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Météorites : Le Maroc doit garder et valoriser ses trésors

Météorites : Le Maroc doit garder et valoriser ses trésors

La Professeure Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, présidente d'Attarik Foundation for Meteoritics and Planetary Science, nous relate l’histoire des deux météorites tombées dans le Sud marocain en 2019, et qui viennent d’être officiellement reconnues par la prestigieuse Meteoritical Society.

Cette reconnaissance démontre la capacité des équipes de recherche marocaines à faire un travail scientifique aux standards internationaux.

Un décret entré en application en février 2020 réglemente désormais l’activité de collecte, de vente et d’export du patrimoine géologique et des météorites.

Le Maroc, l’un des pays les plus riches au monde en termes de collecte de météorites, doit se doter de musées dédiés pour garder ses trésors.

 

Propos recueillis par F.Z.O

 

Finances News Hebdo : Pouvez-vous retracer pour nos lecteurs l’histoire des deux météorites «Wad Lahteyba» et «Al Farciya» dont les chutes ont été observées dans le sud du Maroc en 2019 ?

Pr Hasnaa Chennaoui Aoudjehane : Concernant Wad Lahteyba, un météore a été vu le jeudi 27 juin 2019 à 17h00 (heure marocaine) par un grand nombre de personnes dans le Sud du Maroc. La traînée lumineuse était au départ jaune, puis elle est devenue rouge. Il faut préciser que ce phénomène ne dure que quelques secondes. 

Comme c’est souvent le cas quand ce genre d’événement se produit, un grand nombre de chasseurs de météorites et d’habitants de la zone ont commencé leurs recherches dès le lendemain. Il a fallu seulement une journée pour retrouver les premières pièces. Les informations de coordonnées des pièces collectées ont permis de tracer l’ellipse de chute. Au total, les pièces collectées représentent une masse d’environ 20 kg.

Pour Al Farciya, la chute a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi 20 août 2019 à 1h15 (du matin). Le météore était de couleur rouge et a été suivie de deux explosions. Dès la levée du jour, plusieurs personnes se sont déplacées à l’endroit présumé de la chute pour prospecter la zone. Dans la soirée, les premières pièces ont été trouvées. Au total, seulement 1,3 kg a été retrouvé en plusieurs petites pièces.

 

F.N.H. : Ces deux chutes de météorites ont été officiellement reconnues par la «Meteoritical Society». En quoi cette reconnaissance est-elle importante pour le Maroc et la communauté scientifique ?

H.C.A. : Depuis que j’ai commencé à travailler sur les météorites en 2001, j’ai été confrontée à la problématique de la reconnaissance des météorites venant du Maroc et donc à leur nomenclature. En effet, dès 1999, les premières météorites ramassées au Maroc et dans les pays voisins ont fait leur apparition, avec la collecte par des nomades. Ces collectes n’étaient pas documentées pour ce qui est des coordonnées géographiques des trouvailles. 

De ce fait, la nomenclature qui leur a été attribuée était le nom générique NWA (North West Africa) suivi d’un chiffre. Pour pallier cette anomalie de nom qui n’est pas appropriée et qui ne reconnait pas une origine marocaine claire, j’ai concentré tous mes efforts à essayer de documenter un maximum de météoritesvenant de notre pays. Cet effort a porté notamment sur toutes les chutes observées de météorites au Maroc.

Ainsi, depuis la chute de Benguerir en novembre 2004, toutes les chutes suivantes ont été déclarées par nos équipes avec des noms de lieux marocains. Cette reconnaissance est fondamentale à plus d’un titre : elle permet de préciser la «paternité» marocaine de la roche extraterrestre et de démontrer la capacité des équipes de recherche marocaines à faire un travail scientifique aux standards internationaux.

Ceci nous donne, de ce fait, une position unique dans ce domaine comparativement aux autres pays africains et du monde arabe. Ceci donne une visibilité à notre recherche scientifique, à notre université et à notre pays.

 

F.N.H. : Quel a été le travail fourni en amont par les chercheurs marocains pour parvenir à cette reconnaissance ?

H.C.A. : Pour «officialiser» une météorite, un processus précis et rigoureux est nécessaire. Il passe par une documentation du travail de terrain avec la collecte des témoignages (concernant les chutes observées), sur la base d’un questionnaire unique qui a été conçu dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue par Nawal Larouci en 2015 dans notre établissement, la Faculté des sciences Ain Chock. 

Il faut aussi se procurer des échantillons qui seront préparés pour les analyses. Certaines analyses peuvent être effectuées au Maroc, mais pas toutes. Pour les analyses géochimiques, je me déplace personnellement à l’étranger pour les réaliser dans des laboratoires partenaires, ou à défaut, j’envoie des échantillons à des collègues à l’étranger pour les réaliser pour nous. Les analyses obtenues nous permettent de faire la classification de ces roches.

