Culture & Société

Tous les articles

«Entretiens» de Docteur Imane Kendili aux Éditions Orion. Arithmétique des mots

«Entretiens» de Docteur Imane Kendili aux Éditions Orion. Arithmétique des mots

Les Éditions Orion viennent de publier un ouvrage de référence sous forme d'Entretiens avec l'écrivain et penseur, Abdelhak Najib. Un livre  mené avec maîtrise par Docteur Imane Kendili, psychiatre et auteure. 
 

«J’ai découvert l’univers de l’écrivain et penseur, Abdelhak Najib, en lisant son roman : «Les territoires de Dieu». Lectrice assidue de presque tout ce qui paraît en termes de littérature au Maroc et ailleurs, j’ai été soufflée par la force de ce roman. Le propos, les histoires enchevêtrées, les personnages, les caractères, leurs multiples et complexes psychologies, le style, les différents niveaux de langue utilisés dans un même récit protéiforme, qui produit sa propre forme au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture de ce texte si dense, si caustique, si profond, si cynique, si drôle et si tragique. Depuis, j’ai lu tout ce que Abdelhak Najib a écrit depuis. «Le printemps des feuilles qui tombent», qui démystifie les faux printemps arabes, «Le pays où les pierres parlent», un recueil de poésie prophétique, hermétique et alchimique annonçant toute la suite poétique, de «Vitriol» à «Spiritus Mundi», en passant par «Finis Gloriae Mundi», «Ma9amates Ilahiya», «La Ilaha Fi Al Madar», «Le soleil au cœur des hommes», «Memento Mori» ou encore «Nihayato Majdi Al 3alem». Le même souffle élégiaque. Les mêmes univers, entre sciences occultes, kabbale mystique, Ars Magnus et la philosophie de ce que le poète nomme les Anciens.» Voici comment Docteur Imane Kendili, psychiatre, auteure et chroniqueuse entame son livre d'entretiens avec l'écrivain et penseur, Abdelhak Najib. Nous sommes de plain-pied au coeur de l'œuvre déjà importante en volume et en qualité d'un auteur qui construit son travail philosophique, brique après brique, avec sérieux et application. 

Docteur Imane Kendili poursuit son explication du pourquoi de cet ouvrage : «Puis, j’ai entamé les œuvres philosophiques du penseur, Abdelhak Najib. Tout a commencé avec «La dignité du présent», un réquisitoire sur le monde moderne et ses dérives. Un livre poignant de justesse et de force. Le genre d’ouvrages dont on ne sort pas indemne. Puis ont suivi : «Et que crève le vieux monde», «Inhumains», «Le vol d’Icare», «La vérité est une zone grise», «La voix de la Terre», «Black-out», «Le forgeron des eaux», «Variations aléatoires», «La quadrature du cercle», «Psychanalyse de l’improbable», «Le point de bascule», «Fractales», «La sonate de Satan», «La structure du vide» et tant d’autres essais, qui versent tous dans le sens d’une radioscopie de notre monde, dans toutes ces variétés et variations, un monde finissant, un monde en fin de cycle, avec une humanité éreintée, épuisée, digitalisée, robotisée allant droit vers son extinction programmée et annoncée. Plus d’une vingtaine d’essais, solidement construits, avec une verve particulière et un franc parler presque unique dans la littérature marocaine et arabe, sans parler de cette guimauve qui nous est présentée aujourd’hui en Occident avec des auteurs à la mode surfant sur le futile et l’utile, épousant les angles et donnant le consensus». 

En effet, chez Abdelhak Najib, le propos est cinglant. L’analyse est sans concessions, avec des références philosophiques, littéraires et artistiques de grand acabit. Ce qui fait de cette pensée un virage unique dans la pensée arabe actuelle où même les voix les plus sérieuses continuent encore de recycler de vieux poncifs éculés oubliant que les époques ont changé  et que d’autres lectures de la pensée universelle sont aujourd’hui nécessaires pour plus de clarté et plus d’acuité face à un monde de plus en plus flou, de plus en plus trouble et troublé où les mélanges de genres finissent par achever le travail de sape entamé par la numérisation de la pensée, par la tutelle du digital et par ce que Abdelhak Najib appelle : le diktat de la médiocrité.

Cette philosophie, développée ici par l’auteur, qui est aussi un journaliste de belle facture doublé d’un excellent critique d’art et de cinéma, nous montre à quel point nous avons besoin de revoir nos préjugés sur le monde et sur l’humanité d’aujourd’hui. Elle nous montre que nous sommes aujourd’hui, tout autant que nous sommes, sommés de changer d’angle de vision pour embrasser différemment les méandres d’une humanité à bout de souffle et au bord de la faillite. Ce regard sans compromis tranche avec toute cette littérature du folklore au rabais qui a aujourd’hui droit de cité au Maroc, dans le monde arabe et ailleurs, avec des thématiques puériles et sans profondeur, avec des textes approximatifs tant sur le fond que sur la forme, sans aucun style, sans caractère ni personnalité.

