Le potentiel d'eau mobilisable au Maroc est d'environ 20 milliards de m3, soit 16 milliards pour ce qui est des eaux superficielles et 4 autres milliards de m3 pour les eaux souterraines. Comment le mobiliser ? Il faudrait bien des centaines de milliers de forages et de puits pour les eaux souterraines ainsi qu’une capacité de stockage de quelque 30 milliards de m3 pour les eaux de surface. Aujourd'hui, la capacité de stockage ne dépasse pas 17 milliards de m3 : ce sont 130 barrages qui assurent la mobilisation des ressources en eau.
Un grand risque existe : celui de l'envasement de ces barrages, avec une perte annuelle de stockage des retenues de l'ordre de 75 millions de m3. Plus encore : la moitié de la superficie totale des bassins versants est fortement exposée au risque d'érosion. Les risques d'érosion sont liés aux dégâts en amont des bassins versants, à savoir les défrichements de forêts, le surpâturage et la mise en culture des terrains dans des pentes fortes. Une diminution de capacité de 0,5% par an et un coût économique de plus d'un milliard de DH.
Un processus d'érosion critique
Le Maroc est en retard dans ce domaine par rapport à l'expérience de pays comme l'Italie et la Tunisie. A quoi tient cette situation ? A l'insuffisance de données hydro-pluviométriques, à celle aussi des études de faisabilité techniques en rapport aux systèmes hydrologiques. L'envasement des retenues des barrages ? Le résultat de dépôts de la boue de l'érosion des sols dans les bassins versants, accompagnés par le sapement des berges des cours d'eau. C'est le ruissellement des eaux de pluie qui est en cause : il creuse des chenaux. En période de crue, surtout avec les orages d'été, des quantités de terre sont déposées au pied des versants et en amont du réseau hydrographique. Ces atterrissements sont ensuite repris lors des crues d'automne et d'hiver. Il y a là un processus particulier de dépôt et de reprise, variable et complexe par suite de l'irrégularité du régime hydrologique interannuel du bassin versant. Le régime climatique au Maroc pousse dans ce sens, marqué qu'il est par la succession de saisons sèches et humides; le gros des apports d'eau des barrages est fourni par des crues rapides et violentes chargées souvent en sédiments. Les ressources naturelles se dégradent avec cette érosion des sols et des pertes en terre. Un processus qui frappe avec des intensités variables toutes les régions. Dans les zones montagneuses d'une superficie de 23 millions d'hectares, l'on estime que 75% de celles-ci sont touchées par l'érosion, un tiers même étant critique.
Dans le détail, quel est le tableau ? Dans la majorité des bassins versants, le seuil des dégradations spécifiques est préoccupant dans les grands ouvrages hydrauliques qui les abritent : plus de 2.000 tonnes /Km 2 dans les bassins du Martil, de l'Ouerha, de Alkhdar et de la Tessaout; entre 1.000 et 2.000 (bassins du Neckor, M'harbar et Loukkos); entre 500 et 1.000 (bassins de Sebou, Inaouène, Oued El Abid et Massa); et moins de 500 dans les autres bassins. Or, ce qui est jugé tolérable dans la dégradation spécifique est en moyenne un chiffre de ... 300/T/km2/an par an. Les pertes cumulées en terres annuelles dépassent les 100 millions de tonnes, dont 60% sont déposées dans les retenues des barrages. Au total, il a été évalué que 6% environ de la capacité de stockage des barrages sont ainsi perdus. Les résultats des suivis bathymétriques des retenues des barrages donnent des indications problématiques : six retenues sont envasées à 40% de leurs capacités initiales (barrages Homadi, Moulay Driss, Nakhla, Mohammed V); six autres entre 20% et 40% (Moulay Youssef, Lalla Takerkoust, Abdelkrim El Khattabi, Ibn Batouta); il faut y ajouter celles inférieures à 20% (barrages Hassan Ier, Sidi Driss, Moulay Youssef, El Kansera, ...).
L'envasement de la retenue d'un barrage diminue sa capacité de stockage, ce qui affecte son volume utile disponible et, partant, les flux d'irrigation et d'approvisionnement en eau potable et production énergétique. Mais il y a plus. Ainsi, cet envasement a un impact dans différents domaines. La sécurité même des barrages : la stabilité de l'ouvrage est mise en danger avec une augmentation de la poussée hydrostatique, le remplacement progressif des volumes par les sédiments et une plus forte densité des eaux stockées; les difficultés de l'ouverture des vannes en cas de retenues du plan d'eau dans certaines situations d'urgence; l'altération des propriétés et des qualités de résistance des ouvrages avec les réactions chimiques dans les dépôts (cycle du souffre). Enfin, la difficulté à l'auscultation de l'ouvrage, les sédiments déposés ne permettant pas l'utilisation de moyens subaquatiques.
Un nouveau programme, coûte que coûte...
Une mobilisation des politiques publiques doit se faire pour juguler les effets de l'envasement et de la sédimentation dans les barrages. Un plan global, pluriannuel donc, par-delà des mesures ponctuelles. Le sol, la terre : une ressource naturelle, précieuse mais limitée; elle est à la base d'activités socioéconomiques importantes (agriculture, pastoralisme, maintien de la végétation, drainage/ infiltration de l'eau,...). Des sols qui se dégradent, c'est la diminution des rendements agricoles, la sécurité alimentaire en question, la gestion des ressources en eau aussi. Sur les 22 millions d'hectares, l’Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a estimé que seuls 8 millions seraient cultivables, en ajoutant que 18% nécessitent de fortes mesures de conservation du sol.
Le reste, selon cette même institution internationale spécialisée, soit 13-14 millions d'hectares, ne devrait être exploité et mis en valeur que par le pâturage et la forêt. Elle précise encore qu'un million d'hectares environ subit une érosion accentuée imposant l'exclusion de toute mise en valeur. Il y a bien un Plan d'aménagement des bassins versants qui a identifié et classé 22 bassins prioritaires en amont des barrages. Il couvre une superficie totale de 15 millions d'hectares environ, sauf à noter que les trois quarts (11 millions d'hectares) accusent des risques importants d'érosion hydrique. Coûte que coûte, un nouveau programme d'aménagement de conservation et de protection des ressources naturelles est à l'ordre du jour pour atténuer les effets de l'érosion tant en amont qu'en aval. Un programme; il doit assurer la durabilité des ressources naturelles. De surcroît, il est rentable : améliore la production agricole et pastorale; il est également créateur de centaines de milliers de journées de travail…
Par Mustapha Sehimi.
Professeur de droit (UM5 Rabat)
Politologue