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Sara Touirsi : «Le crack est un sérieux problème de santé publique»

Sara Touirsi : «Le crack est un sérieux problème de santé publique»

Le phénomène du crack, aussi appelé L’poufa fait des ravages chez de très nombreux consommateurs, notamment les jeunes qui payent de lourds tribus aux drogues. Retour sur un fléau social avec Docteur Sara Touirsi, psychiatre et spécialiste des addictions.

 

Propos recueillis par Abdelhak Najib

 

Finances News Hebdo : Ce phénomène que les spécialistes appellent «Lpoufa» fait des ravages au sein de la société marocaine. Quelle lecture faites-vous sur cette grave situation ?
 
Sara Touirsi : «Lpoufa» ou «Lcrack» ou encore «Free Base» est une drogue dérivée de la cocaïne, mélangée à du bicarbonate ou à de l’ammoniac puis cristallisée pour former des petits cailloux inhalés à l’aide une pipe. Cette drogue puissante a longtemps sévi dans plusieurs pays du monde comme aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. Le crack a fait son entrée au Maroc il y a plusieurs années mais ce n’est que depuis peu que l’on en entend parler car les professionnels de santé reçoivent un nombre croissant de patients souffrants des effets de cette drogue qui sont multiples et qui touchent toutes les sphères, portant un grave préjudice à la santé physique et mentale du patient. Le retentissement sévère de cette substance principalement sur le système cardio-vasculaire et respiratoire mais aussi son rôle dans l’aggravation et l’émergence de troubles psychiatriques a placé cette drogue parmi les problématiques sanitaires urgentes au Maroc.
 
F. N. H. : Comment, en tant que psychiatre et addictologue, faites-vous pour prendre en charge des patients consommateurs de Lpouffa ?
 
S. T. : La prise en charge se fait idéalement en milieu hospitalier pour mettre le patient à l’abri de la tentation et de l’accessibilité au produit. À ce jour, Il n’existe pas de traitement spécifique, la prise en charge se fait à travers une approche globale et pluridisciplinaire du patient addict avec bilan général sanguin, cardiaque, ORL, pour traiter les effets nocifs engendrés par la consommation du crack. Les symptômes de sevrage sont pris en charge par un traitement médicamenteux qui vise à réduire le «craving» ou le besoin de consommer. Une psychothérapie avec comme pilier l’entretien motivationnel accompagne le patient tout au long de son parcours de soins, que ce soit en phase de sevrage ou pour la prévention de la rechute.
 
F. N. H. : Quel protocole mettez-vous en place et combien de temps cela dure-t-il pour avoir des résultats probants ?
 
S. T. : Le protocole de prise en charge diffère selon le profil de chaque patient. Il est nécessaire d’adapter le volet thérapeutique afin d’intégrer tous les facteurs spécifiques à chaque patient et à chaque situation. Une approche pluridisciplinaire permet de soigner les conséquences somatiques survenues suite à la consommation. Il faut également rechercher une polyconsommation, la présence de comorbidités ou de déficits cognitifs.
 
Bien qu’aucun traitement ciblé n’existe à ce jour, une panoplie de médicaments est disponible et qui permet de réduire les symptômes de sevrage et du craving, faits de médicaments anticonvulsivants et antipsychotiques. Un accompagnement psychologique est nécessaire afin d’obtenir des résultats probants au long cours.
L’approche par la réduction des risques est une solution de plus en plus adoptée dans le monde pour limiter les dégâts engendrés par la consommation de drogues. En effet, cette méthode permet de garder un certain contrôle sur la consommation des patients incapables de mener à bien un sevrage complet. Il s’agit d’établir des salles de consommation servant de dispositif d’aide sécurisé.
 
F. N. H. : A votre avis, comment expliquez-vous cette consommation de plus en plus accrue surtout chez les jeunes ?
 
S. T. : La consommation de Lpoufa a pris beaucoup d’ampleur dans la société marocaine. L’accessibilité à cette drogue appelée  «drogue des pauvres» l’a démocratisée auprès des jeunes et moins jeunes, femmes et hommes. Les consommateurs de cette substance vivent souvent dans une grande précarité sociale, sont souvent issus de milieux défavorisés et témoignent dans la plupart des cas d’une grande détresse psychologique. L’euphorie rapide et l’effet presque instantané obtenus après la consommation de cette substance sont également incriminés dans son positionnement en tant que drogue largement convoitée.
 
F. N. H. : Face à la recrudescence de ces fléaux liés aux addictions, pensez-vous que le Maroc est outillé en termes de centres et d’unités de soins pour faire face aux dégâts causés par la consommation des stupéfiants ?
 
S. T. : Ces dernières années au Maroc, l’addictologie, longtemps stigmatisée comme spécialité médicale, a nettement évolué avec la mise en place de centres spécialisés dans les quatre coins du Royaume avec allocation de moyens humains et financiers plus importants et mise en place de protocoles spécifiques, ciblés et adoptant des approches novatrices axées sur les soins, la prévention. Mais aussi sur la réduction des risques, comme approche réaliste et efficace sur le court terme. Des campagnes de sensibilisation ont également été mises en place dans le but de prévenir la consommation primaire. Le chemin demeure long et davantage de mobilisation est requise pour améliorer et élargir le parcours de soins.
 
F. N. H. : En tant que spécialiste, quels conseils pouvez-vous donner aux parents pour éviter que leurs enfants tombent dans le piège inextricable de la consommation des drogues ?
 
S. T. : L’addiction est un fléau qui sévit dans nos sociétés et qui a longtemps été ignoré ou à peine effleuré par l’opinion publique. La consommation de substances psychoactives a longtemps été considérée comme un tabou et les patients souffrant de cette pathologie ont été marginalisés et stigmatisés par la société mais aussi par leurs proches. Ceci a contribué à la recrudescence de l’addiction aux drogues chez toutes les catégories sociales et les individus de tous les âges. Il est nécessaire d’établir un canal de communication avec les jeunes et de lever les tabous. La sensibilisation commence au foyer par l’établissement d’un rapport de confiance et de tolérance entre les parents et leurs enfants. Il est important d’enseigner aux enfants l’importance de la prise de décisions pour ne pas succomber à l’influence des pairs auquel l’enfant sera confronté tôt ou tard. La mise en place d’activités ludiques et diversifiées est également importante.
 
Il est nécessaire de détecter tout signe de changement et en cas de doute, consultez un professionnel en santé mentale et en addictologie.

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