aiment à dire nos agriculteurs, opportunément relayés par nos décideurs publics. C’est ainsi qu’on a eu droit à des exposés sur la structure de coût d’un kilogramme de tomate, imbriqués dans des discours politiques qui virent souvent vers des cours de comptabilité analytique. Néanmoins, sensibiliser le consommateur marocain en expliquant les facteurs exogènes de l’inflation ne suffisait pas pour y remédier. Il fallait donc réagir, et l’une des mesures phares prises par le gouvernement marocain était le rationnement quantitatif des exportations, tantôt via des quotas imposés aux opérateurs, tantôt via des suspensions pures et dures. L’idée consiste à créer un excès d’offre sur le marché domestique en vue d’enclencher un mécanisme d’absorption par la baisse des prix. Le coût d'opportunité d'un stock non vendu de tomates fraiches étant extrêmement élevé, les agriculteurs et les intermédiaires préfèrent rétrécir leurs marges de profit, et vont même jusqu’à des ventes à des prix relativement inférieurs aux coûts.

Théoriquement, il s’agit de convertir un bien échangeable entre une offre nationale et une demande mondiale, en un bien non échangeable dont le prix obéit aux mécanismes du marché local. L’énorme écart de prix qui en résulte s’explique donc par le passage d’une logique de parité de pouvoir d’achat international vers une logique d’offre et de demande domestiques. En bloquant les canaux d’écoulement à l’étranger, le gouvernement a impulsé un choc de demande pour remédier à un choc d’offre, créant ainsi un excès de production que seule une baisse des prix peut éponger.

Sauf qu’à vouloir protéger notre production locale en tomates, l’on tend à oublier qu’il s’agit d’un extrant quasiment importé, eu égard à l’origine étrangère de la majorité de ses intrants. Ces derniers vont des engrais et fertilisants azotiques aux tuyaux d’irrigation, en passant par les serres en plastique, les équipements en métal, les pesticides et insecticides, les fortifiants et stimulants, le gaz et le gasoil, sans oublier les semences. C’est dire que notre valeur ajoutée se réduit à nos mains, nos eaux et nos terrains, alors que tous les autres inputs, y compris les logiciels de gestion, le matériel informatique et administratif des domaines agricoles, proviennent de l’extérieur et se soldent par sorties conséquentes de devises.

De plus, l’agriculteur marocain s’est habitué à alterner entre, d’un côté, les hauts profits financiers que lui offrent les stations d’export et, d’un tout autre côté, le profit bas que lui imposent les intermédiaires aux marchés de gros. Sachant que les prix à l’export ont un effet compensatoire sur les prix relativement bas aux étalages sur les marchés locaux. De ce fait, assouvir la demande intérieure par une simple ponction sur l’offre écoulée à l’extérieur revient donc à compromettre le lissage du cycle financier des agriculteurs face à la dynamique intrinsèque du cycle d’exploitation de la tomate au Maroc.

En somme, la rationalité suppose que lorsqu’on se procure les ingrédients d’une recette en devises, le prix du plat qui en est fait devrait s’aligner sur la parité internationale du pouvoir d’achat. Sauf que si le coût des ingrédients renchérit, on peut tenter de baisser le prix du plat en faussant les lois du marché et en forçant un excès d’offre. On peut, pour ainsi dire, penser localement et agir globalement. En tout cas, c’est l’ingénieuse idée qu’a eu le gouvernement marocain pour endiguer une inflation décidément importée. Une idée certes taxée d’interventionniste, voire de protectionniste, mais finalement, qui s’en soucie ? En termes de résultats, c’est avec des Dirhams en moins que s’est écoulée une production initialement destinée à rapatrier plus de devises.

 

 

Par Hachimi Alaoui Professeur d'économie monétaire et directeur d'équipe de recherche

 

 

 

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