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Industries culturelles et créatives : «Ce secteur est souvent le grand oublié des politiques publiques»

Industries culturelles et créatives : «Ce secteur est souvent le grand oublié des politiques publiques»

Les entreprises opérant dans les ICC, des PME en majorité, ont essuyé des pertes colossales en raison de la crise.

Pour Fihr Kettani, vice-président de la Fédération des industries culturelles et créatives en charge des espaces culturels pluridisciplinaires, et président du Studio des Arts Vivants, il est urgent de déployer une batterie de mesures de soutien à l’économie de la culture et de la création.

 

Finances News Hebdo : Vous souhaitez mettre les professionnels indépendants, artistes et techniciens au cœur des priorités. Qu’estce que cela signifie ?

Fihr Kettani : Les centres culturels et artistiques, les cinémas, les librairies, les théâtres, les galeries d’art, les festivals et les activités événementielles sont des piliers de la grande famille des industries culturelles et créatives marocaines (ICC), qui a brusquement cessé ses activités le 14 mars 2020 jusqu’à ce jour, entraînant l’annulation de centaines d’évènements prévus durant la haute saison que représente les mois de mars à septembre pour nos secteurs d’activités.

Les entreprises opérant dans les ICC, des PME en majorité, ont essuyé des pertes colossales et ont vu leur chiffre d’affaires chuter vertigineusement, les contraignant à mettre leurs salariés à l’arrêt. Nous parlons ici d’une baisse du chiffre d’affaires atteignant les 70% ! Avec, pour la plupart, des conséquences graves liées à des annulations ou des reports après avoir engagé des frais de pré-production importants.

Idem pour les associations culturelles structurantes qui se retrouvent pour la plupart privées de leurs revenus et en situation de cessation de paiement, obligées de mettre à l’arrêt l’ensemble de leurs salariés. Des milliers d’artistes ont vu leurs activités s’arrêter brutalement, sans visibilité sur la date d’une éventuelle reprise, puisque ce secteur sera le dernier à être autorisé à reprendre ses activités, et probablement dans des conditions contraignantes, au regard des mesures sanitaires qui seront imposées.

Ces dizaines de milliers de gens qui se retrouvent sans travail sont des professionnels indépendants, des artistes et des techniciens qui constituent l’écosystème principal du secteur des ICC au Maroc. Ils doivent par conséquent être accompagnés par de sérieuses mesures de soutien et de relance, pour la sauvegarde de ce secteur qui est souvent le grand oublié des politiques publiques.

Ce secteur qui est pourtant si important dans la composante de notre offre touristique, si important pour le renforcement du lien social et l’épanouissement de notre jeunesse, inestimable dans le rayonnement international de notre pays.

Le constat le plus dur est que les artistes ont été assimilés à des travailleurs du secteur informel lors de la distribution des aides monétaires pendant la crise de la Covid-19. N’est-ce pas là l’illustration d’un statut qui nécessite une sérieuse remise en question ? Les techniciens opérant dans les ICC sont souvent des indépendants travaillant sous le régime de l’auto-entrepreneur. Ils se sont retrouvés sans revenu et sans aide de l’Etat depuis le 14 mars, si ce n’est un accès à crédit plafonné à 50.000 DH garanti par l’Etat. 

 

F.N.H. : Comment voyez-vous la relance du secteur après le déconfinement ?

F. K. : Elle devra se faire, à l’instar de plusieurs pays dans le monde, à travers une batterie de mesures de soutien à l’économie de la culture et de la création. Parmi les nombreuses mesures urgentes proposées par la FICC, je peux citer l’exonération des entreprises opérant dans les ICC durant les 6 prochains mois des charges liées à l’IR, la CNSS et l’AMO de juin à décembre 2020, dans le but de préserver les revenus des salariés du secteur.

La FICC a également proposé la création d’un fonds spécial d’urgence pour soutenir les professionnels du secteur des ICC, toutes filières confondues. Ce fonds doit permettre de relancer l’activité créative, d’indemniser en partie les acteurs du secteur pour les pertes occasionnées et de leur offrir la possibilité de se réengager sereinement dans leurs activités et de préserver leurs salariés.

