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Kafkaïen

Kafkaïen

Par Abdelhak Najib, Écrivain-journaliste

 

Sincèrement et en toute logique, les responsables au gouvernement marocain n’avaient pas pris la pleine mesure de la situation sanitaire et humaine, pour passer d’une gestion presque sans faute à un cafouillage total ? Confiner le 20 mars 2020, et les populations ont tenu leurs engagements, puis déconfiner le 24 juin 2020, comme si du jour au lendemain, le danger lié au virus de la Covid-19 s’était évaporé dans la nature, pour reconfiner par zones, avant de laisser planer depuis le 27 juillet 2020, à quelques jours d’une fête sacrée pour les Marocains, la possibilité de revenir à la case départ, à n’importe quel moment.

Bon. Nous allons tenter, tout de même, de comprendre cette équation un peu bizarre du gouvernement. Pendant plus de 90 jours de confinement, avec les hauts et les bas, les ratages, les dérives des uns et des autres, les petits couacs et les approximations, presque tout était sous contrôle.

Certains ont même été surpris que la capacité hospitalière en termes de lits disponibles n’ait pas été utilisée parce que le travail en amont, en ce qui se réfère aux règles strictes du confinement, ont porté leurs fruits en donnant de bons résultats. Jusque-là, tout va plus ou moins bien. Puis arrive le mois de juin. Il ne faut pas être un génie pour savoir que le Marocain, une fois on lui signifie qu’il n’est plus confiné, va sauter dans l’eau de mer.

Il va envahir les plages (on l’a vu juste ici à côté, à Ain Diab avec des dizaines de milliers d’estivaliers qui pensaient pouvoir passer leurs vacances en bord de mer, en toute tranquillité, jouant au foot, se jetant par milliers et sans masques dans la mer).

Le Marocain va s’installer durant des heures dans des cafés, aller au restaurant, faire la queue par centaines devant les Fast Food comme s’il n’avait jamais avalé un burger de sa vie, envahir les magasins de fringues comme s’il avait passé les trois mois de confinement à poil et sans rien se mettre sur la peau.

Sans oublier les restaurants et les bars pour boire et faire la fête. Sans parler, non plus, des soirées à 100 personnes, sans masques, dans la promiscuité la plus totale. Sans oublier les mariages incognito, mais avec beaucoup de monde, sans évoquer les pools parties, les voyages d’une ville à l’autre, les happening privés, les prières par dizaines sur des toits, les SPA qui ont ouvert leurs portes dans une frénésie incroyable comme s’il fallait aller gommer trois mois de mesures strictes pour sauver sa peau, parce qu’au final, c’est de cela qu’il est question : sauver sa vie. Et la liste est longue de tant de laisser-aller, prévisibles de tous, parce que, dans un sens, les dérives aussi sont dans l’ordre des choses.

On ne pensait pas quand même que les Marocains allaient, tous, continuer à respecter les distances les uns des autres, porter des masques et ne sortir que pour faire le nécessaire en se protégeant et en protégeant la vie des autres ! Le Marocain a certes montré qu’il pouvait agir de manière responsable, et nous avons salué cela dans plusieurs chroniques, mais le Marocain peut aussi être très indiscipliné et n’avoir aucun sens du civisme. Enfin, on ne va pas se voiler la face, on se connait tous, entre Marocains.

Nous savons de quoi nous sommes capables. Nous savons aussi que nous pouvons être d’un fatalisme dangereux. Et c’est exactement ce qui s’est passé. C’est l’été. Les gens ont tenu pendant plus de trois mois. Alors ils se sont relâchés. Puis ils se sont lâchés dans tous les sens du mot. Certains ont même été jusqu’à croire et diffuser autour d’eux, dans leurs cercles et leur entourage, que tout cet épisode tragique de la Covid-19 n’est qu’un gros mensonge mondial !

