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Réforme de la Moudawana: «Il est temps de rectifier le tir»

Réforme de la Moudawana: «Il est temps de rectifier le tir»

Le mardi 26 septembre 2023, le Roi Mohammed VI a ordonné la réforme de la Moudawana et un délai de six mois a été donné au gouvernement.

Quelles sont les principales dispositions à changer ?

Entretien avec Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, présidente de la Commission startup et capital risque de l’Union internationale des avocats et associée responsable Roudane Law Firm, en collaboration avec Al Tamimi & Co.

 

Propos recueillis par Ibtissam Z.

Finances News Hebdo : Lors de sa promulgation le 10 octobre 2004, la Moudawana a été considérée comme une véritable révolution. Quels sont les principaux changements qui ont été introduits dans le cadre de ce texte de loi ?

Me Nesrine Roudane : La Moudawana, ou le Code du statut personnel marocain, a été codifié pour la première fois en 1958 sous le règne de feu Mohammed V. Elle a été amendée une première fois en 1993 par feu Hassan II, avant d’être refondu en 2004 par le Roi Mohammed VI. Cette réforme de la Moudawana de 2004 a été considérée comme une véritable révolution tranquille pour les droits des femmes au Maroc. Elle a introduit de nombreux changements majeurs. L'un des changements les plus significatifs a été l'égalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage. La Moudawana de 2004 a supprimé la discrimination entre les sexes, notamment en éliminant le consentement du wali (tuteur légal de la femme) pour le mariage, en fixant l'âge minimal du mariage à 18 ans pour les hommes et les femmes, et en établissant l'égalité des droits et des devoirs des époux au sein du mariage. Concernant la protection des droits des femmes en cas de divorce, la Moudawana de 2004 a renforcé cette protection en accordant à la femme le droit de demander le divorce pour des motifs autres que la faute, notamment le Chiqaq, en prévoyant une pension alimentaire pour les femmes et les enfants en cas de divorce, et en accordant à la femme le droit de garde des enfants sous de nouvelles conditions. La réforme visait également à améliorer les droits des enfants, notamment en interdisant les mariages forcés. Ces changements ont eu un impact significatif sur la société marocaine. Ainsi, les statistiques montrent que le nombre de mariages forcés a diminué, celui des femmes demandant le divorce a augmenté, et dans certains cas la proportion de femmes obtenant la garde des enfants en cas de divorce a également augmenté. La réforme de la Moudawana semble de prime abord contribuer à réduire les inégalités entre les sexes et à améliorer les droits des femmes et des enfants au sein de la famille. Toutefois, force est de constater que quelques pratiques déviantes ont vu le jour et qu’il est temps de rectifier le tir.

 

F.N.H. : Le Roi a ordonné une nouvelle réforme de la Moudawana. Peut-on dire que la refonte de ce code est aujourd’hui une urgence ?  

Me N. R. : Oui, la refonte de la Moudawana est aujourd'hui une urgence. La réforme de 2004 a été un progrès important, mais elle n'a pas été suffisante pour répondre à tous les défis auxquels la société marocaine est confrontée. Parmi les principales raisons qui pourraient justifier l'urgence d'une nouvelle réforme de la Moudawana, on peut faire référence à l'évolution des mentalités. La société marocaine a connu d'importants changements ces dernières années, notamment en matière de droits des femmes. Les jeunes générations sont plus ouvertes aux idées d'égalité et de justice entre les sexes. Il ne faut pas non plus négliger l’impact des défis socioéconomiques auxquels le Maroc est confronté tels que la pauvreté, le chômage et l’analphabétisme. Ces défis ont un retentissement négatif sur la famille, notamment sur les femmes et les enfants. Enfin, il ne faut pas oublier les lacunes de la réforme de 2004 qui a introduit des changements importants, mais malheureusement des lacunes subsistent comme le mariage des mineurs, la polygamie, etc. Le Roi Mohammed VI a déclaré que la réforme de la Moudawana sera «audacieuse et juste». Une nouvelle réforme doit répondre aux défis actuels de la société marocaine. Elle doit garantir l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, et surtout protéger les droits des enfants.

 

F.N.H. : A votre avis, quelles sont les modifications qui doivent être apportées à la Moudawana ? 

