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Un jour, une œuvre : «Sérotonine», de Michel Houellebecq

Un jour, une œuvre : «Sérotonine», de Michel Houellebecq

«Sérotonine» (éditions Flammarion, 2019), de Michel Houellebecq. Voici un grand roman qui surmonte la spirale du pessimisme.

 

Par R. K. H.

 

Le dos d'un roman doit inciter le lecteur à ouvrir le livre. C'est un rituel que l'on observe en librairie : d'abord, le lecteur prend le roman en jetant un coup d'œil furtif sur la couverture. Ensuite, il le retourne pour découvrir le petit texte qui figure sur la quatrième de couverture. Ce moment est très court, mais décisif. Si après ces quelques instants, le lecteur ouvre et feuillette le roman, c'est presque gagné.

«Mes croyances sont limitées, mais elles sont violentes. Je crois à la possibilité du royaume restreint. Je crois à l’amour (…) Le narrateur de Sérotonine approuverait sans réserve. Son récit traverse une France, qui piétine ses traditions, banalise ses villes, détruit ses campagnes au bord de la révolte. Il raconte sa vie d’ingénieur agronome, son amitié pour un aristocrate agriculteur (un inoubliable personnage de roman – son double inversé), l’échec des idéaux de leur jeunesse, l’espoir peut être insensé de retrouver une femme perdue. Ce roman sur les ravages d’un monde sans bonté, sans solidarité, aux mutations devenues incontrôlables, est aussi un roman sur le remords et le regret», peut-on lire dans la quatrième de couv’ de Sérotonine.

Certes, dès lors qu’on connait l’auteur, il n’est plus évident de chercher à comprendre. On prend le livre et on le paye.

Cet ingénieur agronome, dont «Sérotonine» retrace le chemin vers la déchéance, et d’abord vers l’impuissance, a renié tout idéal écologique, notamment depuis qu’il a été embauché par Monsanto. Puis, chargé par diverses institutions de défendre l’agriculture française, ce quadra a également renoncé à sauver les producteurs de lait normands.

Pourtant pas bête, plutôt doué même, Florence-Claude Labrouste s’effondre toujours au moment-clé, quand il faut faire mouche. Autant que sa carrière, sa vie sentimentale en témoigne.

Le voici donc, l’âme sous antidépresseurs et l’œil sur le viseur d’une carabine. Une Steyr Mannlicher HS 50, «modèle à un coup». Avec cette arme, vous n’avez qu’une seule chance. Pas question de rater. Le narrateur du nouveau roman de Michel Houellebecq ne sait faire que cela.

Dans sa ligne de mire, un enfant. Celui de Camille, la seule femme avec laquelle Labrouste aurait pu être vraiment heureux. Une femme perdue pour une stupide histoire d’infidélité. Des années plus tard, déjà bien dérangé, il découvre qu’elle vit seule avec ce fils de quatre ans, et décide que l’unique moyen de la récupérer, elle, est de l’éliminer, lui. Le narrateur prend position dans la salle panoramique d’une brasserie fermée, à quelques centaines de mètres de la maison monoparentale, en Normandie. Muni de ses jumelles, il contemple l’enfant, installé devant un puzzle de Blanche-Neige. Fiasco total : les doigts du tireur se mettent à trembler. Appuyant quand même sur la détente, le sniper pulvérise la baie vitrée de la brasserie et craint qu’on l’ait entendu…

Au milieu des éclats de verre, le romancier fait surgir l’image du bonheur enfantin. Si le narrateur de «Sérotonine» manie une carabine à un coup, Houellebecq, lui, comme jadis Voltaire, fait du roman un fusil à deux coups, et du champ littéraire un champ de bataille incertain, où les déflagrations du nu désespoir font résonner, par contraste, les intonations d’un amour solide.

C’est particulièrement vrai pour ce roman, où les familiers de Houellebecq retrouvent sa sombre vision du monde, mais auquel cette oscillation binaire donne une coloration inédite, presque joyeuse à la fin. Comme à l’accoutumée, Houellebecq s’est mis à poil dans ce roman. A vous la décongélation de l’esprit avec une plongée dans les 347 pages qui composent «Sérotonine».

 

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