Un vent d’euphorie souffle sur l’industrie automobile marocaine. En l’espace de trois jours, 2 annonces de taille ont été faites par Mouay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, confirmant encore un peu plus l’orientation industrielle du Royaume et sa capacité à attirer les investisseurs étrangers de toute origine.
Il s’agit d’abord de l’annonce de l’implantation au Maroc du géant chinois du transport électrique BYD («Build your dreams»), véritable icône de l’innovation dans son pays, que d’aucuns comparent au très médiatique constructeur américain Tesla.
Le protocole d’accord entre l’entreprise chinoise, qui revendique un chiffre d’affaires de 17 milliards de dollars en 2016 (voir encadré), et le gouvernement marocain, a été signé devant le Roi Mohammed VI.
«C’est un gage pour les dirigeants chinois que ce projet sera suivi au plus haut sommet de l’Etat», explique MHE, qui a du mal à dissimuler sa satisfaction d’avoir réussi à attirer un tel géant sur les terres marocaines, damant le pion à d’autres pays concurrents, candidats à l’accueil de BYD.
BYD : Au-delà de l’industrie automobile
La particularité de cet investissement, dont ni le montant ni l’échéancier n’ont été communiqués pour l’instant, est qu’il dépasse le cadre de l’industrie automobile stricto sensu, tel qu’on le connaît au Maroc.
Il prévoit certes une usine de production de véhicules électriques, d’une capacité annoncée de 100.000 unités par an, dont une grande partie sera destinée à l’export. Et le Maroc tient bien son troisième constructeur automobile, après Renault et PSA. Mais c’est tout un écosystème de mobilité électrique bâti autour de BYD qui verra le jour.
Ainsi, à côté de l’usine de véhicules électriques, l’accord avec le Maroc prévoit également une usine de batteries, une autre de camions et de bus électriques (capacité annoncée de 400 unités par an), et une autre de trains monorail.
Ce sont des technologies de pointe, avec une forte composante R&D. La technologie de stockage des batteries est particulièrement centrale, puisque BYD est l’une des seules entreprises au monde à détenir la technologie des cellules de batteries. Tesla, par exemple, importe ses cellules de chez le japonais Panasonic.
«Cet écosystème complet, qui va de la batterie aux véhicules de tourisme, va nous permettre d’entrer véritablement dans l’ère de l’électrique», souligne MHE, ce qui cadre parfaitement avec la stratégie marocaine en matière d’énergies renouvelables rappelle-t-il.
«C’est précisément la raison pour laquelle nous avons choisi BYD, qui est le seul constructeur au monde à réaliser une telle intégration verticale», précise MHE. Et d’ajouter que «le Maroc, dans son spectre d’industrialisation, ne peut être à l’écart de cette industrie 4.0 à fort contenu technologique».
Profiter du boom européen de la voiture verte
En attirant le géant chinois sur la plateforme industrielle marocaine, le Royaume compte bien profiter du boom annoncé de la voiture électrique en Europe qui se profile. Aujourd’hui, 20% des véhicules vendus en Europe sont des véhicules électriques. Cette part déjà importante est susceptible de grandir encore plus dans les prochaines années, quand on sait que plusieurs capitales européennes, comme Paris, ont d’ores et déjà interdit la circulation des voitures à moteurs thermiques d’ici 2025. D’autres capitales du Vieux continent pourraient suivre cette tendance.
Le Maroc se doit d’être prêt avec le meilleur partenaire possible pour surfer sur cette tendance et répondre à une demande croissante en mobilité électrique, explique-t-on au ministère.
D’ailleurs, la capacité annuelle de 100.000 véhicules annoncée pour la future usine BYD pourrait être très largement revue à la hausse, si la demande pour ce genre de voitures venait à exploser, notamment en Europe.
La Chine change de modèle
Pour le géant chinois, cette implantation au Maroc répond à une logique de relocalisation de ses activités industrielles à la recherche de compétitivité. Car, comme ne cesse de le répéter MHE, la Chine change de modèle industriel, le salaire moyen ayant fortement progressé ces dernières années pour encourager l’émergence d’une classe moyenne fortement consumériste.
La Chine devrait perdre dans les années à venir plus de 85 millions d’emplois, principalement industriels. Le Maroc a naturellement vocation à accueillir une partie de ces emplois. Et la visite historique du Roi Mohammed VI à Pékin en mai 2016 a posé les jalons d’un partenariat fort entre les deux pays. Un partenariat qui se concrétise donc de la plus belle des manières avec le projet marocain de BYD.
