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Gestion de l’eau: «Le Maroc a opté pour une planification anticipative et à long terme»

Gestion de l’eau: «Le Maroc a opté pour une planification anticipative et à long terme»

Le potentiel en ressources en eau rapporté à la population en 2020 est estimé à 620 m3 /habitant/an. Ce ratio communément admis pour comparer les pays entre eux, classe le Maroc parmi les pays à stress hydrique, étant inférieur à 1.000 m3 /habitant/an.

Pour faire face aux multiples problématiques relatives à la gestion de l’eau et mettre à profit les atouts disponibles, le Royaume a mis en place le projet du Plan national de l’eau 20-50, qui constitue le cadre de référence de la politique nationale de l’eau durant les 30 prochaines années.

Tour d’horizon des principaux enjeux d’un secteur hautement stratégique pour le Maroc, avec Abdelkader Amara, ministre de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau.

 

Propos recueillis par M. Diao

 

Finances News Hebdo : Aujourd’hui, quelles sont les problématiques auxquelles le Maroc est confronté en termes de gestion de la ressource hydrique ?

Abdelkader Amara : La première problématique à laquelle notre pays est confronté reste la limitation des ressources en eau et leur forte irrégularité dans l’espace et dans le temps. Le régime hydrologique est par ailleurs caractérisé par une alternance de séquences d’années de forte hydraulicité et de séquences de sécheresse sévère, pouvant durer plusieurs années, comme ça était le cas entre 2015 et 2020. En effet, une série d’années de faible hydraulicité a été observée depuis 2015, entraînant une baisse record des stocks d’eau au niveau des retenues de barrages. Le taux de remplissage des retenues de barrages a atteint vers fin novembre 2017 le niveau le plus bas jamais enregistré, soit 34,4%. Cette problématique risque d’être exacerbée à l’avenir sous les effets du changement climatique.

La deuxième problématique concerne la forte pression exercée sur les ressources en eau par le développement socioéconomique, notamment par l’irrigation agricole qui entraîne parfois, dans certaines zones, la surexploitation des eaux souterraines. L’autre problématique concerne la pollution. En effet, malgré les efforts déployés depuis le début des années 2000, notamment en matière d’assainissement liquide en milieu urbain, celle-ci constitue également l’une des principales contraintes de la gestion des ressources en eau pour les prochaines années. Pour faire face à ces problématiques et mettre à profit les atouts disponibles, notre pays a opté pour une planification anticipative et à long terme. Nous avons stipulé dans la loi 36-15, une durée de 30 ans minimum pour cette planification. Ainsi, le projet du Plan national de l’eau 20-50 (PNE), qui constitue le cadre de référence de la politique nationale de l’eau durant les 30 prochaines années, a été préparé à cet effet, en concertation avec tous les intervenants dans le secteur de l’eau et présenté à la Commission interministérielle de l’eau le 25 décembre 2019. Ledit projet a pris en considération l’ensemble des problématiques rencontrées et a proposé les orientations et les solutions pour assurer l’approvisionnement en eau durable du pays. Ces orientations concernent :

• La poursuite et le renforcement du développement de l’offre par la construction des barrages et l’interconnexion entre les différents systèmes hydrauliques, la promotion des eaux non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées épurées, selon une approche intégrée;

• La gestion de la demande en eau qui devrait permettre des économies d’eau et, surtout, une valorisation conséquente des ressources en eau mobilisées.

• La préservation des ressources en eau et des écosystèmes et l’amélioration de la gestion des phénomènes météorologiques extrêmes, en particulier la protection de la population et des biens contre les inondations.

 

F.N.H. : Au regard des chiffres disponibles, peut-on légitimement dire que le Royaume fait face au stress hydrique ?

A. A. : Le potentiel en ressources en eau rapporté à la population en 2020 est estimé à 620 m3 /habitant/an. Ce ratio communément admis pour comparer les pays entre eux classe effectivement le Maroc parmi les pays à stress hydrique, étant inférieur à 1.000 m3/ habitant/an. Le ratio, qui est un indicateur de la rareté de l’eau et de la concurrence entre les différents usages de l’eau, varie d’un bassin à l’autre et diminuera avec le temps proportionnellement à la croissance de la population et sous l’effet du changement du climat Cette rareté, conjuguée à l’accroissement de la demande en eau, engendre un déficit en eau conventionnelle dans certains bassins et s’étendrait petit à petit à la majorité des bassins du pays, à l’exception des bassins du Nord-Ouest. Dans ce contexte, le programme national d’approvisionnement en eau potable et l’irrigation 2020-2027 (PNAEPI 20-27) a été établi dans un cadre concerté, et la convention cadre pour sa mise en œuvre a été signée devant Sa Majesté le 13 janvier 2020.