Me N. R. : Plusieurs modifications peuvent être apportées à la Moudawana pour la moderniser et garantir une société plus équitable au Maroc. Certaines modifications ne suscitent pas de polémique, comme l’interdiction du mariage des mineurs. Car ce mariage constitue une violation des droits des enfants et les expose à des abus et à des exploitations en les privant de l’éducation. La juste application des dispositions visant la restriction de la polygamie. Imposer des restrictions plus strictes pourrait réduire les conflits et les tensions dans les familles en évitant les situations de vulnérabilité. La réforme pourrait renforcer la protection des droits des femmes victimes de violence conjugale. En bénéficiant d’une protection légale, cela permettrait de lutter contre la violence à l'égard des femmes et contribuer à la stabilité du foyer familial. Parmi les points à prendre en considération, figure l’autorité parentale, où les droits des parents seraient équitablement reconnus. Cela mettrait un terme aux abus qui ont vu le jour du fait de la consécration de l’autorité patriarcale, sans négliger les droits financiers des enfants en cas de séparation des parents pour les prémunir des situations de précarité. Il faudra aussi apporter plus de transparence dans l’utilisation des procurations en cas de mariage et de séparation, en prenant en considération les réclamations des Marocains résidant à l’étranger. L’un des sujets épineux est la question de l’héritage. Dans son discours du Trône du 30 juillet 2022, le Roi Mohammed VI avait annoncé l'ouverture du chantier de la réforme de la Moudawana. Il avait précisé que la réforme devrait être conforme aux principes de la Charia, la loi islamique, notamment les textes coraniques formels. A cet égard, il convient de revisiter la question à la lumière des textes impératifs et faire la part avec la jurisprudence qui a vu le jour au fil du temps pour solutionner des cas d’espèces et où une marge de manœuvre serait possible. Dans tous les cas, la Moudawana doit être mise à jour pour refléter les réalités de la société marocaine moderne et contribuer à son développement et sa stabilité.

 

F.N.H. : Certaines dispositions du code de la famille sont jugées discriminatoires envers les femmes. Que doit prendre en compte la réforme de la Moudawana, notamment les modifications prioritaires à apporter pour la parité hommefemme ? 

Me N. R. : La réforme de la Moudawana est une occasion pour garantir l'égalité entre les hommes et les femmes au Maroc. La Moudawana actuelle contient encore des dispositions discriminatoires envers les femmes, notamment en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’autorité parentale, etc. Parmi les modifications prioritaires à faire pour la parité homme-femme, on peut rappeler l’interdiction du mariage des mineurs, la restriction de la polygamie, l’égalité des droits envers les enfants, la protection des droits des femmes victimes de violence et d’autres… C’est aujourd’hui l’occasion de parachever l’édifice constitutionnel et consacrer l’égalité homme-femme en droits et en obligations et appliquer le principe de parité comme annoncé dans la Constitution de 2011.

 

F.N.H. : L’octroi exclusif de la tutelle au père figure parmi les points de discorde de la Moudawana de 2004. Quelles propositions faites-vous pour y remédier ?

Me N. R. : La Moudawana de 2004 comporte une disposition discriminatoire en octroyant exclusivement la tutelle au père. Pour remédier à cette inégalité, il est primordial d'instaurer un système de tutelle partagée entre les deux parents. Ce système permettrait aux parents de partager les responsabilités parentales, notamment celles liées à l'éducation, à la santé et aux biens des enfants. Les propositions concrètes pour mettre en place ce système incluent la suppression de l'article 172 de la Moudawana, qui accorde la tutelle au père, et l'introduction d'un article précisant que la tutelle est exercée conjointement par les deux parents. Il serait également nécessaire de définir clairement les pouvoirs et les responsabilités des parents en matière de tutelle, tout en mettant en place des mécanismes de résolution des conflits entre les parents. Les avantages d'un système de tutelle partagée sont multiples. Il serait bénéfique pour les enfants en leur offrant l'attention et l'amour de leurs deux parents. De plus, il permettrait aux mères d'exercer leurs droits parentaux de manière pleine et entière, tout en promouvant l'égalité entre les sexes en veillant sur l'intérêt supérieur des enfants.

 

F.N.H. : Une approche solidaire et participative s’impose pour une bonne refonte. Quels seront les acteurs (notamment juridiques) qui devraient être impliqués dans ce processus de réforme ? 

Me N. R. : L'approche solidaire et participative est essentielle pour une bonne refonte de la Moudawana. En effet, cette réforme doit garantir l'égalité entre les hommes et les femmes et protéger les droits des enfants, des femmes et des personnes vulnérables. Pour ce faire, il est important d'impliquer tous les acteurs concernés, à savoir les acteurs juridiques et judiciaires, notamment les autorités publiques, les professionnels du droit et les organisations de la société civile. La lettre royale a confié le pilotage de la préparation de la réforme au ministère de la Justice, au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et à la Présidence du ministère public. Ces institutions sont chargées d'associer étroitement à la réforme les autres instances concernées, à leur tête le Conseil supérieur des ouléma, le Conseil national des droits de l'homme et les instances et acteurs de la société civile. Les propositions d'amendement qui vont émaner de ces larges consultations participatives seront soumises à la haute appréciation du Roi Mohammed VI, avant l'élaboration du projet de loi et sa soumission au Parlement pour adoption. En somme, l'implication de tous les acteurs concernés est essentielle pour garantir une refonte réussie de la Moudawana qui soit inclusive, participative et respectueuse des droits de l'Homme. 

 

 

 

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