Invité de l’événement «Les Nuits de la Finance» organisé par Finances News Hebdo, le président du Conseil de la concurrence est revenu sur la trajectoire empruntée par le Maroc en matière de régulation.
Par A. Hlimi
De ses origines à nos jours, l’approche marocaine en matière de régulation a su conjuguer tradition et modernité qui ont abouti au panorama actuel, dont le Conseil de la concurrence est l’émanation parfaite. Son président, Ahmed Rahhou, a profité de la rencontre «Les Nuits de la Finance» pour «conter» cette histoire avec son habituel sens de la pédagogie. L’histoire économique du Maroc, bien avant l’ère moderne, est celle d’une économie dynamique et ouverte, marquée par des relations commerciales anciennes avec des puissances comme la Chine ou les ÉtatsUnis.
«Cette économie traditionnelle s’est ensuite structurée sous le protectorat, notamment avec la création de Chambres de commerce et d’institutions modernes», a expliqué Rahhou. Après l’indépendance, l’État a pris un rôle moteur pour combler l’absence de capital privé, avec des initiatives telles que la BNDE ou l’Office de développement industriel (ODI). On peut également citer l’exemple de la BMCE. La dynamique a commencé à évoluer lentement pendant les années 70, avant la période difficile du programme d’ajustement structurel (PAS) des années 80 qui, finalement, fait remarquer Ahmed Rahhou, a permis d’accélérer les réformes permettant de structurer le capital privé.
Les années 1990 marquent un tournant décisif. L’État, confronté à la sophistication croissante de certains secteurs comme les télécommunications, a opéré un retrait progressif de son rôle d’opérateur direct. Cette période a vu l’apparition des premiers régulateurs techniques indépendants, comme l’ANRT dans les télécoms, capables d’attirer des investissements privés en offrant une stabilité et une vision à long terme. La finance, déjà régulée par Bank Al-Maghrib depuis l’indépendance, a consolidé ce modèle de régulateur indépendant pendant cette période. On verra par la suite la création d’autres autorités fortes et indépendantes comme l’AMMC, pour les marchés de capitaux, et l’ACAPS pour les assurances.
Deux entités qui, auparavant, étaient des directions au sein du ministère de l’Economie et des Finances et dont l’autonomie permet au régulateur de se spécialiser et de porter les sujets indépendamment des agendas politiques. Ces institutions ont été dotées de prérogatives fortes pour garantir un équilibre entre innovation, concurrence et protection des acteurs économiques. Selon Rahhou, un régulateur doit avoir pour rôle majeur le développement de son secteur en veillant à ce que les acteurs qu'il supervise soient en bonne santé. Un secteur régulé qui tombe malade, c'est d'abord un échec du régulateur qui doit veiller à porter les combats des opérateurs devant l'Etat et le gouvernement.
Le rôle stratégique de l’État aujourd’hui
Si l’État est moins présent dans l’exploitation directe des secteurs, il reste un acteur clé en fixant des orientations stratégiques. Les régulateurs, qu’ils soient sectoriels ou transversaux comme le Conseil de la concurrence, complètent cette action en apportant une expertise technique et une capacité d’arbitrage essentielle. Ils garantissent un environnement où innovation et concurrence cohabitent sans dérives monopolistiques.
Par exemple, dans l’énergie, secteur en pleine mutation avec l’émergence de l’hydrogène vert, un régulateur fort devient indispensable pour accélérer les investissements et fixer des règles claires. Cette approche s’est également révélée fructueuse dans des secteurs comme les ports, où la séparation des rôles entre opérateurs et régulateurs a permis un développement impressionnant. Cependant, des défis demeurent. Certains secteurs comme les aéroports ou la Poste pourraient bénéficier d’un modèle similaire à celui des télécoms ou des ports pour maximiser leur attractivité.
Le président du Conseil de la concurrence a également insisté sur l’importance d’éviter les rentes de situation dans les secteurs régulés et de maintenir une concurrence saine au service de l’innovation. La trajectoire marocaine est celle d’un équilibre délicat entre libéralisation économique et intervention stratégique. Ce modèle, tout en étant perfectible, offre un exemple intéressant pour d’autres économies émergentes. La création de régulateurs forts, indépendants mais complémentaires de l’État, témoigne d’une vision à la fois pragmatique et ambitieuse. Le Maroc, grâce à cette approche, s’affirme comme un acteur économique résolument tourné vers l’avenir. La position transversale du Conseil, qui adresse tous les secteurs économiques tout en veillant à la protection du consommateur, est un témoin de ce saut qualitatif qui apaise l’environnement des affaires.