A l’université, la formation continue est un véritable chaos : c’est un champ pour les opportunistes, une approche purement mercantile, sans aucun résultat pour l’entreprise.
Depuis la conception jusqu’à l’évaluation de la formation, des dysfonctionnements innombrables sont identifiés. La formation continue ne semble pas produire la valorisation escomptée du capital humain. L’appréhender autrement : voilà le challenge !
Les convulsions économiques et financières internationales, conjuguées à l’émergence de blocs régionaux, ont conforté le caractère proéminent de la compétitivité et l’importance du capital humain pour relever les challenges liés à la mondialisation. Ainsi, il a été communément admis que disposer d’un capital humain suffisant et de qualité constitue un élément crucial d’attractivité pour l’économie d’un pays. Pour y parvenir et au-delà du chantier de refonte du système éducatif, la formation continue occupe une place de choix dans la Charte de l’éducation. Elle concerne tous types de formation qui sont, pour une bonne partie ou en totalité, payants selon le type d’établissement et selon les filières. «C’est un truisme de dire que le monde change très vite, offre plusieurs opportunités, génère des menaces. Et face à cette situation, les styles de management des entreprises changent aussi en passant de l’adaptation à l’anticipation, en proposant des produits et des procédés sans cesse innovants. Un capital humain motivé et formé est certainement la clé de voûte de ce succès. Ce qui fait de la formation continue une place centrale dans ce processus», précise un responsable au sein d’une université. Le secteur de la formation continue (FC) se développe ainsi d’année en année, et la demande existe. Il devient même un filon pour gagner de l’argent et c’est là où le bât blesse. D’aucuns le considèrent comme étant un revenu qui leur procure une certaine autonomie de mieux fonctionner et de ne plus compter sur les oboles de l’Etat pour financer des projets, faire de la R&D et diversifier les offres en formation…, et ce conformément aux dispositions de la loi 01-00. D’autres, par contre, sont très sceptiques quant à la tournure prise par la FC. «A l’université, c’est un véritable chaos, c’est un champ pour les opportunistes, une approche purement mercantile, sans aucun résultat pour l’entreprise», s’alarme notre source, qui est très proche du dossier. Des propos qui taraudent les esprits dans la mesure où il suffit qu’un professeur invente un nom pour la formation continue et structure des modules pour qu’elle soit autorisée dans son établissement, et même dans d’autres relevant de la même université. Tout cela en l’absence d’un cahier des charges fixé par l’Etat, censé avoir plus de visibilité sur les besoins du tissu productif. Un ordre de grandeur pour mieux illustrer ces déconvenues : l’effectif inscrit en formation continue dépasse celui de la formation initiale. L’exemple le plus édifiant est celui de l’Ecole supérieure de technologie, qui éprouve des difficultés à assurer une formation initiale adéquate.
Gare aux dérapages !
Il y a quelques mois, la formation continue faisait les choux gras de la presse nationale, qui s’interrogeait et s’interroge encore, à juste titre, sur le devenir de cette discipline qui évolue dans un cadre flou, où tout devient permissible (voir encadré ENSEM). Que dire des textes juridiques la régissant ? Cadrent-ils parfaitement avec son évolution ? «En ce qui concerne les textes juridiques, il est à noter qu’ils sont disparates et manquent d’homogénéité et de souplesse», explique notre source, qui souhaite garder l’anonymat. Et d’ajouter : «Actuellement, la formation continue est assurée par l’OFPPT, les universités et les opérateurs privés. Cette multiplicité des acteurs, loin d’être d’une grande valeur ajoutée, se veut une diversité d’approche nuisible à la formation. Une véritable cacophonie». Elle argue que chaque établissement a sa propre approche, ses méthodes, son niveau de rigueur, sa proximité avec le milieu des affaires, ce qui se traduit, in fine, par des résultats pas forcément avantageux pour l’entreprise. Une chose est donc sûre : le besoin d’un règlement régissant la formation continue se fait sentir et les problèmes diffèrent d’un organisme à l'autre.
