Depuis quelques années, le Maroc a fait du développement durable une priorité nationale. Une priorité qui s’est déclinée à tous les niveaux, se traduisant par plusieurs feuilles de route à travers lesquelles le pays s’est engagé à jouer un rôle dans la lutte contre les changements climatiques. La communauté financière marocaine figure en tête de liste des secteurs ayant exprimé leur volonté et leur détermination à accompagner les efforts déployés par le Maroc dans cette lutte contre le changement climatique.
Un engagement que Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a récemment réitéré lors d’une conférence organisée par la CDG sur le rôle de la finance dans le verdissement des actifs immobiliers. Une conférence à laquelle ont pris part d’éminentes personnalités, pour ne citer que Nizar Baraka, président du CESE et du Comité scientifique de la COP22, Mustapha Bakkoury, président de la région Casablanca-Settat, et Abdellatif Zaghnoun, Directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), pour discuter du rôle de tout un chacun dans l’émergence de l’immobilier durable.
«Pour notre pays, les enjeux de la durabilité et de l’environnement constituent une priorité au plus haut niveau de l’Etat. Le système financier, au regard de son rôle dans la mobilisation des ressources nécessaires au financement du développement durable, est au centre de la mobilisation nationale contre le changement climatique», a souligné le wali de BAM, qui a rappelé à cette occasion les principaux axes de la feuille de route du secteur financier pour le climat élaborée en marge de la COP22.
Une feuille de route qui n’est que le début d’un chantier à très long terme et qui requiert un suivi rigoureux car, comme l’a précisé Jouahri, il est plus facile d’élaborer une vision que de la mettre en œuvre.
L’accent a donc été mis, lors de cette rencontre qui a fait salle comble, sur la participation du secteur financier au financement des programmes de développement des énergies renouvelables ainsi que dans l’accompagnement des entreprises souhaitant s’inscrire dans ce processus de développement durable à travers des produits dédiés.
Les discussions ont également porté sur un axe fondamental, celui du verdissement des actifs immobiliers. Rappelons que, selon la Banque mondiale, le secteur du bâtiment est responsable de près de 40% de la consommation énergétique mondiale, contribue à hauteur de 30% des émissions mondiales de GES et figure parmi les principaux producteurs de déchets.
La prise en compte des risques environnementaux est donc impérative eu égard à l’impact du secteur du bâtiment sur l’environnement et par conséquent sur l’avenir de la planète. Une réalité qui a été rappelée par les différents intervenants nationaux et internationaux, qui n’ont pas manqué l’occasion de souligner le rôle capital du secteur financier dans la mise à niveau environnementale du secteur du bâtiment. En effet, l’enjeu est de taille notamment pour le Maroc, dont la facture énergétique pèse sur sa balance commerciale. La prise en compte de l’efficacité énergétique et de la durabilité dans les projets immobiliers n’est donc pas un choix, mais une obligation.
Le verdissement des actifs immobiliers, publics et privés, résidentiels, bureaux ou commerciaux est un enjeu clé de la lutte contre le changement climatique pour atteindre les objectifs fixés en matière de maintien de la hausse moyenne de la température sous les 2°C.
Il faut que les fonds climat soient également orientés vers des projets immobiliers qui intègrent la composante environnementale. Le secteur du bâtiment doit également figurer dans le portefeuille du marché des greens bond, qui a connu ces dix dernières années un boom remarquable à l’échelle internationale. Rappelons que la taille du marché a été multipliée par 10 en 3 ans, passant de 15 milliards de dollars en 2013, à environ 160 milliards de dollars. Pour la seule année 2016, les émissions ont atteint près de 70 milliards de dollars. Le Maroc, à l’instar des pays engagés sur le plan environnemental, porte également une attention particulière à ce nouvel instrument financier qui lui permettra d’honorer ses engagements environnementaux, mais aussi de réussir sa transition énergétique. Toutefois, ces fonds sont orientés vers les projets d’énergies renouvelables plutôt que vers l’efficacité énergétique, notamment dans le bâtiment. Cette rencontre a donc permis de mettre la lumière sur l’enjeu d’orienter les financements verts également vers ce secteur, eu égard à son rôle dans la lutte contre le changement climatique. Faut-il rappeler que la meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.
