Depuis son intronisation, le Roi Mohammed VI a toujours exprimé sa ferme volonté d’inscrire le Maroc sur les rails de la modernité et du respect des droits de l’Homme. Raison pour laquelle il a fait de la réforme de la Moudawana une priorité incontestable. Dans quelques mois, l’Instance chargée de la réforme de la Moudawana devrait remettre au Souverain une première version de ses propositions d’amendement.
Le Code de la famille a représenté un véritable bond en avant. Désormais, il ne suffit plus en tant que tel. L’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés» : c’est avec ces mots que le Roi Mohammed VI a exprimé son ambition de réformer la Moudawana, lors de son discours à l’occasion de la fête du Trône en 2022. Une ambition qui se concrétise à travers la lettre adressée, le 26 septembre dernier, par le Souverain au chef du gouvernement.
A travers ce document, le Roi a confié le pilotage de la préparation de cette refonte au ministère de la Justice, au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et à la présidence du Ministère public. Il a mis l’accent sur l’importance d’adopter une approche participative en appelant les institutions chargées du pilotage à associer à ce chantier d’envergure toutes les autres instances concernées par cette problématique. Il s’agit notamment du Conseil supérieur des Ouléma, le Conseil national des droits de l’Homme, l’Autorité gouvernementale chargée de la solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, ainsi que les acteurs de la société civile, les chercheurs et les spécialistes.
L’Instance chargée de la révision du Code de la famille a entamé début novembre les séances de consultation et d’audition avec les différents acteurs concernés. Le but étant de garantir que la Moudawana soit en harmonie avec l’édifice juridique national, les engagements internationaux du Royaume et ceux plaçant la famille marocaine au centre des défis posés par les questions du développement et de l’évolution de la société. Parmi les institutions ayant présenté leurs recommandations devant l’Instance, figure le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS).
Membre de cet organisme constitutionnel, Aicha El Hajjami souligne que le Conseil s’est attelé sur bon nombre de questions fondamentales. En l’occurrence, l’identité de l’enfant, l’établissement de la filiation pour les personnes nées hors mariage, les problèmes liés à la garde, le mariage des mineurs ainsi que le patrimoine conjugal. Hajjami estime que ces questions ont toutes une incidence considérable sur le parcours scolaire des enfants.
Séances d’audition : Chiffres clés Jusqu’au 13 décembre 2023, plus d’une centaine de séances d’audition ont été tenues pendant plus de 80 heures. Selon Mohamed Abdennabaoui, coordinateur de l’Instance et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, «ces séances, dont le bilan s’avère «très positif», ont permis d’écouter plus de 1.500 associations, à titre individuel et dans le cadre de coordinations ou collectifs impliqués dans les questions de la famille, de la femme et de l’enfance». Dans le détail, l’Instance a auditionné les représentants de 21 partis politiques, de six institutions officielles et de 10 associations actives dans le domaine des droits de l’Homme.
«Les parties prenantes veillent, à travers leurs propositions, à garantir la stabilité de la famille en la dotant d’un code à même de la prémunir des crises liées aux situations de désintégration, tout en insistant sur l’impératif de faire prévaloir l’équilibre entre les deux principales composantes de la structure familiale, le respect de la dignité de la femme et de l’intérêt suprême des enfants», précise Abdennabaoui. Remédier aux inégalités Nouzha Skalli, présidente du think thank Awal Houriates, considère que la modification de certaines législations ne devrait pas concerner uniquement le Code de la famille, mais toutes les lois, notamment celles contenues dans le Code pénal, qui comporte plusieurs articles relatifs à la condition de la femme, en l’occurrence l’avortement, la violence et les libertés individuelles. Il s’agit également d’autres lois liées à l’adoption, l’état civil, etc.
«Nous appelons donc à la parité homme-femme au niveau de la législation marocaine», affirmet-elle. Et de poursuivre : «Il faut opérer un changement de paradigme en ce qui concerne l’accès des femmes aux postes de décision. Il est temps qu’on parle aujourd’hui de partage du pouvoir entre les hommes et les femmes à l’échelle nationale; œuvrer en faveur de l’enracinement de la culture de l’égalité des genres dans notre société afin de permettre à notre pays de briller à l’international, tous domaines confondus». De son côté, Maria Charaf, représentante de la Coordination parité, relève que l’initiative menée par celle-ci se concentre sur les questions de parité, notamment l’égalité en matière d’héritage.
«Nous proposons l’élaboration d’un projet de loi visant à modifier les articles relatifs à la succession et au partage de l’héritage dans le Code de la famille», note-t-elle. Et la même source d’expliquer : «Ce projet de loi vise à mettre à jour les articles de la Moudawana liés aux testaments et au partage de l’héritage, et ce conformément aux enseignements bienveillants de l’islam et à la mise en œuvre des dispositions de la Constitution marocaine ainsi que des accords internationaux auxquels le Maroc a adhéré». Ainsi, plusieurs parties s’accordent sur le fait que la Moudawana devrait consacrer davantage le principe de l’égalité homme-femme. Dans la même veine, Me Nesrine Roudane, avocate au barreau de Casablanca, indique que la réforme pourrait renforcer la protection des droits des femmes, notamment en interdisant le mariage des mineurs.
«Ce mariage constitue une violation des droits des enfants et les expose à des abus et à des exploitations en les privant de l’éducation», précise-t-elle. De même, elle appelle à la juste application des dispositions visant la restriction de la polygamie, soulignant que le fait d’imposer des restrictions plus strictes pourrait réduire les conflits et les tensions dans les familles en évitant les situations de vulnérabilité. Outre cela, l’avocate assure que l’autorité parentale fait partie des points qui devraient être sérieusement pris en considération. Qui plus est, cela mettrait un terme aux abus qui ont vu le jour du fait de la consécration de l’autorité patriarcale, sans négliger les droits financiers des enfants en cas de séparation des parents pour les prémunir des situations de précarité. L’octroi exclusif de la tutelle au père est l’un des principaux points de discorde de la Moudawana de 2004. En vue de remédier à cette inégalité, Me Roudane recommande d’instaurer un système de tutelle partagée entre les deux parents.
«Ce système permettrait aux parents de partager les responsabilités parentales, notamment celles liées à l’éducation, à la santé et aux biens des enfants. Les propositions concrètes pour mettre en place ce système incluent la suppression de l’article 172 de la Moudawana, qui accorde la tutelle au père, et l’introduction d’un article précisant que la tutelle est exercée conjointement par les deux parents». Il est à noter que les différentes propositions d’amendement émanant des consultations participatives devraient être soumises au Roi dans un délai maximum de six mois à compter de la date du 26 septembre.