Autres écueils et pas des moindres étayés par notre source, les bénéficiaires sont des étudiants et non des salariés. Du coup, la formation est calquée sur la formation initiale. Or, selon la Charte nationale de l’éducation et de la formation, la FC est un facteur essentiel pour répondre aux besoins en compétences des entreprises et les accompagner dans un contexte de mondialisation. Ajoutons à cela le fait que les professeurs assurent des modules qui ne cadrent pas forcément avec leurs spécialités. Pis encore, le corps professoral devant assurer la formation continue n’existe ni en quantité, ni en qualité suffisante. Aussi, l’encadrement des travaux est-il souvent inexistant, étant donné que les professeurs ne découvrent leurs étudiants qu’au moment de la soutenance. Et pour couronner le tout, les examens sont tout juste des évaluations laxistes faites par des professeurs très complices sans aucune impartialité. Il est naturel, au regard de toutes ces anomalies, de se demander comment la formation continue pourra-t-elle produire les effets escomptés et l’élan nécessaire pour enclencher une véritable transformation structurelle de l’économie et accélérer le rythme de la croissance. Sur le plan des recettes, c’est la nébulosité totale. «Légalement, l’établissement et l’université profitent d’un pourcentage du budget général alloué à la FC. Mais il n’y a aucune visibilité pour pouvoir mesurer l’impact en raison de la léthargie des structures universitaires», poursuit notre source. Dans ce brouhaha, les détournements et les falsifications battent son plein. Un fait normal, pour rémunérer également les professeurs avides de gain rapide, qui se sont improvisés en initiateurs à la FC. Ces dérapages ne sont pas exempts d’incidences sur l’économie nationale en quête d’émergence. A défaut d’un capital humain qualifié, le Maroc tourne en rond et perd des parts de marché au profit de ses concurrents. Le département de tutelle, qui continue à faire la sourde oreille face à cette armada de dysfonctionnements, est appelé à prendre des mesures draconiennes pour y remédier et à faire jouer à la formation continue le rôle qui lui échoit. Et, surtout, contrôler et inciter les formateurs à dépasser l’aspect purement mercantile pour offrir une qualité meilleure. C’est seulement à ce prix que le Maroc pourra éviter le double risque de dévalorisation de son capital humain et du désintérêt des investisseurs..
ENSEM : Interrogations sur les agissements douteux d’une entreprise française
«Des étudiants de l’Ecole nationale d’électricité et de mécanique contestent vigoureusement les agissements d’une entreprise française en charge de la formation continue», rapporte le quotidien arabophone Al Akhbar. Les différentes correspondances adressées à Lahcen Daoudi, ministre de tutelle, sont restées sans suite. Les étudiants reprochent à ladite entreprise sa démarche typiquement commerciale, qui introduit des disciplines qui n’ont rien à voir avec les spécialités de l’école, comme la gestion des ressources humaines ou le génie civil. Ce qui, d’après les étudiants, ne pourrait que nuire à l’image de marque de leur école.
Il est également fait état d’une mauvaise gestion des recettes liées à la formation continue, qui ne profiteraient qu’à certains pans de l’école. Ils appellent à imposer un contrôle rigoureux du travail et des actions de cette entreprise française. Les enseignants-chercheurs ont appelé à cet égard à créer un comité d’enquête dédié, soulignent-ils, afin de mettre les points sur les i.
L’Ecole, pour sa part, a répliqué, invoquant le contrat qui la lie à l’entreprise française, et qui, précise-t-elle, aurait été ficelé dans les règles de l’art. Une affaire à suivre…
Comment y remédier ?
Créer un centre au sein de chaque université dédié exclusivement à une formation continue adéquate, qui répond aux besoins en compétences des différents secteurs.
Associer le patronat de l’amont à l’aval, ou plus précisément de l’identification des besoins en formation continue jusqu’à l’évaluation d’impact de ladite formation.
Avoir accès à un pourcentage de la taxe de formation professionnelle collectée par l’OFPPT au cas où la formation continue est bien encadrée et concluante.
Créer un climat propice pour la recherche appliquée et, partant de là, réussir cette relation université (formation et recherche)/ entreprise qui s’inscrit, d’ailleurs, dans le cadre du Plan d’accélération industrielle 2014-2020, dans son volet «renforcement des compétences dans l’industrie». Il s’agira également d’identifier des formations à fort impact. Cela devra passer par le renforcement des filières existantes voire la création de nouvelles filières.
Soubha Es-siari