Le constructeur chinois pourrait ainsi bénéficier de la position géostratégique du Royaume, aux portes de l’Europe et de l’Afrique, ainsi que de la cinquantaine d’accords de libre échange qui couvre un marché de plus d’1 milliard de consommateurs. «Surtout, précise MHE, ce qui pèse le plus dans le choix des investisseurs de venir au Maroc, c’est la stabilité politique dont jouit le Royaume. Sans stabilité, il n’y a rien !». ■
100 milliards de DH à l’export et 65% d’intégration en 2020
A peine le temps de digérer cette grande annonce, que le ministère de l’Industrie remet le couvert deux jours plus tard avec une autre annonce non moins importante : 26 investissements industriels dans le secteur de l’automobile, d’un montant global de 13,78 milliards de dirhams, ont été signés lundi 11 décembre devant le Roi. Les emplois directs générés par ces investissements sont estimés à plus de 11.560 postes.
Il s’agit cette fois de l’installation au Maroc de plusieurs équipementiers, parmi les plus importants au monde (citons, entre autres, l’américain Nexteer Automotive spécialisé dans la transmission, l’italien MTA (Boitier électromagnétique), le français Faurecia (intérieur véhicule), le chinois Aotecar (compresseur pour climatisation) ou encore l’indien Varroc lighting spécialisé dans l’éclairage) et qui viendront se greffer aux écosystèmes déjà mis en place, notamment ceux de PSA à Kénitra, de Renault à Melloussa et de l’écosystème câblage.
Une fois de plus, devant les journalistes qu’il a conviés à la conférence de presse post-signature, MHE marche sur du velours. Et pour cause, il est en passe de réussir son pari, que beaucoup pensaient intenable, sur le chiffre d’affaires à l’export de l’industrie automobile, sur le taux d’intégration et sur les emplois industriels. «Les écosystèmes portent leurs fruits. Nous sommes dans du concret», assure le ministre.
Ainsi, grâce à ces nouveaux investissements qui introduisent des filières jusqu’ici inexistantes au Maroc, comme la fabrication de jantes en aluminium, de pare-chocs, des tableaux de bord, de la connectique et même de la transmission/direction assistée, le taux d’intégration locale de l’industrie automobile marocaine, véritable nerf de la guerre de la stratégie industrielle, devrait bondir.
Le ministre affirme que ce taux devrait s’établir à 55% en fin d’année 2017. Avec un volume d’exportation du secteur automobile qui devrait atteindre 70 milliards de DH en 2017 selon les estimations, la valeur ajoutée qui restera au Maroc serait donc de 38,5 milliards de DH.
C’est déjà en soi une belle avancée, souligne la tutelle, qui rappelle qu’en 2007, l’industrie automobile marocaine réalisait un chiffre d’affaires à l’export de seulement 12 milliards de DH avec un taux d’intégration de 16%.
Mieux encore, pour 2020, le ministère s’attend à un volume d’affaires à l’export de 100 milliards de DH, avec un taux d’intégration de 65%. Ce qui donnerait une valeur ajoutée locale de près de 65 milliards de DH !
Sourcing local : PSA et Renault en avance
Des chiffres qui ne sortent pas du chapeau, tient à préciser MHE, qui n’hésite pas à lancer à l’assistance des chiffres censés être confidentiels. PSA, par exemple, dont l’usine à Kénitra doit démarrer ses activités en 2019, a déjà commandé pour 600 millions d’euros de pièces auprès de fournisseurs locaux, sur le milliard d’euros prévus dans le contrat avec l’Etat marocain. «La première voiture PSA qui sortira de l’Usine de Kénitra aura un taux d’intégration de 65%. Avec la fabrication des moteurs, ce taux passera à 85%», précise-t-il.
Même chose pour Renault, dont l’écosystème signé avec le gouvernement prévoit que le constructeur français s’approvisionne en pièces chez des fournisseurs locaux pour un montant de 2 milliards d’euros. Selon le ministère, le constructeur français aurait déjà acheté pour plus d’un milliard d’euros de pièces auprès d’équipementiers installés au Maroc.
«Renault et PSA sont très en avance sur les objectifs fixés en matière de sourcing», révèle le ministre. Ce dernier constate par ailleurs, qu’avec les usines Somaca, Renault Melloussa et PSA Kénitra, la capacité du Maroc atteindra en 2019 près de 650.000 véhicules. Une masse critique qui permettra d’attirer encore plus d’équipementiers vers le Maroc.
Sur le front de l’emploi, l’un des sujets les plus épineux de la stratégie du Plan d’accélération industrielle, les objectifs sont aussi en passe d’être atteints, assure-t-on au ministère. «Les 5 écosystèmes métiers structurés ont créé
plus de 80.000 emplois, soit 90% de l’objectif sectoriel à horizon 2020». Et de prévenir : «Ce qui est fait est exceptionnel, mais le match n’est pas fini. Nous voulons contaminer les autres secteurs». ■
A.E