Cette vision proposée par Abdelhak Najib crée une ligne de démarcation avec cette «écriture» passe-temps, cette pseudo littérature de l’amusement, avec beaucoup de nombrilisme et des failles narcissiques béantes. Rien de tel chez Abdelhak Najib, autant le philosophe que le poète. Rien de tel chez le romancier qui continue à construire une œuvre de plus en plus  dense et unique avec la publication de «Le labyrinthe de l’archange», avec déjà les deux premiers volumes déclinés en sage de plus de 1200 pages, écrites avec rage, avec lyrisme, avec amour, avec passion, avec colère, avec sarcasme, avec jubilation où l’écriture et la maîtrise atteignent un niveau sans pareil dans les annales de la littérature marocaine et arabe. Un style au hachoir, des situations humaines puissantes, plus de 100 personnages finement ciselés, magistralement dépeints dans une langue libre, une langue forte, une langue riche puisant ses sources dans la philosophie, dans la poésie, dans la littérature universelle, celle qui accompagne Abdelhak Najib, depuis toujours. Comme d’ailleurs dans ce roman atypique à plus d’un égard qui rappelle les univers cocasses et tragiques d’un certain Albert Cossery, très cher au cœur de l’auteur.

Je pense à «La dernière guerre du soldat inconnu», un roman d’une force, d’une acuité, d’une actualité qui va au-delà du factuel pour donner à lire le monde d’aujourd’hui dans sa folie et dans ses errances. On retrouve ici la verve de Henry Miller avec sa Crucifixion en rose ou ses incontournables Tropiques, de Robert Musil, celui de «L’Homme sans qualités», de Lawrence Durrell, dans son magique «Le quatuor d’Alexandrie», celui de Dostoïevski, de Thomas Mann, de Hermann Hesse, de Joseph Conrad et son inégalable «Lord Jim», ou encore du divin James Joyce, dans son sublime «Ulysse». Tout comme dans la poésie de Abdelhak Najib on retrouve ses univers humains, trop humains de Saint-John Perse, de Mallarmé, de Rimbaud, de Maïakovski, de Mandelstam, de Lautréamont ou encore celui de René Char auquel Abdelhak Najib a consacré une belle étude intitulée : «René Char, l’éclair qui dure». Un ouvrage en résonance avec un autre essai dédié à un philosophe hors pair : «Friedrich Nietzsche, l’éternel retour», sans oublier un autre essai portant le titre très révélateur de «Dionysos». C’est dire toute la diversité de cette œuvre qui se construit devant nous depuis vingt ans, avec des ramifications toujours aussi fortes et surprenantes. Le tout, évidemment, conçu, élaboré et réfléchi comme une œuvre unique, avec un fil d’Ariane, comme d’ailleurs le titre de l’un des essais de Abdelhak Najib consacré cette fois à la littérature et à quelques figures littéraires qui ont marqué le parcours de l’auteur.  

C’est dans cet esprit que Docteur Imane Kendili a décidé de mener avec Abdelhak Najib ces échanges, ces dialogues, ces conversations, ces partages d’idées et de réflexions sur le monde, sur l’humanité, sur nos sociétés modernes, sur l’écriture, sur la poésie et sa place dans un monde de plus en plus superficiel, sur le rôle que peut encore jouer le philosophe pour alerter, pour mettre en garde, pour apporter un autre regard sur le monde et ses mutations. Elle a donc réuni dans ce volume quelques entretiens qui traversent l’œuvre de Abdelhak Najib, dans ses nombreuses sinuosités pour donner à voir et à lire un certain regard porté sur le monde et sur notre humanité en déshérence. Des entretiens qui montrent à quel point l’œuvre de Abdelhak Najib est inscrite au cœur de l’actualité multiple de ce monde qui change à vue d’œil en face de nous, à quel degré cette œuvre est profonde, sérieuse, solidement construite épousant les imbrications d’une vision humaine sans concessions et sans compromission. 

 

Par Mustapha Guiliz 
Écrivain et enseignant 

 

Aux Éditions Orion. 280 pages. Avril 2023. Disponible en librairies

 

 

 

Articles qui pourraient vous intéresser

Jeudi 18 Avril 2024

Art africain: la Fondation BMCI lance l'exposition «Vogue »

Vendredi 05 Avril 2024

«Abdelhak Najib : un homme, une œuvre» aux Éditions Orion. La quête du Grand Œuvre

Mardi 12 Mars 2024

Les romans de Abdelhak Najib: radioscopie des Etats arabes

Samedi 02 Mars 2024

Livre événement. « Palestine: l’impossible État » de Abdelhak Najib

L’Actu en continu

Hors-séries & Spéciaux