Un formulaire précis de déclaration est soumis au comité de nomenclature NomCom de la Meteoritical Society, société savante habilitée à valider ces classifications. Il faut attendre que le NomCom accepte la déclaration et la publie dans le Meteoritical Bulletin pour annoncer que la météorite est reconnue officiellement. 

Ce processus est long et exige beaucoup de rigueur, mais il permet de cadrer au maximum les déclarations de météorites. Je précise que le NomCom est composé de 12 experts internationaux dont j’ai le privilège de faire partie.

 

F.N.H. : Quelles sont à ce jour les découvertes de météorites les plus marquantes réalisées au Maroc ?

H.C.A. : Pour moi, toutes les météorites sont exceptionnelles, mais celle qui a le plus marqué le monde est la météorite martienne «Tissint». Il s’agit de la cinquième chute observée de météorite martienne dans le monde. Les travaux que nous avons menés sur Tissint nous ont permis de publier une étude dans le prestigieux magazine Science. 

Cette météorite, tombée en 2011 dans la région d’Al Aglab au Sud de Tata, est à l’origine de dizaines de travaux de recherche publiés. Un nouveau minéral a été découvert dans cette météorite auquel il a été donné le nom de «Tissintite». Pour nous, c’est une grande fierté.

 

F.N.H. : De manière plus globale, quelest aujourd’hui l’état de la recherche géologique au Maroc, en particulier dans le domaine des météorites ? Comment valoriser le patrimoine géologique national ? Les moyens sont-ils au rendez-vous ?

H.C.A. : Pour notre pays, le domaine minier est fondamental, il représente un pilier de notre économie. De ce fait, la géologie est importante pour nous. Par ailleurs, le Maroc dispose de tellement de richesses géologiques que ceci lui a valu l’appellation de «Paradis des géologues». Nous avons un patrimoine géologique exceptionnel en fossiles, minéraux, météorites et géosites. La recherche scientifique dans ces domaines est relativement bien développée, elle manque cependant de moyens analytiques performants. 

Pour ce qui est de la valorisation du patrimoine géologique du Maroc, elle a encore du chemin à faire. Il faut promouvoir le développement de musées régionaux et d’un musée national de la géologie. 

La valorisation et la promotion de ce patrimoine passe absolument par le développement de la recherche scientifique sur ces thématiques. Ceci permettrait de garder davantage d’objets géologiques au Maroc, de pouvoir les faire connaitre au grand public et aux visiteurs touristiques. Ainsi valorisé, ce patrimoineservirait grandement aussi dans le milieu scolaire, il participerait alors audéveloppement de la culture scientifique au Maroc. 

S’agissant de fossiles ou de météorites par exemple, ils éveillent la curiosité scientifique des jeunes ens’intéressant aux phénomènes naturels. D’ailleurs, ceci est au cœur des actions menées par Attarik Foundation for Meteoritics and Planetary Science, dont l’un des objectifs principaux est le développement de la culture scientifique chez les jeunes par l’animation d’ateliers, d’expositions et de conférences autour des météorites et d’autres thèmes de la géologie.

Une prise de conscience de ces richesses par les autorités compétentes est réelle maintenant. La Direction de la géologie du ministère de l’Energie, des Mines, de l’Eau et du Développement durable fait du patrimoine géologique un axe important de ses actions. L’Association pour la protection du patrimoine géologique du Maroc (APPGM) milite depuis sa création en 2004 pour la défense de cette cause. A son actif, la création et la reconnaissance de l’unique Géoparc reconnu par l’Unesco au Maroc, à savoir le Géoparc de Mgoun.

 

 

F.N.H. : Le Maroc est unanimement considéré comme une terre de météorites par excellence. Le problème est que cela attire des individus dont les motivations sont loin d’être scientifiques et qui se livrent à toutes sortes de trafics. Comment lutter contre ce phénomène ?

H.C.A. : En effet, notre pays est l’un des plus riches au monde en termes decollecte de météorites et en effet,quasiment toutes ces météorites sont exportées. Ceci est déplorable, cependant j’émets une réserve quant au terme de «trafic». Nous avions une lacune en termes de texte législatif par rapport aupatrimoine géologique en général et les météorites en particulier. Il était difficile de faire la part de ce qui était légal et ce qui ne l’était pas. 

Maintenant, notre pays s’est doté d’un décret qui est entré en application en février 2020 et qui réglemente l’activité de collecte, de vente et d’export du patrimoine géologique et des météorites. Les choses sont plusclaires et sont à l’avantage des ramasseurs et du pays. Ceci est une réalisation très importante pour notre pays. Désormais, nous espérons avoir accès à davantage d’échantillons pour la recherche. De même, doter le pays de musées en mesure d’acheter ces échantillons est essentiel pour les gardersur le sol marocain. 

Cette activité permet à une importantepopulation d’en vivre mais aussi de faire des découvertes que les scientifiques n’ont ni le temps ni les moyens de réaliserseuls. Il est important de développer unsystème viable et rentable pour tous, notre pays y gagnerait à tous points de vue.

 

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