Il est indispensable pour la relance du secteur de pouvoir accompagner ces porteurs de projets pour la reprogrammation rapide des évènements reportés ou annulés à cause de la crise de la COVID-19, et bien évidemment dans le respect strict des mesures sanitaires qu’impose la situation.

La Fédération des industries culturelles et créatives (FICC) a également adressé au ministère de la Culture une série de recommandations spécifiques aux différentes filières des ICC, intégrant des mesures pour la sauvegarde des emplois, l’accélération des procédures d’octroi des subventions pour soutenir la création ainsi que l’accompagnement des filières en difficulté.

 

F.N.H. : La pandémie a accéléré certaines mutations. La FICC avance deux axes stratégiques «pour accélérer la réforme du secteur». Un axe basé sur une approche sociale, et l’autre repose sur le développement des ICC. Pourriez-vous nous éclaircir ces deux axes stratégiques ? Et de là, par quels moyens ?

F. K. : En effet, la FICC considère que la crise de la COVID-19 et la nomination d’un nouveau ministre sont une opportunité pour accélérer la réforme du secteur des ICC à travers l’adoption de deux axes stratégiques, structurants et complémentaires. Le premier axe est basé sur une approche sociale en direction de notre jeunesse pour lui faciliter l’accès aux espaces de vie culturelle et sociale, stimuler leur potentiel créatif, contribuer à leur épanouissement.

Ces jeunes seront les créateurs, les spectateurs, les décideurs de demain. Le second axe repose sur le développement des industries culturelles et créatives dans le but de favoriser l’émergence d’une réelle économie de la création. Une économie qui a besoin de vision, d’ambition et de mobilisation pour se développer.

 

F.N.H. : Face à la pandémie qui frappe de plein fouet l’activité des ICC, la Fédération a proposé 34 mesures d’urgence afin de préserver les emplois et assurer la relance du secteur. Quels retours avez-vous eu concernant ces mesures ?

F. K. : Ces mesures sont actuellement en train d’être étudiées par le ministère et le Comité de veille économique (CVE) pour les mesures transversales. Pour ce qui est des mesures spécifiques, le ministre a annoncé cette fin de semaine une série de mesures pour dynamiser le secteur. Nous en attendons d’autres dans les semaines à venir, probablement une fois que la Loi de Finances rectificative sera adoptée et qu’il y aura plus de visibilité.

F.N.H. : De quelle marge de manœuvre disposez-vous pour renforcer le soutien à la création et la production culturelle ?

F. K. : Notre Fédération est une force de propositions. Nous sommes tous des experts dans nos domaines respectifs, dotés d’une longue et solide expérience. La FICC a signé, il y a un an, une convention avec le ministère de la Culture pour coopérer au renforcement et à la professionnalisation du secteur.

Nous avons obtenu la baisse de la TVA sur la billetterie, qui est désormais de 10%. Nous avons obtenu que 20 recommandations phares soient mises en œuvre à l’issue des premières assises des industries culturelles et créatives organisées en octobre dernier sous le Haut Patronage de Sa Majesté.

 

F.N.H. : Pour les politiques de structuration, faut-il systématiquement se demander si les artistes ont des ateliers, des lieux d’exposition, comment seront-ils rémunérés …? Car, si derrière il n’y a plus d’artistes pour créer et transmettre, cela perdrait tout son sens. Les créateurs et les artistes ne doivent pas être dans une situation de précarité comme certains le sont. Par exemple, les auteurs de BD…

F. K. : Les artistes sont au cœur des industries culturelles et créatives. Leurs conditions de travail et le marché dans lequel ils évoluent mettent en lumière les grands défis auxquels ils font face, et plus généralement l’ensemble des professionnels de la culture. Les créateurs ont besoin d’évoluer dans un environnement dans lequel les lois favorisent leur liberté artistique et garantissent leurs droits économiques et sociaux.

Le développement des financements publics et la croissance de toutes les filières des industries culturelles et créatives participeront directement à l’amélioration des conditions de travail des artistes et à leur essor.

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