Nous y voilà : le gouvernement a fini par admettre, à contrecœur, l’inefficacité des mesures entreprises contre l’inflation et ne sait plus par quel bout prendre ce fléau. Sur un autre registre, Bank Al-Maghrib continue de se battre contre des moulins à vent, à travers des hausses autant mystérieuses qu’inefficaces du taux directeur. Seul Ahmed Lahlimi, le hautcommissaire au Plan, fait preuve de lucidité implacable. Une denrée rare en ces temps de crise. Car oui, comme le rappelle Lahlimi, ça fait un bon bout de temps que l’inflation n’est plus énergétique, mais structurelle. Elle est désormais l’expression de plusieurs réformes non abouties, mal réalisées ou ratées, avec en haut du podium le «Plan Maroc Vert». Mais ce n’est pas là l’objet de notre chronique.
La vraie question est : estce qu’un citoyen lambda peut traverser ce tourbillon, sans y laisser trop de plumes ? Première étape, devenir lucide en arrêtant de caresser le doux rêve de lendemains qui chantent. Car l’inflation actuelle n’est pas conjoncturelle, puisque l’on est rentré, et ce à l’échelle mondiale, dans un cycle inflationniste dont la durée de vie se compte en décennies. Et à moins d’un effondrement total du système financier mondial, ce qui n’est pas à exclure, je ne vois pas comment on pourrait s’extirper de ce marasme économique. Quant à ceux qui s’attendent à une baisse des prix, j’envie leur optimisme. Car quand bien même nous aurions en 2024 une inflation de seulement 2%, ça demeure toujours 2% par rapport à des prix qui intègrent les 10% de hausse de l’année précédente.
De même, une baisse généralisée des prix n’est possible que dans un schéma de déflation, qui est Ô combien plus dangereux et problématique que l’inflation. Nous voilà désormais lucides, tâchons maintenant d’être pragmatiques, en essayant de prendre le taureau par les cornes. Si vous êtes entrepreneur, sachez que vous êtes dans l’obligation d’avoir un taux de rendement au moins égal à l’inflation. Mais avec 10% d’inflation, je vous souhaite bonne chance, à moins que vous ne soyez le futur Steve Jobs. Par conséquent, votre mission sera de réduire la casse au maximum, en augmentant le plus possible votre taux de rendement. Cela peut passer par le fait de se délester des activités les moins rentables pour vous concentrer sur vos marchés les moins saturés et les plus rentables. Ça peut aussi passer par une stratégie de niches, en faisant preuve d’agilité et de flexibilité. Ou encore par une stratégie «Océan Bleu», à travers un schéma d’innovation permanente.
Bref, vous avez compris : débrouillez-vous comme vous voulez, mais votre taux de rendement ne doit aucunement stagner ou baisser. Si vous êtes salariés, vous n’avez pas trente-six choix. Vous êtes dans l’obligation de repenser la structure de vos dépenses. Certaines sont rigides et incompressibles (loyer, facture énergétique, crédit...). D’autres sont plus élastiques. Mais bonne nouvelle : sur les dépenses incompressibles, vous êtes en quelque sorte gagnant. Prenons par exemple le loyer. La loi marocaine autorise le propriétaire à augmenter le prix du loyer de 8% tous les 3 ans. Or, si une inflation autour de 8-10% par an venait à s'inscrire dans la durée, c’est le locataire qui est gagnant. Car nominalement, il payera plus au bout de 3 ans, mais en termes réels, cette somme aura perdu 26% (inflation cumulée) de sa valeur, autrement dit de son pouvoir d’achat. Donc même si vous payez plus cher nominalement; réellement, la valeur de votre loyer a diminué de 26% - 8% = 18%. Il en va de même pour vos traites de crédit. De même, si vous avez contracté un crédit avant cette période inflationniste, soit à une époque où les taux affichés par les banques étaient de 4% environ, vous êtes également gagnant, et c’est la banque qui perd sur ce coup, car le taux réel, soit taux de crédit nominal moins l’inflation, est dans ce cas négatif : 4% - 8% = -4%. Mais vous me direz : «cela me fait une belle jambe de l’apprendre, car mon problème, c’est de pouvoir joindre les deux bouts à la fin du mois».
