Le poète, Kamal Zerdoumi, nous propose ici une lecture dans la trilogie poétique de l’écrivain et poète, Abdelhak Najib : «Le pays où les pierres parlent», «Finis Gloriae Mundi» et «Vitriol», parus aux Éditions Orion.
Par Kamal Zerdoumi, poète
«Pour en finir avec Chronos» pourrait servir de titre à ce premier recueil d'un étrange poète, héritier d'Héraclite et de Paracelse, soucieux d'«unir les instants» et de nous dire qu' «une femme ancienne nous attend à la sortie du désert avec du sel dans la main», autrement dit de la sagesse (ce sel étant le troisième élément, apport du grand alchimiste, après le soufre, principe mâle, et le mercure, principe femelle).
Mais revenons à ce combat surhumain qu'Abdelhak Najib veut mener contre le temps. Pour le poète, la question se pose ainsi : «Pourquoi arrimer ta barque au sable des jours» ? Qui se fie au temps se sacrifie sur l'autel de l'éphémère.
«N'écris pas sur l'argile. L'eau viendra tout effacer. Resserre tes signes et sculpte ton granit.»
Ainsi le minéral devient-il riposte au temps. L'on ne s'étonnera donc pas de rencontrer cette phrase fondatrice : «Tu iras dans le pays du silence pour faire parler les pierres». Cette phrase qui donnera, sous une forme plus condensée, son titre à un prochain recueil.
Ainsi le temps n'est que vanité, «sable des jours», sur laquelle rien de solide ne peut être érigé. Il est aussi principe igné : «Tes rêves brûlent au chaudron du sablier.»
Mais pourquoi, au fond, en finir avec Chronos ? Pour, nous apprend le poète, retrouver «une langue où l'âge s'efface», un âge d'or du langage, une langue première d'avant la chute, une «excarnation» : «Tu parleras ce premier langage, celui du temps premier...».
Cet élixir de jouvence langagier, le poème «Précession» le met en scène de manière exemplaire. J'en donnerai pour seul témoignage le sizain final :
«J'ai alors jeté ma besace. J'ai enlevé mes habits. Et j'ai marché Le soleil sur les épaules. Le cœur au vent. Et j'ai oublié».
Ici le dépouillement est générateur d'oubli. Du savoir doivent ne demeurer que des cendres (songeons à ce que nous dit Bachelard). Abdelhak Najib dit à sa manière : «Nous avons construit à l'oubli une tour imprenable.» Et ailleurs : «Aujourd'hui, nous avons l'oubli pour Histoire».
Les deux recueils s'interpénètrent. Ici, l'osmose est saisissante. Il en résulte une indifférence exégétique à l'égard de la chronologie de la trilogie.
Le minéral vient de trouver une alliée en l'amnésie pour triompher du temps. Cependant, cette défaillance de la mémoire ressemble, à s'y méprendre, au péché originel qui nous chassa du «paradis oublié» de l'enfance et, ainsi, nous condamna au «limon ingrat» de l'âge d'homme.
Avec «Vitriol», le mot «oubli» devient obsédant. «C'est que là est la clef», semble nous suggérer le poète. D'où cette litanie qui, ici, ne se veut pas exhaustive : «mes mains d'oubli» «cette cité oubliée» «tant d'années d'oubli», «[...], quand nous serions vestiges et ruines oubliés» «[...] un récit d'amnésie pour que vive la mémoire ».
L'on peut s'interroger, à juste titre, sur ce vocable insistant qui tatoue le recueil. Abdelhak Najib vient au secours du lecteur en mettant l'accent sur cette solution poétique, l'oubli, à la compacité du temps. En effet, il faut absolument que «l'amnésie sauve la mémoire d'une mort certaine, conséquence du figement d'événements accumulés par le temps dans ce dépotoir mnésique. Seule donc la fédération d'instants successifs sera garante de sa survie. Le poète met à profit l'héritage héraclitéen.
«Il faut remonter le désir sans lui nuire Nous appartenons à cet instant. Qui ne s'écrit sur aucun parchemin.»
Le mouvement est donc la loi. Mouvement perpétuel que rend si bien ce fragment d'énoncé : [...] tant que les hommes marchent, il y aura toujours une terre pour faire pousser le soleil».