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Libérons l’artisanat du Folklore !

Libérons l’artisanat du Folklore !

Plan d’actions, initiatives, stratégies, … que n’ont fait les différents gouvernements marocains pour sortir l’artisanat marocain de sa misère ? Mais rien n’y fait. Le secteur semble maintenu en vie sous perfusion. Quant au Covid, il aurait pu apporter le coup de grâce si ce n’est une certaine résilience fondée sur la solidarité et l’entraide nationale.

Et si le vrai problème de l’artisanat ne résidait pas dans le manque de stratégies, de plans ou de budgets, mais ailleurs ? Avant tout dans la dénomination même du secteur ? Orwell disait à ce propos que les limites de notre langage définissent les limites de notre pensée. Car pour saisir cette nuance que je vous soumets, il faut s’en référer à la dénomination en arabe de ces métiers, à savoir «al sina’a al taqlidiya», soit en français si je traduis littéralement : «L’industrie de l’imitation ou de la reproduction à l’identique».

Cette nuance n’est pas contenue dans le mot français «artisanat», qui renvoie à l’art, et par conséquent à la créativité et à la liberté créatrice, et peut par conséquent biaiser notre perception de l’essence même de ces métiers au Maroc, dès lors qu’on passe d’une langue à l’autre. Car l’archétype de l’artisan du point de vue de notre imaginaire marocain, c’est celui qui est capable de reproduire à la perfection et à l’identique, le même objet que ses ancêtres, et souvent avec les mêmes techniques et instruments. Une pratique, caractérisée par la noblesse du geste et la fidélité à une tradition héritée de père en fils ou de maître à apprenti. 

De même, l’artisan marocain évolue dans un monde qui lui est propre. Sa temporalité par exemple n’est pas celle de l’entreprise, des timelines et des cahiers de charge. Puisque quand il vous donne un délai de fabrication d’une semaine, ce n’est jamais ou presque une semaine. Et quand vous le relancez pour avoir une nouvelle date, il vous la donne pour vous faire plaisir, mais non sans la parapher d’un «Inshallah ykoun lkhir». Autrement dit un «non», joliment enrobé dans un «oui».

Mais le génie de l’artisan peut résider aussi ailleurs. Car je n’attends pas forcément de lui qu’il me fabrique la même babouche que portait mon arrière arrière arrière…- grand-père. Il y a des musées pour ça. Mais d’en inventer une qui tout en étant nouvelle et contemporaine, soit imprégnée de marocanité. Ainsi, conjuguer la noblesse de ces métiers à notre potentiel de créativité, voilà le défi pour une vraie politique de sauvetage de l’artisanat au Maroc. Or, la bataille se joue en premier lieu au niveau sémantique et linguistique. Car, peut-être, rien n’a plus enfermé mentalement l’artisanat que le nom générique qu’on lui donne en arabe : «Al sina’a al taqlidiya».

Le terme de «taqlid», imitation ou reproduction à l’identique en français, n’a fait au final que consacrer l’enfermement dans lequel se trouve notre artisanat depuis des siècles. Or, l’autre mot arabe, «al 7iraf», pluriel de «7irfa», mérite qu’on s’y attarde. Ce mot veut littéralement dire en arabe donner une forme et des contours, en l’occurrence à la matière. Faire émerger une forme du difforme et une esthétique vivante à partir d’une matière inerte, devrait être la quête de tout artisan. Cela revient à le libérer du fétichisme folklorique dans lequel il est enfermé, et lui permettre de découvrir de nouveaux champs encore inexplorés de son génie et de sa maîtrise technique.

A ce propos, les fondateurs de plusieurs grandes maisons de la mode mondiale et de la maroquinerie furent des artisans modestes. Citons comme exemple Louis Vuitton, fondateur de ce qui va devenir l’empire Louis Vuitton. Ayons appris le métier de meulier et de menuisier auprès de son père, Louis Vuitton décide à l’âge de 16 ans de tenter son aventure à Paris. Ayant perçu les changements de son époque, à savoir le développement du train, de la machine à vapeur et la démocratisation du voyage, il eut l’idée d’inventer des valises plus pratiques tout en étant luxueuses. Ce fut l’invention d’un nouveau type de malle, plate sur toutes ses faces, et par conséquent plus facilement empilable contrairement aux malles bombées de l’époque. 
Ainsi, il réussit à conjuguer la dimension pratique, innovatrice et luxueuse. Ce fut le point de départ d’une épopée qui dure jusqu’à aujourd’hui.

Il en va de même pour le fondateur de la maison Gucci, à savoir Guccio Gucci, qui est parti matériellement de presque rien, mais armé d’un sens aigu de l’observation et d’une créativité certaine. Les exemples sont nombreux, mais la question est : où sont nos Gucci et Louis Vuitton marocains ? Nous avons le savoir-faire, les matières premières et la richesse d’un patrimoine millénaire. Que nous manque-t-il dans ce cas ? Peut-être de l’audace et une vision plus ambitieuse pour notre artisanat. Car avant de parler de transition digitale ou de tout autre type de transition, il serait plus pertinent d’enclencher une transition mentale en apprenant à voir plus grand et plus loin. Camus aurait dit : «mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde».

Une idée qui s’applique malheureusement à notre artisanat, que nous continuons de voir dans une perspective misérabiliste et folklorique, alors qu’il recèle un potentiel économique extraordinaire. Encore faut-il qu’on ait l’ambition d’en faire une pépinière de futurs empires économiques dans les domaines de la mode, du design et de la créativité au sens large, au lieu de le garder dans son état actuel, celui d’un embaumeur culturel.

 

Par Rachid Achachi, chroniqueur, DG d'Arkhé Consulting

 

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