Nichée entre l’océan Atlantique et le désert, la région de Dakhla offre le tableau d’une économie bleue marocaine florissante, mais confrontée à des défis de nouvelle nature, tant endogènes qu'exogènes.
Par Désy M.
Depuis deux décennies, le Maroc a entrepris une transformation radicale de ses provinces sahariennes afin de les ériger en pilier stratégique de l’économie bleue. La région de Dakhla-Oued Eddahab, véritable fer de lance de cette vision, incarne une success-story qui mêle innovation technologique, montée en puissance industrielle et intégration socioéconomique. C’est ce qui ressort du rapport de l’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS) intitulé : «Économie bleue Afrique-Atlantique : une success-story venue du sud face à de nouveaux défis», et présenté lors du Salon Halieutis qui s’est tenu à Agadir. Ce rapport, réalisé sous la direction de Kabiné Komara, ancien Premier ministre de Guinée, met en focus une économie bleue marocaine florissante mais confrontée à des défis de nouvelle nature, tant endogènes qu'exogènes, tenant compte des aléas de la géopolitique et des mouvements migratoires.
Un moteur économique et social pour la région
Selon les chiffres énoncés dans le rapport, le secteur primaire génère 43,2% de la valeur ajoutée locale et contribue à hauteur de 1,8% à la richesse nationale dans ce domaine. La pêche est le principal employeur de la province d’Oued Eddahab, avec environ 40.000 emplois directs et indirects. En modernisant ses techniques de pêche industrielle au large de Dakhla, le Royaume a permis l'éclosion d'un écosystème d'industriels nationaux exportant des produits de la mer dans plus de 120 pays, générant plus de 3 milliards de dirhams (300 millions d’euros) de valeur annuelle. Les investissements publics et privés dans le domaine maritime dans les régions de Laâyoune, Boujdour et Dakhla s'élèvent à environ 4 milliards de dirhams. Avec 32 navires et 40 unités industrielles, cette success-story a fait du sud du Maroc une région pivot de l'industrialisation de la façade atlantique du Royaume. Cette montée en puissance repose sur une politique volontariste visant à réduire la dépendance vis-à-vis des armateurs étrangers et à développer une souveraineté économique et industrielle.
En parallèle, l’essor de la pêche pélagique grâce à la technique RSW (Refrigerated Sea Water) a permis d’améliorer la qualité des captures et d’optimiser la transformation locale, renforçant ainsi la compétitivité de l’offre marocaine sur les marchés internationaux. Cette flotte RSW de Dakhla capture environ 400.000 tonnes de poissons par an, soit près de 30% de la production nationale. L’économie bleue dans la région de Dakhla-Oued Eddahab ne se limite pas aux retombées économiques. Elle a joué un rôle clé dans la sédentarisation des populations et l’intégration socioéconomique des habitants et travailleurs migrants.
Aujourd’hui, 60% des emplois directs sont occupés par des femmes, renforçant leur autonomie financière et leur insertion dans le tissu économique régional. Grâce aux investissements dans les infrastructures portuaires et industrielles, Dakhla est devenue un hub régional d’exportation, notamment vers l’Europe et l’Afrique subsaharienne. 77% du chiffre d’affaires des entreprises de pêche sont réalisés à l’export, représentant 13% des exportations halieutiques du Maroc, soit l’équivalent de 2,8 milliards de dirhams de produits finis exportés.
Défis et recommandations
Mais cette réussite n’est pas sans fragilité, lit-on dans le rapport de l’IMIS. Le changement climatique exerce une pression croissante sur les ressources marines. La hausse des températures des océans perturbe les cycles naturels des poissons, forçant certaines espèces à migrer vers d’autres eaux. La surexploitation des stocks halieutiques, bien qu’encadrée par des quotas stricts, reste un défi de taille. À cela s’ajoutent les incertitudes géopolitiques. L’annulation récente de l’accord agricole entre le Maroc et l’Union européenne par la Cour de justice européenne a jeté une ombre sur l’avenir des exportations halieutiques vers les marchés européens, susceptibles de baisser de 50% à 80%, entraînant un manque à gagner estimé entre 1,374 et 2,198 milliards de dirhams, menaçant des milliers d’emplois.
Parallèlement, les pratiques de pêche illégale, particulièrement actives dans les eaux ouest africaines, continuent de compromettre l’équilibre fragile des écosystèmes marins. Pour préserver son statut de modèle d’économie bleue, Dakhla devra renforcer la collaboration entre acteurs publics et privés, notamment à travers des programmes de recherche communs et un système de surveillance renforcé des ressources halieutiques. La région devra également miser sur le développement technologique, avec des investissements nécessaires dans des solutions durables pour la transformation et la gestion des ressources. De plus, la diversification des débouchés commerciaux apparaît également cruciale.
Face à l’instabilité des marchés européens, le Maroc doit regarder davantage vers l’Afrique et l’Asie, en s’appuyant sur des cadres comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Enfin, des programmes de formation ciblés pour les pêcheurs et les ouvriers, accompagnés de mécanismes de protection sociale, sont essentiels pour amortir les chocs des mutations sectorielles. L’économie bleue à Dakhla illustre la capacité du Maroc à transformer ses ressources naturelles en levier de développement économique et social. Cependant, face aux défis climatiques, réglementaires et économiques, il est impératif d’adopter des stratégies résilientes pour garantir la pérennité et la compétitivité de ce modèle. En consolidant son expertise et en diversifiant ses débouchés, Dakhla pourrait continuer à rayonner comme un pôle d’excellence de l’économie bleue en Afrique.