Sombre, fiévreux, impatient, absorbé dans les ailleurs lointains, d’où il ne s’extirpait que pour vaquer à sa préoccupation vitale : la peinture. Nabili (1952-2012) était un être qui a la capacité de faire sensation, de toucher la sensibilité, d’émouvoir.
Sur le sable, un matériau qui évoque l’éphémère (le sablier), la décomposition (la poussière), l’auguste majesté du vide (le désert), l’éternel recommencement (la mer), Nabili a gravé des inscriptions hiéroglyphiques, sibyllines, qui sont autant de superbes bris d’une mémoire blessée.
L’œuvre de Nabili est indéchiffrable, au premier abord. Entre la tentation de la sonder, d’en forcer le secret et le désir - la sage résolution - de la laisser dans sa nuit, l’esprit balance.
Ses toiles, d’emblée, elles font l’effet d’objets codés. Certes, les formes géométriques font penser à Kandinsky, les compositions ne sont pas sans rappeler Matisse, mais l’essence même de la peinture de Nabili se refuse à toute catégorisation. Faute de clés délivrantes, on est pris par l’envie de passer outre, quand l’œil se décrispe, les œuvres dégagent leur arôme et leur radiance.
Qui plus est, nous sommes en droit de présumer que Nabili s’évertuait à créer sur la toile un monde où les contrées, quelles que soient les distances (géographiques, culturelles ou symboliques) qui les séparent, seraient harmonieusement confondues. Rêve indéfiniment recommencé, mais jamais accompli - exaucé ou satisfait - car au bout affleurent inlassablement -immanquablement et irrésistiblement - les racines dont les bris hantent l’œuvre. Tatouages, motifs muraux, dessins de tapis, inscriptions calligraphiques, autant de réminiscences enfouies, exhumées inexorablement l’instant de la création.
Il nous paraît évident que l’enfance du peintre a imprimé dans sa mémoire une plaie béante que son art sans cesse met à nu plutôt qu’il ne cautérise. Ces images-émotions, Nabili les agence sur sa toile dans un désordre joliment ordonné et en fait un délice pour l’œil. Privilège miraculeux de l’art qui transfigure le vécu, apaise le désarroi et embellit l’horrible.
Nabili a toujours mis en œuvre un langage plastique d’une intensité mélancolique à nulle autre pareille. Un art blessé, chantant sa blessure avec une insolente virtuosité.
L’enfant, dans les tableaux de Nabili, apparaît soit immergé dans un univers qui le ligote et le broie, soit telle une ombre dans le ciel immaculé des adultes, ou une hideuse miniature qui surgit comme un cheveu sur la soupe dans une toile. Et quand il émerge des ténèbres qui l’enveloppent, il est muselé.
L’œuvre de Nabili se présente sous forme de rébus. Des sens latents, des brisures hardies, une infinité d’allégories, de symboles, de formes abstraites. Une œuvre qu’il convient de scruter, de décrypter, si l’on désire en pénétrer l’intimité.
Et alors le charme opère, la magie s’installe, car chaque composition consiste en une symphonie picturale qui grise, transporte, envoûte.
Par R.K.H