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État d’urgence d’instants poétiques : Des sens et des bonheurs de l’esprit

État d’urgence d’instants poétiques: des sens et des bonheurs de l’esprit


◆ Il n’y avait rien de mieux qu’un rendez-vous avenant pour contenter le récipiendaire exigeant. 
◆ Nous vous proposons quelques joyaux ravissants.


Par R. K. Houdaïfa


Pendant un mois, s’est déployé, libéré, exhumé un art éclos au climat de l’environnement, patiné par la nature. C’était à l’occasion de la 3ème édition d'État d’urgence d’instants poétiques qui s’est déroulée, pour la première fois - sous forme de session -, entre le Cube Independent Art Room et le mythique jardin d’Essais botaniques de Rabat. Fait nouveau qui s’accorde indubitablement avec la situation actuelle, mais qui a donné un autre goût à l’événement.

Un rendez-vous formidable, et surtout fructueux. Le public sentait-il le besoin de s’évader de son fauteuil ? Il a été servi ! Il était réjouissant, d’une part, de lézarder et déambuler à sa guise dans les allées de végétaux, d'essences rares et d'étonnants arbres fruitiers, avant que nos pas ne nous mènent à la découverte des œuvres réunies pour cette manifestation orchestrée de main de maître par la non moins superbe Bouchra Salih.

Une installation composée de 81 miroirs carrés, qui prend la juste mesure d’un approfondisseur de perspective spatiale, mais aussi temporelle; d’un agrandisseur de désir; d’un réflecteur du temps comme une matière insaisissable, tantôt immobile, tantôt infinie, échappant à la linéarité chronologique du temps réel, déstabilisant justement ce fameux réel. Du réel à l'imaginaire, il n'y a parfois qu'un pas devant un miroir, et c'est là une autre de ses fonctions. Autre usage du miroir ?! Celui qui renvoie, donc, à une fonction très quotidienne que chacun expérimente tous les jours : celui du retour sur soi, de l'introspection. «Cette installation in situ conjugue le mouvement, l’espace et la lumière selon une logique tripolaire (...) La surface réfléchissante ainsi constituée est animée par la modulation réelle de l’ombre et de la lumière, celle des corps célestes et de la météorologie, ainsi que la vibration des nuances de verts des quatre cyprès qui marquent le périmètre du bassin; toute une dramaturgie de la nature que le spectateur observe et suit au rythme de sa propre déambulation pour en éprouver l’impermanence et la durée», lit-on dans les textes de Fatima Zahra Lakrissa qui ont accompagné l’événement.

En cela, il y a cette idée de construction, construction de pensée et construction pratique. «L’espace de l’œuvre devient l’expression matérialisée de l’acte créateur invisible et l’œuvre, l’évocation poétique de l’homme dans son osmose avec le divin. Une manière pour l’artiste de personnifier et mythifier l’espace de sorte à ce qu’il éveille l’imaginaire du spectateur et procure un support aux projections mentales et à la contemplation. L’œuvre est aux prises avec des questions qui la débordent comme celles du temps, de l’infini, du devenir, mais elle parvient avec une grande économie de moyens à les ‘contenir’, les ramener à l’échelle du spectateur, qui est sollicité à sonder ses propres possibilités créatrices et émancipatrices».

De fait, l'œuvre permet de transcender les éléments chaotiques et contradictoires du réel qui nous entourent avec une sorte de fulgurance. Dans une moindre mesure, elle permet d'aborder les choses sous une forme qui correspondrait sans doute à ce qu'on appelle l'harmonie ou la beauté. En fait, cela revient à cristalliser à un moment donné des notions qu'il serait très difficile d'exprimer de manière littéraire. We Are Living Now Under the Same Roof comme un objet pluridimensionnel, susceptible d'être regardé sous différents angles.

«Le titre ‘Firdaouss’ renvoie directement au paradis suprême tel qu'il est dépeint dans les trois versets coraniques de Sourate Ya Sin (55 à 58), mais il n’est pas là pour définir le contenu de l'œuvre. Pour l’artiste, le contenu est ce que le spectateur éprouve sous l’effet des textures, des couleurs et des formes». L'artiste n'a pas écrit les versets, mais s'est plutôt évertuée à reproduire par des images ses sensations.

Transcrits sur 9 mètres de linceul islamique moyennant tatouages traditionnels faits avec du henné et flottant telle une partition musicale, chaque lecteur a entrevu, en picorant d'yeux l'œuvre, la profondeur de sa compréhension. Reste qu’il n'a compris que la signification apparente, celle dont la majorité des gens se contenterait d’entrevoir. Or, ce que la lecture a nécessité, c’est le niveau intérieur, l’intérieur de l’intérieur, ce qui est si profond qu’on ne peut le mettre en mots. Condamné à rester indescriptible, mais éprouvé forcément ! C'est donc ce que Khadija El Abyad a essayé de nous offrir à voir.

Une installation de ruchers déposée sur les hautes branches d’un arbre forestier, offerte comme refuge aux abeilles.«‘Duira’ développe une relation inextricable avec deux lieux : celui des jardins d’essais, qu’elle occupe et redéfinit, et celui du village, qui en est la source et avec lequel elle entre en résonance (...) L’œuvre réhabilite une pensée égalitaire entre les espèces et tend à activer à partir d’un site éloigné la relation affective au village, nous invitant ainsi à réfléchir aux responsabilités partagées vis-à-vis des espaces géoculturels faisant l’objet de marginalisation». Chaque unité - des cinq pièces - reprend à échelle réduite «les caractéristiques morphologiques et les principes structurels de l’architecture vernaculaire locale (mode de groupement du bâti, implantation sur le site, structuration des volumes qui épousent les courbes des roches, orientation conditionnée par certaines conditions climatiques, murs en terre sous forme d’adobe ou de pisé et toitures en chaume)».

Techniquement, l’œuvre est composée de différents matériaux : certains qui rappellent ceux utilisés au pré-Rif (plaque de zinc, branches de bois d’olivier sauvage, raphia, paille et terre); d’autres choisis pour l’habitat des abeilles, comme le bois de sapin, traité par enfumage de plantes sauvages.

Il s’agit de neuf fleurs de pacotille reproduites avec des câbles de nylon. «Cette œuvre s’inscrit dans une réflexion et un travail plus extensifs de l’artiste sur la notion d’intervention sur le paysage naturel : celle de l’artiste dans cet effort de reconstitution d’un fragment de jardin botanique; et celle de l’homme dans la nature, qui entraîne la planète vers des déséquilibres biophysiques alarmants».

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