C’’est là que les dépenses élastiques interviennent. Par là, j’entends toutes les dépenses non vitales, soit les dépenses de loisirs ou de confort. Ainsi, oubliez les sorties hebdomadaires au resto, et redécouvrez les vertus des plats faits maison. Ça fera du bien autant à votre porte-monnaie qu’à votre estomac. Les gastrologues et nutritionnistes ne vont pas me contredire. Mais cette inflation étant désormais principalement alimentaire, plus de 20%, ça sera quand même compliqué de concocter des plats économiques. Il faudra donc nécessairement changer de stratégie alimentaire à travers des arbitrages, en faisant par ricochet jouer le jeu de l’offre et de la demande.
Ainsi, si le prix de la tomate est exorbitant, oubliez la Harira et faites de la Bissara par exemple. Certes, ce que je dis ressemble de manière assez malsaine aux propos attribués faussement à MarieAntoinette : «ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche». Mais le fait est que tous les aliments ne sont pas touchés de la même manière par la hausse des prix, et que s'accrocher pour des raisons culturelles à des plats en particulier, et bien ça a un coût qu’il faudra assumer. Sinon, adoptez une stratégie plus intelligente, en arrêtant d’acheter les légumes dont les prix sont tout simplement obscènes, au profit d’autres légumes toujours relativement abordables. Si ce comportement est adopté collectivement, croyez-moi, les maraîchers arrêteront d’acheter ces légumes en particulier, ce qui amènera les intermédiaires à gérer des stocks qui se convertiront très rapidement en pertes sèches.
Le meilleur antidote à la spéculation c’est de délaisser l’objet de ladite spéculation. Autrement dit, faisons jouer collectivement le jeu de l’offre et de la demande pour ramener les prix à des niveaux abordables, mais sans oublier que ce ne sont ni les maraîchers ni les producteurs qui sont problématiques, mais les intermédiaires et les spéculateurs. Concernant la dimension énergétique, là encore il ne faut pas espérer une baisse. Le gasoil ou l’essence à 9 ou à 10 DH, c’est du passé. Réduire cette rubrique de vos dépenses ne peut passer que par deux relais : les transports en commun (bus, tramway, train) et le co-voiturage avec vos collègues, ce qui permet de mutualiser les dépenses de transport.
Enfin, votre salaire. Car une inflation de 8% équivaut à une baisse de 8% pour vos salaires. A votre place, que vous soyez fonctionnaires ou salariés du privé, je ne compterai pas trop sur des hausses à courtterme au niveau des salaires. Car les entreprises sont pour la plupart (TPE et PME) en difficulté économique; quant à l’Etat, la priorité demeure la maîtrise des déficits. La seule alternative est de progresser dans votre travail en améliorant votre rendement et la valeur ajoutée que vous apportez à votre entreprise. Investissez dans des formations qualifiantes, développez une stratégie pour votre carrière, et prospectez ailleurs pour voir si vous y serez plus valorisé. Cela comporte certes des risques, mais ne rien faire et subir ne peut aucunement être une solution. Pour conclure, je vous concède volontiers que cette chronique est tout sauf optimiste.
J’y suis pour rien, c’est l’époque qui le veut. Mais le message central que j’aimerais vous transmettre, c’est que le seul moyen de s’en sortir, est de faire preuve d’agilité et de créativité, que vous soyez salarié ou chef d’entreprise. Sortir de votre zone de confort n’est plus un choix, mais un impératif de survie. Sinon, vous pouvez toujours rester immobiles à écouter attentivement les déclarations du Porte-parole du gouvernement, en espérant qu’un miracle survienne. Mais là, on quitte le champ de l’économie pour celui de la foi.
Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d’Archè Consulting