Le plasticien sénégalais s’empare de «mère nature» pour en faire germer un travail poétique au charme mystérieux.
Par R. K. Houdaïfa
«Dans la foooorêt un grand cerf / regar - daiiiit par la fenêtre…». La plupart des enfants (et leurs parents) connaissent cette comptine anti chasse. A la Galerie 38, à Casablanca, il y a bien ce gorille qui vous observe comme si le chasseur, un chasseur fatigué et à court de munitions, c’était vous. On dirait qu’il vous juge en cherchant à vous hypnotiser. Il y a bien aussi ce taureau, qu'on dirait vieux de dix mille ans… Mais au sortir de l'exposition «Les cimes de la pensée», il faut se rendre à l'évidence : on n'y croise pas des masses d'animaux. Ils ne sont pas absolument absents, non. Il est possible çà et là d'au moins penser les entendre réagir à nos pas, émettre de petits claquements, des stridulations.
Puis se taire. Comme dans la forêt, ils restent cachés. C'est toute la joliesse de l'expo de ne pas nous taper sur la tête avec ses grandes idées (car elle en a), mais de nous laisser parvenir à nos propres conclusions, comme à celleci : la forêt est entre autres le lieu de l'invisible. Les hommes aussi s'y évaporent. En voulant capturer l'atmosphère mystérieuse et sombre de la forêt, l'artiste a rendu imperceptibles les silhouettes, et restitué à la forêt son pouvoir de dissimulation.
Pour emprunter les mots de la critique d’art Syham Weigant : «Aliou Diack préfère le mystère touffu et encore sauvage de la forêt environnante (…), se laisse subjugué par l’inconnu riche de découvertes et de promesses aventureuses caché au détour de chaque arbre et de chaque feuillage, aussi farouches que sauvages gardiens protecteurs d’une multitude de vies : animales, entomiques et même animiques. Un univers merveilleux, fantasmagorique et même magique dont il ne se lasse jamais des secrets murmurés par les branchages qui prennent vie sans que l’on ne soit jamais certains que cela soit par la force tellurique des alizées ou celle organique des pas ou des ailes d’une créature qu’il reste encore à imaginer».
Aliou Diack qui, né à Sidi Bougou au Sénégal, dans ce village rural du département de Mbour, a fait de la forêt un modèle et motif récurrent. L’exposition «Les cimes de la pensée» tombe pile, non pas dans l'air du temps, mais dans l'urgence de l'époque… Il dit en creux l'inépuisable réservoir d'imagination qu'est la forêt, son pouvoir d'effrayer et de rassurer. Mais il martèle surtout qu'elle aussi, elle pense, que s'y met en place un réseau d'échanges fondateurs. Il est grand temps, suggère-t-il, de nous défaire des séparations arbitraires entre l'humain et les différents règnes du vivant. Et, partant, d'arrêter notre grand saccage.
En s'approchant des œuvres, on voit qu'il utilise les accidents des matières et des techniques, épouse des palettes «moins organiques où apparaissent parfois des bleus océaniques aussi suggestifs que puissants... La patte de l’artiste se fait également plus diffuse, voire abstraite (dixit Syham Weignat)». Diack crée ses paysages à plusieurs couches en combinant des taches de couleur (allant des tons vifs et brillants de l'été aux teintes chaudes et automnales, en passant par les verts intenses et les gris frais de l'hiver) avec des lignes concrètes et des dispersions de pigment - ceux qui sont faits de plantes et d’arbres morts, souvent utilisés à des fins médicales au Sénégal.
À travers son art, Diack traite de la question de «ce que l’on peut donner et ce que l’on peut obtenir» en expérimentant diverses manières de coïncidences et d’interventions conscientes dans l’image pendant son processus de travail. «Lorsque je me mets devant une toile blanche, le pinceau devient une machette et la toile une sorte d’espace sombre et dangereux que je dois traverser pour créer ma voie», souligne l’artiste. A coup sûr, son œuvre est fort singulière. A quel endroit ? Celui de sa beauté, et de sa délicatesse d'abord. Ce n'est pas si souvent qu'un artiste cultive, sans passer pour un imbécile heureux, un regard doux et tendre sur les choses de la nature, les bêtes, les oiseaux, l'eau, la brume … L'inventaire des sujets n'est pas infini.