Oui. Tout à fait, et ce fatalisme qui peut s’avérer mortel, nous l’avons également souligné dans plusieurs chroniques : Non, chers Marocains, la pandémie n’est pas une série sur une plateforme payante pour vous faire passer le temps. Non, cher Marocain, on te le répète jusqu’à ce que tu arrives à l’intégrer, il y a plus de 700.000 morts à cause de ce virus, dont plus de 200.000 rien qu’aux États-Unis d’Amérique, le pays le plus puissant de la planète, qui n’a pas pu réagir et sauver ses citoyens.

Presque 20 millions de personnes ont été touchées dans le monde et ce n’est pas fini. Les observateurs parlent d’au moins 50 millions de personnes qui peuvent être touchées. Ce qui revient à dire qu’on peut dépasser le million de morts. Au Maroc, nous déplorons déjà le décès de plus de 313 Marocains, et le cap effrayant des 20.000 cas a été franchi.

L’affaire est sérieuse. Les temps sont graves. Il ne faut absolument pas se leurrer. La mort rôde. C’est l’état actuel des choses : la preuve, une explosion de cas dans une ville comme Tanger en un rien de temps. Sans penser à qui la faute et qui doit assumer ce flou terrible qui plane dans l’air (avez-vous vu les accidents et les embouteillages de la nuit du 26 juillet ?), nous sommes tout aussi obligés de poser certaines questions.

Mais avant de revenir sur une interrogation brûlante que tout le monde se pose : pourquoi avoir déconfiné alors que rien n’était sous contrôle ? Parlons d’abord de ceci : nous avons besoin d’une voix responsable dans ce gouvernement qui nous parle franchement et en toute transparence sur la situation sanitaire que nous vivons en tant que citoyens marocains. Les responsables doivent faire preuve de rigueur et assumer en montant au créneau, sans effets de manche, ni slogans ni fioritures.

Ensuite, nous avons besoin d’avoir un réel son de cloche, de préférence toujours le même, qui explique la complexité de la situation, parce que tous les Marocains ne savent pas de quoi il retourne aujourd’hui, car chacun dit ce qu’il veut, et même les médias semblent avoir plusieurs sources discordantes, ce qui brouille davantage toutes les pistes de lecture possibles.

Comment faire le tri dans l’information ? Comment séparer le bon grain de l’ivraie ?  Qui détient la vérité sur l’état réel, avec chiffres à l’appui, sur la situation sanitaire et les prévisions pour au moins le mois à venir ?  Ce qui est évident et logique, c’est que le Maroc ne va pas vivre dans le confinement jusqu’à nouvel ordre. Mais il faut parler à tous les Marocains pour qu’ils respectent les consignes, pour qu’ils agissent en citoyens responsables.

Il faut leur matraquer que le port du masque est une obligation sinon, tu dois payer une amende lourde, aller en prison, et pire encore, mourir et tuer d’autres personnes. Il faut dire les choses comme elles sont : c’est une affaire de vie ou de mort. La messe est dite. A moins qu’on veuille faire croire que ce n’est pas si grave que ça en a l’air, ce qui est pour nous, l’erreur fatale à ne pas commettre.

Vous allez nous dire que les gens ont besoin d’ouvrir leurs commerces, de gagner leur vie, de travailler. Bien sûr, que les citoyens souffrent et pour beaucoup d’entre nous, c’est la misère dans toute sa cruauté. C’est tragique. C’est horrible. Mais on peut travailler en respectant les règles.

On doit obligatoirement porter son masque, tout le temps. On doit observer des règles d’hygiène très strictes. On doit se laver les mains, utiliser les produits indiqués, garder la distance obligatoire, ne pas s’agglutiner les uns sur les autres, éviter les foules, rester chez soi, ne sortir que pour les cas de force majeure et de grande nécessité. Si nous jouons avec ces directives, très claires, si nous agissons avec je-m’en-foutisme, si nous considérons que nous sommes tirés d’affaire, nous allons le payer très cher. Amen.

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