La question à laquelle les différents intervenants ont tenté de répondre lors de cette rencontre est dans quelle mesure les différentes parties prenantes (Etat, secteur financier, régulateur, assurances…) incitent-elles les opérateurs immobiliers à s’inscrire dans ce processus de construction durable ?
Certes, le marché des émissions vertes a connu une croissance remarquable grâce à l’engouement que les banques et les institutions ont exprimé à travers l’émission de greens bond, notamment celle de BAM (100 millions de dollars), Masen (1,15 Md de DH) et BMCE (500 MDH) ainsi que deux visas préliminaires pour la BCP (2 Mds de DH) et Crédit Agricole du Maroc (500 MDH). Toutefois, force est de constater que les greens bond restent des émissions ordinaires sur le plan de leurs structurations financières, soit sans avantages particuliers. D’où la question que se posent aujourd’hui les émetteurs qui n’ont pas accès au marché obligataire : Est-ce que ces greens bond permettent d’avoir un coût de financement plus favorable que les financements classiques ? Pour l’instant, non. Ce qui pousse les investisseurs, de leur côté, à se poser la question : pour quelle raison entreprendre une démarche plus complexe pour accéder aux greens bond, alors qu’en fin de compte il n’y a aucune différence avec le financement classique, si ce n’est que de faire publiquement part de son engagement en faveur de la protection de l’environnement et de communiquer sur ses projets en la matière ?
«Aujourd’hui, il y a un dilemme qui empêche de faire émerger de la disponibilité sur le marché des greens bond. Pour résoudre cette situation, je pense qu’il faut atteindre l’intégrité du marché pour assurer sa croissance, mais aussi mettre en place des mesures d’ordre réglementaires et prudentielles», a expliqué Hervé Guez, responsable recherche investissement responsable chez Mirova.
Et d’ajouter que parmi les pistes à mettre en place pour permettre au marché d’atteindre une taille suffisante et inciter les porteurs de projets à recourir à cet instrument de financement dans tous les secteurs, y compris dans l’immobilier, il faut accorder des avantages fiscaux au niveau de l’émission elle-même, et des avantages fiscaux au bout de la chaîne, c’est-à-dire aux épargnants. Enfin, les normes prudentielles ne doivent pas être draconiennes, ce qui risquerait d’étouffer le marché.■
Par L. Boumahrou
«Cette rencontre est une contribution à la déclinaison des engagements inscrits sur la feuille de route du système financier dans un secteur important qui est l’immobilier. Cette initiative de la CDG vise à perpétuer la dynamique de la COP22. Je tiens à souligner que la finance verte a connu une évolution remarquable ces dernières années. Sur le marché des titres, nous constatons un développement exponentiel des émissions d’obligations vertes. Bien qu’elles ne représentent encore que moins d’1% du total des émissions obligataires, l’évolution du marché en 2016 a été 7 fois plus importante que les 3 dernières années. La Chine, l’un des plus grands pollueurs, mais aussi l’un des pays les plus actifs dans ce domaine, contribue à elle seule pour 27% de ces émissions.
(….) Pour ce qui est du système bancaire, il représente la source de financement la plus importante de l’économie, particulièrement dans les pays en voie de développement. De ce fait, il pourrait influencer de façon certaine le comportement des agents vis-à-vis de l’environnement en particulier dans le secteur de l’immobilier qui a un impact important sur l’environnement. De ce fait, le verdissement de ce secteur pourrait jouer un rôle non négligeable dans la lutte contre le changement climatique. ■
«Au sein de la CDG, nous voyons dans le développement durable une opportunité majeure pour accomplir notre double mission, à savoir sécuriser l’épargne des Marocains et contribuer au développement national. (…) Accompagner l’Etat, canaliser l’épargne et impulser le développement de l’économie verte, tels sont en substance les 3 grands principes sur lesquels repose la stratégie climat du groupe CDG. Une stratégie qui s’articule autour de deux axes : promouvoir l’efficience énergétique et canaliser l’épargne vers des projets verts.
Ainsi, sur le premier axe, la CDG compte contribuer à la concrétisation de l’objectif national, celui de réduire de 12% la consommation de l’énergie à l’horizon 2020 et de 15% à fin 2030». ■