Copropriété : un défi de gouvernance majeur

Copropriété : un défi de gouvernance majeur

Dans un contexte où la vie en copropriété prend une place croissante dans le paysage urbain marocain, la gouvernance des résidences, la protection des droits des copropriétaires et la professionnalisation du syndic deviennent des enjeux majeurs. Dalila Ennaciri, présidente-fondatrice de l’Association marocaine de la copropriété (AMCOP), plaide pour faire de la copropriété un véritable levier de qualité de vie, de citoyenneté et de développement urbain.

 

Propos recueillis par C. Jaidani

Finances News Hebdo: La loi 18-00 a connu récemment certaines modifications. Quels sont, selon vous, les principaux changements ?

Dalila Ennaciri : Les récentes retouches apportées à la loi 18-00 témoignent d’une volonté claire du législateur : il s’agit de rapprocher la gestion de copropriété des standards modernes auxquels les résidences d’aujourd’hui aspirent. Trop longtemps, le secteur a fonctionné sur des bases fragiles, avec un cadre légal parfois insuffisamment précis, laissant place à l’interprétation et, bien souvent, à des dérives. Le dernier décret d’application, publié récemment, va justement dans le sens d’une clarification et d’une professionnalisation plus nette du secteur. L’une des évolutions les plus significatives concerne le renforcement de la transparence financière et documentaire. Le décret précise désormais, de manière beaucoup plus stricte, les obligations du syndic en matière de tenue des registres légaux, d’archivage des documents et de mise à disposition des pièces justificatives. Les registres doivent être tenus à jour, consultables et conformes à un format normalisé.

Le décret introduit même l’obligation de conserver les documents pendant une durée précise, ce qui renforce la traçabilité et limite les situations où certaines dépenses ne peuvent plus être justifiées. De même, la gestion financière est désormais encadrée par des règles plus strictes : clarification sur les provisions, suivi des charges, et obligation de présenter aux copropriétaires des états comptables complets avant chaque Assemblée générale. Cela représente une rupture nette avec les pratiques informelles qui dominaient encore récemment dans de nombreuses résidences. L’autre évolution majeure apportée par ce décret est la formalisation des mécanismes de conciliation et de médiation. Le texte vient préciser les modalités d’application de l’article 13, introduit lors de la précédente réforme, et organise désormais la manière dont les litiges doivent être instruits avant d’être portés devant les tribunaux. Le législateur entérine ainsi un changement profond de philosophie : la copropriété ne doit plus fonctionner dans un rapport permanent de confrontation ou de blocage. Le règlement amiable devient une étape obligatoire, encadrée, documentée, qui vise à restaurer un climat de dialogue et à réduire la judiciarisation excessive des conflits.

 

F. N. H. : A votre avis, quelles sont les réformes encore nécessaires pour moderniser pleinement la copropriété au Maroc ?

D. E. : La copropriété marocaine vit un moment charnière: les résidences sont plus grandes, plus techniques, plus exigeantes. Or la loi, même modernisée, est encore pensée pour des immeubles traditionnels. Il manque plusieurs briques essentielles. La première, c’est la professionnalisation et réglementation du métier de syndic. Lorsque l’on gère des ensembles de plusieurs centaines d’unités, avec des infrastructures lourdes, des obligations juridiques complexes et des budgets importants, il faut un véritable cadre professionnel : une certification obligatoire, un registre national, une formation continue… Deuxième réforme : la digitalisation. Le secteur a accusé un retard considérable. Les résidences ont besoin d’outils modernes : registres numériques, AG dématérialisées, paiement en ligne, reporting en temps réel, plateformes de communication, et pour les résidences complexes, une GMAO (un outil de maintenance assistée par ordinateur qui centralise tous les équipements et interventions techniques). Il y a aussi un enjeu fondamental autour des méga-résidences et des grands projets urbains : ce ne sont plus des résidences, mais de véritables «micro-villes». La loi actuelle ne suffit plus. Il faut un chapitre spécifique qui encadre leur gouvernance, leurs budgets, leurs règles spécifiques. Enfin, une meilleure clarification du rôle du promoteur au moment de la livraison est indispensable. Une grande partie des conflits découle d’ambiguïtés sur les responsabilités concernant les vices de construction, les réserves ou les délais de reprise. Il faut mettre en place une gestion de syndic provisoire de transition par un professionnel qui en a les moyens, compétences et objectivité.

