El Grande Toto, la meilleure raison d’aimer le rap made in Morocco, vient d’obtenir son 1er disque d’or*, et jouait jeudi 12 mai 2022 au Megarama, à Casablanca. Il l’a littéralement retourné, le temps d’une grand-messe de poésie douce-amère. On y était, on vous raconte.
Par R. K. Houdaïfa
Photo © Tonio Filmmaker
Attachez vos ceintures, il y a de l’agitation dans l’air ! «Les gens pensent que parce que vous êtes physiquement handicapé, vous êtes aussi intellectuellement handicapé», confie Selim Sbihi, celui qui a mitonné ce concert et qui milite pour que les personnes handicapées, comme lui, prennent leurs propres décisions et puissent vivre de façon autonome. «Il faut permettre aux personnes handicapées de faire leur propre choix de vie, de définir leurs propres besoins et de prendre leurs propres décisions», ajoutet-il. Muni du souci de rendre justice aux personnes paraplégiques inconsidérément blâmées, Salim a rêvé, puis tissé un concert destiné à montrer «qu’ils peuvent réaliser de P***** de choses!»
Lorsqu’on arrive, à 17h, il y a peu de monde. Toto devait donner un point presse à cette heure-ci; chose qu’il n’a pas faite, pour avoir raté son avion (il rentrait d’Espagne). Vers 20h, les alentours du cinéma Megarama sont en ébullition, et les premiers cris d’impatience se faisaient entendre de l’extérieur. Le trottoir ne désemplissait toujours pas sous les assauts des quelques élus, attendant plusieurs heures dans l’espoir de décrocher un billet (malgré le sold out). Certains ne savaient plus où donner de la tête; d’autres, en quête de badges, ces sésames censés ouvrir les multiples portes du concert. Econduits, ils ne désarment pas et reviennent à la charge. «Vous n’auriez pas un badge en rab, nous demande une lycéenne. Vous me rendriez service. Je ne voudrais pas rater le show d’El Grande Toto». Nous quittons, désolés, la tendre groupie pour aller saluer l’attachée de presse de l’empereur d’une foule qui semble n’être venue que pour lui, Zineb Alaoui M'hamdi. Elle arborait une mine réjouie qui fait plaisir à voir.
21h, la salle est déjà remplie, l’espace se fait rare. Un DJ, perché sur des platines surélevées, fend la pénombre ambiante et se met à bidouiller ses machines. Quelques extraits de son d’ambiance plus tard, un homme masqué vient s’accaparer la scène. La foule, déjà bien excitée, croit y voir son champion. Il révèle son identité et c’est en réalité Vargas. C’était à ce dernier qu’il revenait d’ouvrir le bal. Lorsqu’il entonnera son RS3, le public, venu en nombre, collé-serré, n’a pas lésiné sur les hochements de tête et de bras. Dollypran, qui prend le relais, jouit d’une aura flamboyante. Il faut avouer qu’en sa compagnie, l’atmosphère se charge d’électricité. Ça pulse, ça vibre, rythmes endiablés et paroles fortes à l’unisson. Lui succédant, Ouenza prend possession de la scène. L’expression est à prendre dans son sens plein, tant la présence du rappeur est du tonnerre. Avec eux, le concert a effectué un démarrage en trombe. 1heure et 30 minutes de bonnes vibes, très énergiques, rondement menées.
22h30. El Grande Toto, le roi de la soirée, entre en scène. A peine arrivé, il trouve la salle déjà comme un chaudron prêt à bouncer et nous lance, avec sa casquette qui cachait mal un front légèrement dégarni : «Yooo !!!». On a compris qu’il était là, et que ça allait bouger. Le public s’enfièvre. Et la fièvre monte encore et encore quand il se met à interpréter les chansons de son album Caméléon. Avec A.D.H.D., c’est la montée d’adrénaline. La suite est à l’avenant. Toto ne tient pas en place, arpente le podium de part en part, saute comme un cabri… et surtout chauffe la foule par #OuDiriHaka, Mikasa, Halla halla, entre autres réjouissances. Et le public, debout comme un seul homme, lui obéit au doigt et à la voix, répétant à tue-tête les mots qu’il a «germés».
En plein milieu du show, son manager fit irruption sur scène, l’interrompt et demande au Dj de couper le son pour lui remettre le disque, Love Nwantiti (North African Remix), ouvragé dans un encadrement bling bling. Toto semblait aussi sincèrement surpris et ému que fier. «Je rêvais d'un disque d'or», lance-t-il les larmes aux yeux… Après quelques autres chansons, menées à une cadence étourdissante, le virevoltant Toto se retire sous les youyous, les acclamations et une valse de flashs allumés.
Bref, des jeunes et des moins jeunes ont frénétiquement dansé sur les rythmes torrides de Vargas, Dollypran, Ouenza et bien évidemment El Grande Toto. Des larmes, des évanouissements (en nombre de 3), des cris… La sécurité attendrie a baissé la garde, s’est laissée volontiers déborder, pour ne pas gâcher la fête.
Pas facile de reprendre son train train quotidien après avoir fait un concert de Toto, où le rap ne semble qu’un prétexte pour sortir de soi et répandre la folie avec une jouissance sans limite aucune.
* El Grande Toto, Taha Fahssi de son état civil, est le premier rappeur marocain à avoir obtenu un disque d’or.