Le visage est le lieu le plus humain de l’homme. L’anthropologue David le Breton le compare à une «scène» où la vie intérieure de la personne se donne à voir, avec ses ambiguïtés, ses abîmes, et où la singularité s’inscrit en pleine lumière.
Pas facile de se regarder en face. Il y a quelques artistes qui, contrairement à ce qu’on croit, le font sans problème. La peinture est l’art par excellence de ce singulier tête-à-tête. Avec la photographie, dira-t-on. Sans doute, mais celle-ci est limitée, par son réalisme, à la représentation de l’expression propre à telle tête, à tel moment. Alors que la peinture…
Ce portrait de Moho, de son vrai nom Mohammed Drissi, est bouffi à la fois d’étincelle de vie et de mélancolie où ne survit plus que le regard perdu et scrutateur. Enigmatique ; tête - très bien dessinée - faisant face aux spectateurs ; visage dont le regard est stupéfait, inquiet… : un portrait de cœur, qui déborde de vie et d’une grande force malgré lui. Dans ses innombrables portraits, quand on y voit de plus près, on perçoit la vérité intime et spirituelle des sujets.
Sur sa démarche artistique, Moho trouve toujours du mal à l’expliquer, «car (il) refuse toute forme d'intellectualisation de l'acte de peindre». Or, affirme-t-il, «c'est une démarche assez instinctive malgré tout».
Après avoir scruté les visages de ses congénères, Moho, avec une étonnante fureur, à grands coups de pinceaux, se met à peindre, puis à dessiner, ensuite à peindre de nouveau… Difficile de capter l’expression des yeux et aboutir à une émouvante sincérité des visages.
Techniquement, Moho utilise de l’acrylique sur papier imprimé. Car, comme il «aime bien expérimenter», Moho peint souvent «sur des illustrations». Ce qu’il nomme, ici, «expérimentation graphique». Cependant, ce portrait est fait sur «une vieille illustration que l'on utilisait, il y a longtemps, pour faire du langage oral à l'école».
Peintre de figures et de têtes – «comme s’il n’y avait de peinture que du visage», écrit le poète Jacques Dupin -, Moho Drissi fait également bon ménage avec l’abstraction radicale.
Par R. K. H.