Par Saad Alami, Directeur des Affaires Générales d'Axa Service Maroc
Depuis une vingtaine d’années, le Maroc s’est hissé parmi les places fortes de l’externalisation de services. D’abord centré sur la relation client et les métiers d’appels, le secteur a ensuite connu une profonde mutation.
À mesure que les besoins des donneurs d’ordre se diversifient, que les exigences ESG [critères environnementaux, sociaux et de gouvernance] s’intensifient et que la concurrence s’élargit, l’offshoring marocain doit revoir ses fondamentaux pour franchir un nouveau palier. Une montée en gamme qui ne pourra s’opérer sans stratégie d’ensemble.
Un socle solide, mais à repenser
Les bases du modèle marocain restent robustes, à travers une proximité géographique avec l’Europe, une affinité linguistique, une fiscalité incitative, une infrastructure technologique moderne, et des zones offshores spécialisées comme Casanearshore, Technopolis ou encore Fès Shore. En 2023, le Maroc a gagné 12 places dans le Global Services Location Index pour atteindre le 28ᵉ rang mondial, preuve que son attractivité ne faiblit pas.
Mais cette position est désormais mise à l’épreuve. Le coût du travail, qui faisait figure d’avantage, est de moins en moins différenciant. L’émergence de destinations comme l’Égypte, la Tunisie, la Roumanie ou encore le Sénégal change la donne. La différenciation se joue aujourd’hui sur la capacité à offrir des services complexes, adaptés, et à forte valeur ajoutée.
Une diversification déjà à l’œuvre
Le Maroc ne se limite plus aux fonctions de back-office ou aux plateformes d’appel. Il devient, progressivement, un pôle régional pour des services externalisés à haute intensité technologique, en l’occurrence le data management, la cybersécurité, l’ingénierie financière, le support technique ou encore l’intelligence artificielle appliquée. Ces domaines exigent un capital humain mieux formé, maîtrisant plusieurs langues, notamment l’anglais et l’allemand, des outils numériques avancés et développant des softkills. Certaines structures spécialisées, à l’image d’AXA Services Maroc dans le domaine de l’assurance, ont amorcé ce virage qualitatif en misant sur des expertises sectorielles ciblées.
Cette transformation sectorielle s’accompagne d’un rééquilibrage territorial. L’implantation de nouveaux sites dans d’autres villes que l’axe Casablanca-Rabat répond à une double exigence : réduire les déséquilibres régionaux et créer les conditions d’une scalabilité inclusive.
L’humain, facteur de friction
C’est là que se pose le nœud du développement, la ressource humaine. Le Maroc forme chaque année environ 13 000 profils dans les métiers du digital, de la donnée ou de la relation client. Mais face à la sophistication croissante des missions, ce volume reste insuffisant. Le marché fait face à une tension structurelle sur certains profils, et à une mobilité forte, parfois exacerbée par la concurrence locale entre opérateurs. La montée en compétences ne peut plus être pensée comme un simple enjeu de formation initiale. Elle suppose des parcours d’apprentissage continus, modulaires, individualisés, adaptés aux mutations rapides des technologies et des métiers. Certains acteurs du secteur s’y engagent. L’innovation dans les services, la confiance dans la relation client et la spécialisation sur des secteurs critiques comme l’assurance sont aujourd’hui des leviers essentiels.
Télétravail, ESG, fiscalité… les nouvelles lignes de force
La crise du Covid-19 a agi comme un stress-test grandeur nature. Elle a validé la robustesse organisationnelle du secteur marocain, capable de basculer rapidement vers des modèles hybrides de télétravail, tout en assurant la continuité du service. Certains opérateurs structurés, comme AXA Services Maroc, ont réussi à maintenir la qualité opérationnelle à grande échelle grâce à une infrastructure numérique sécurisée et des dispositifs RH flexibles. Mais elle a aussi posé des questions durables sur les formes d’organisation, la supervision à distance, la culture de la performance, ou encore la qualité de vie au travail.
Un accompagnement des pouvoirs publics par un cadre juridique pour les emplois à temps partiel ou le télétravail est nécessaire ainsi que le développement de l’alternance qui garantit la bonne intégration et une meilleure employabilité des jeunes diplômés. À ces changements s’ajoutent d’autres contraintes plus structurelles. La pression internationale autour des normes environnementales, sociales et de gouvernance pousse les opérateurs à revoir leur copie. La décarbonation des sites, par l’efficacité énergétique ou l’intégration d’énergies renouvelables, devient un critère de choix pour les maisons mères. De même, la question des prix de transfert, dans un contexte de durcissement des règles fiscales internationales, invite à plus de transparence, de stabilité et de gouvernance rigoureuse.
Vers une nouvelle équation sectorielle
À bien des égards, le Maroc dispose des atouts pour franchir un nouveau cap dans l’offshoring. Encore faut-il une volonté concertée. Les entreprises doivent accélérer l’innovation dans les services, mais aussi dans l’organisation du travail et la gestion des talents. Les pouvoirs publics, de leur côté, sont appelés à réinventer les politiques de formation, de mobilité et de soutien fiscal, tout en consolidant les infrastructures dans les zones hors Casablanca. L’offshoring n’est plus une simple activité d’appoint. Il s’agit désormais d’un secteur stratégique, à l’intersection de la souveraineté numérique, du développement régional et de l’économie de la connaissance. Reste à transformer cet avantage comparatif en avantage structurel, durable, compétitif et responsable.