Ce programme, d’un coût de 115,4 milliards de dirhams, vise l’accélération des investissements dans le secteur de l’eau pour la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable et la consolidation des acquis de l’agriculture irriguée. Ainsi, ce programme prévoit, en plus des actions de mobilisation des eaux conventionnelles et de rationalisation de l’utilisation de l’eau, le recours aux eaux non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer et la réutilisation des eaux usées, qui deviennent de réelles alternatives. Le dessalement de mer, qui constitue une option de plus en plus compétitive avec l’évolution de la technologie, gagne ainsi du terrain. Les unités de dessalement de l’eau de mer sont aujourd’hui projetées dans des zones où cette solution n’était pas envisageable auparavant. A plus long terme, le projet de PNE prévoit un développement plus important des eaux non conventionnelles à travers la réutilisation de près de 340 Mm3 (millions de m3 ) d’eau usée épurée et le dessalement de près d’un milliard de m3 d’eau par an à l’horizon 2050, qui sera mise en place graduellement en fonction de l’évolution de la demande en eau et l’intensité des effets du changement climatique.

 

F.N.H. : Où en est le Maroc en termes de capacité de traitement des eaux usées pour satisfaire par exemple les besoins en termes d’arrosage d’espaces verts et d’irrigation pour l’agriculture ?

A. A. : Il y a lieu d’abord de préciser que le Maroc a déployé des efforts importants pour rattraper le retard accumulé par le passé dans le secteur de l’assainissement, à travers le lancement en 2006 du Plan national d’assainissement liquide (PNA). Grâce à ce plan, le Maroc dispose aujourd’hui d’une importante infrastructure d’épuration des eaux usées composée de 153 stations d’épuration des eaux usées urbaine. Tout récemment, et dans la perspective de promouvoir la réutilisation des eaux usées épurées, un nouveau programme, baptisé «Programme national d’assainissement mutualisé (PNAM)», a été mis en place et étendu à l’assainissement rural et la réutilisation des eaux usées.

A ce jour, 46 projets de réutilisation des eaux usées ont été réalisés ou en cours de réalisation à l’échelle nationale pour différents usages (espaces verts et golfs). Le volume d’eau usée épurée mobilisé pour la réutilisation fin 2020 est de l’ordre de 71 Mm3 , dont près de 51% pour l’arrosage des golfs et des espaces verts et 17% en industrie (OCP). A l’achèvement de la mise en œuvre des projets en cours de réalisation, le volume d’eau usée épurée mobilisé atteindra les 100 Mm3 /an en 2021. Dans cette même perspective et à plus court terme, le PNAEPI 20-27 a fixé comme objectif l’irrigation des 22 golfs existants à partir des eaux usées épurées d’ici 2027.

 

F.N.H. : Vous avez annoncé que le Maroc allait construire la plus grande station de dessalement d’eau de mer en Afrique, notamment à Casablanca. Pourquoi le choix de la technique du dessalement et quels sont les derniers développements au sujet de ce projet structurant ?

A. A. : Le pôle du Grand Casablanca, avec une population de près de 5 millions d’habitants en 2020, qui atteindrait environ 7,5 millions d’habitants en 2050, concentre la part la plus importante de l’activité socioéconomique du pays. De ce fait, la sécurisation de l’approvisionnement en eau de ce pôle à travers la diversification des sources d’approvisionnement en eau potable moyennant la mise en place d’une station de dessalement de l’eau de mer, est un des projets phares prévus par le PNAEPI 20-27. En effet, comme cité auparavant, le dessalement de l’eau de mer constitue une alternative de plus en plus compétitive, voire incontournable à moyen et long termes dans une grande partie des bassins du pays. L’évolution incessante des technologies et l’élargissement du marché, entraîne une diminution progressive des coûts d’investissement et d’exploitation du dessalement de l’eau de mer.

Dans ce sens, le projet de dessalement de l’eau de mer du Grand Casablanca, avec une capacité de 300 Mm3 /an à terme, est en cours d’étude dans un cadre concerté avec les différentes parties prenantes. Cette station, qui serait l’une des plus grandes stations d’Afrique, a pour objectif la sécurisation de l’AEP du Grand Casablanca et des villes et centres avoisinants, et également le soulagement de la pression sur les ressources en eau du bassin d’Oum Er Rbia, ce qui permettra de réduire le déficit en eau d’irrigation enregistrés dans les périmètres de Doukkala.

 

F.N.H. : La réalisation de la future station de dessalement de Casablanca nécessitera un effort d’investissement conséquent. Selon vous, quel serait le montage financier adéquat pour la concrétisation de ce projet ?

A. A. : Le financement des actions prévues par le PNAEPI 20-27 intègre les possibilités de partenariat entre le secteur privé et l’Etat pour la réalisation de certains projets, et il a été décidé que le projet de dessalement de l’eau de mer de la région de Casablanca soit réalisée en PPP. Ce projet coûterait, selon les premiers résultats des études du projet en cours de réalisation, près de 9,45 milliards de DH, et le partenariat avec le privé permettra d’apporter ou de faciliter la mobilisation des financements nécessaires à la réalisation du projet et de bénéficier des avancées technologiques dans le domaine. Les études en cours permettront la définition et le choix du montage financier optimal pour sa mise en place. Nous veillerons à inciter le privé national à participer à certains investissements de grande envergure afin d’implanter ces technologies d’avenir dans notre pays. 

 

 

 

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