Les importations marocaines de produits textiles turcs ont bondi de 175% entre 2013 et 2017.
L’hégémonie du textile turc sur le marché local est tout sauf le fruit du hasard.
Par M.D
Pour peu que l’on soit attentif à ce qui se passe sur le marché domestique, il est assez aisé de constater la forte pénétration des produits textiles turcs au Maroc, comme en témoigne la présence remarquée sur notre territoire de certaines marques comme LC Waikiki, Koton, Defacto, pour ne citer que les plus connues d’entre elles.
Les chiffres disponibles parlent d’eux-mêmes : en l’espace de quatre ans (2013-2017), les importations d’articles textiles issues de cette puissance régionale avec laquelle le Royaume a conclu un accord de libre-échange (ALE), entré en vigueur en 2006, ont bondi de 175%.
Afin de couper court à cette croissance vertigineuse, causée en partie par l’ALE, et dans l’optique de préserver les emplois du textile national ainsi que sa compétitivité, la mesure de sauvegarde préférentielle sur les importations de produits de textile et d’habillement en provenance de Turquie, dans un premier temps provisoire, a été rendue définitive par la tutelle, et ce jusqu’en 2021.
Concrètement, cela implique l’application sur les importations d’un droit additionnel ad valorem équivalent à 90% du taux fixé dans le cadre du droit commun.
L’invasion des articles textiles issus de ce pays suscite plusieurs interrogations. La réponse de la tutelle à travers la mesure synonyme de défense commerciale, autorisée par l’ALE, permettra-t-elle aux opérateurs nationaux de se renforcer davantage sur le marché local qui pèse pas moins de 40 Mds de DH ? Les industriels turcs bénéficient-ils de facteurs de production plus favorables que leurs homologues marocains ? Les entreprises issues de ce pays jouissent-elles d’un accompagnement spécifique de la part de leur gouvernement (subventions, aides publiques, exonération fiscale, etc.) ?
Ces interrogations sont d’autant plus pertinentes qu’à l’horizon 2023, le gouvernement turc a la grande ambition de porter les exportations de produits textiles à 80 Mds de dollars.
Les professionnels sont formels : la mesure de sauvegarde préférentielle est salutaire mais insuffisante pour donner un coup d’arrêt à la croissance des importations de textile turc, favorisée par la dévaluation de la Livre turque.
Un avantage comparatif avéré
La présence timorée des opérateurs marocains sur le marché domestique qui serait liée à plusieurs facteurs endogènes (importations frauduleuses, contrebande, etc.) contraste avec l’excellente tenue des exportations nationales du secteur au cours des dernières années.
D’après les chiffres préliminaires de l’Office des changes au titre de l’année 2018, les articles de textile et cuir ont bondi de 4,2% pour se situer à 38,6 Mds de DH. Cette performance à l’export a été quelque part soutenue par le Plan d’accélération industrielle (PAI), qui a assigné au secteur plusieurs objectifs dont ceux de l’atteinte du chiffre additionnel de 10 Mds de DH et 100.000 emplois engagés à l’horizon 2020.
Une chose est certaine, l’hégémonie du textile turc sur le marché local est tout sauf le fruit du hasard. Les subventions et aides publiques accordées aux industriels ainsi que la structuration complète de la filière textile confèrent aux produits turcs un avantage comparatif sur le marché local. ◆
Le lobbying de l’Amith
L’Association Marocaine des Industries du Textile et de l'Habillement (Amith) déploie d’intenses efforts afin de permettre aux opérateurs marocains de faire face à l’âpre concurrence abritée par le marché européen, principal débouché des exportations nationales. L’association s’appuie sur le lobbying pour convaincre la Commission européenne d’accorder aux opérateurs nationaux les avantages inhérents à la règle de simple transformation, similaires à ceux accordés par l’Union européenne aux pays les moins avancés dans le cadre de l’initiative «Tout sauf les armes».
Car, faudrait-il le rappeler, jusque-là, pour les industriels marocains, seuls les produits confectionnés à partir de tissus importés de la zone euro-méditerranéenne de libre-échange peuvent bénéficier de conditions tarifaires identiques à celles accordées dans le cadre de l’initiative évoquée.