 

F. N. H. : Le retard de paiement des cotisations reste le principal frein au fonctionnement des résidences. Quelles solutions proposez-vous ?

D. E. : C’est effectivement le point de rupture majeur dans la gestion de la copropriété. Et c’est un problème systémique: une copropriété fonctionne comme une petite entreprise. Si les recettes n’entrent pas, les services ne peuvent pas être rendus, les charges deviennent imprévisibles et la qualité de vie collective est directement affectée.

Première solution : moderniser le processus de facturation et de recouvrement. Il est indispensable de dépasser les relances papier, les tableaux manuels et les incompréhensions qui alimentent les litiges. Une plateforme digitale centralisée permettant aux copropriétaires de consulter leurs charges, l’historique de leurs paiements, les dépenses engagées et l’avancement des projets instaure une transparence immédiate. Cette transparence réduit les contestations, et donc mécaniquement les retards.

Deuxième axe : accélérer et automatiser les procédures de recouvrement. Les délais de mise en demeure et d’action en recouvrement s’étirent encore sur plusieurs mois, ce qui fragilise l’équilibre financier de la résidence. Il faut un mécanisme plus rapide, plus clair et plus automatisé, qui protège l’intérêt collectif tout en respectant les droits individuels. Cependant, l’application de ces mesures est souvent entravée par l’article 25 de la loi 106-12, qui impose la notification personnelle du débiteur.

Troisième point : instaurer une véritable responsabilisation. À l’image des pratiques bancaires, la création d’un système national de scoring des copropriétaires représenterait une avancée déterminante. Chaque propriétaire serait associé à un historique de paiement objectif. L’intégration de cet historique dans le rapport national de solvabilité - au même titre que les engagements bancaires - aurait un effet dissuasif immédiat : retards répétés = impact réel sur la capacité d’emprunter, de louer ou d’investir. Ainsi, la copropriété deviendrait un engagement citoyen, et non une simple option.

Quatrième aspect : réduire le coût des procédures, notamment la localisation et la saisie. Lorsque le copropriétaire défaillant est introuvable, les démarches de localisation, de signification ou de saisie deviennent longues et coûteuses. Ces frais, parfois supérieurs à la dette initiale, découragent les actions de recouvrement. Un cadre plus efficient doit être instauré : centralisation des registres, accès simplifié aux données administratives, procédures accélérées pour les créances de charge, et plafonnement des frais d’exécution.

Cinquième mesure : rendre le quitus du syndic obligatoire lors de toute transaction immobilière. Dans plusieurs pays, la vente d’un bien en copropriété ne peut être finalisée chez le notaire sans un quitus officiel prouvant que le vendeur est à jour de ses charges. L’adoption de cette obligation au niveau national permettrait d’éradiquer les dettes transférées qui retombent injustement sur les autres copropriétaires, de sécuriser notaires et acquéreurs, en empêchant la signature d’actes déséquilibrés. Combinées, ces mesures modernisent le système, responsabilisent les acteurs et instaurent un cadre plus équitable et plus efficace pour la gestion des copropriétés. J’aimerais conclure cet article par un point essentiel et pourtant rarement évoqué : la sécurisation de notre profession. Et c’est ici que je porte ma casquette de présidente de l’AMCOP, l’Association marocaine de la copropriété.

Les professionnels du syndic font face à de nombreuses difficultés financières et juridiques. Entre les impayés chroniques, les délais de recouvrement, et les litiges interminables devant les tribunaux, la situation devient parfois intenable. Nous travaillons avec des structures qui, juridiquement, relèvent du statut d’association, dont la solvabilité peut être limitée, et cela expose les syndics à des pertes importantes, tant en temps qu’en ressources.

C’est un paradoxe : on nous confie la gestion de millions de dirhams, la maintenance d’infrastructures essentielles et le bien-être collectif de milliers de familles, mais notre propre cadre d’exercice reste fragile. La profession mérite un environnement plus protecteur, plus clair et plus équitable, afin que les syndics puissent exercer pleinement leur mission, sans porter seuls le poids des défaillances systémiques. La modernisation de la copropriété passe aussi par la reconnaissance et la sécurisation des acteurs qui la font fonctionner au quotidien. C’est l’un des engagements prioritaires que nous portons au sein de l’AMCOP, et un chantier indispensable pour assurer l’avenir et la qualité de la gestion immobilière au Maroc. 

 

 

 

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