Mohamed Benchaâboun et Nezha Hayat ont donné à Rabat le top départ de cette nouvelle industrie financière. Un marché de 200 Mds de dirhams minimum.
Présentés comme un placement à faible risque et à haut rendement, les OPCI permettront également d'alléger les bilans des entreprises en transformant leurs stocks immobiliers en liquidités immédiates.
Potentiel du marché, réglementation, fiscalité, comptabilité, ... : on vous dit tout.
Par A.H
Le 11 juin 2019 est à marquer d'une pierre blanche pour l'industrie de la gestion d'actifs au Maroc. L'avènement d'une nouvelle classe d'actifs ce jour-là a attiré les foules à Rabat. Beaucoup de banquiers, d'investisseurs institutionnels et d'entreprises étaient présents pour partager l'enthousiasme des autorités financières du Royaume à l'idée de donner le départ «fictif» des organismes de placement collectif en immobilier, les fameux OPCI.
«Les préalables sont réunis», disait en préambule le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun. Il s'est félicité du cadre fiscal «complété et amélioré» lors des dernières Lois de Finances, alors que le cadre comptable est arrêté et sera soumis prochainement au Conseil national de la comptabilité, «probablement en septembre», selon les projections du ministre.
Abdou Kabbaj, consultant senior au sein d’Ailancy, nous parle des points particuliers à prendre en compte par les futurs opérateurs pour bien démarrer l'activité. Ce spécialiste de la gestion d'actifs est intervenu au sein de plusieurs banques de premier plan. Il a eu l’opportunité de piloter des projets d’envergure principalement sur des sujets en lien avec les fonds alternatifs, dont l’OPCI... (Lire l'article)
Les OPCI apportent aux investisseurs une nouvelle classe d'actifs à part entière, celle de la pierre papier. Evalué par le ministère des Finances à 200 Mds de DH rien que pour la composante bureaux (il faut y ajouter l'hôtellerie, la grande distribution, les centres commerciaux...), ce marché promet souplesse, rendement et mutualisation des risques.
«Du côté des investisseurs et des épargnants, les caractéristiques intrinsèques des OPCI et les règles strictes les régissant en matière de gouvernance, de supervision ou d’investissement font de ces instruments un placement moderne et de qualité. Ils répondent aux besoins de certains investisseurs en termes de placement à long terme, adossé à des actifs immobiliers et basé sur des revenus locatifs. Ils offrent des avantages importants en termes de souplesse d’accès aux différents marchés de l’immobilier et de mutualisation des risques», explique Benchâaboun.
Du côté des entreprises, les OPCI devraient contribuer, selon le ministre, «au développement d’une offre suffisante et de qualité en matière d’immobilier locatif dans les domaines du commerce et des services, de l’industrie et de l’hôtellerie. L’OPCI devra servir également comme instrument pour la mobilisation de nouvelles ressources par les entreprises et la restructuration de leur situation financière».
Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), a, pour sa part, préféré se projeter dans un benchmark international. «Les OPCI ont d’abord été lancés aux États-Unis avec l’adoption du régime des REITS (Real Estate Investment Trusts), lesquels ont connu un essor considérable, atteignant en 2017 une capitalisation de 1.000 milliards de dollars, soit les deux tiers de la capitalisation mondiale des REITS», indique-t-elle.
En Europe, poursuit la présidente de l'AMMC, «ces instruments d’investissements en immobilier ont été développés plus récemment. La France a adopté le régime des SIIC (Sociétés d’investissement en immobilier cotées) en 2003, puis celui des OPCI en 2007. Dès son lancement, l’OPCI a connu une croissance extrêmement rapide, + 700 % entre 2014 et 2018».
Le Maroc est aujourd’hui le 38ème pays à mettre en place un régime pour les véhicules d’investissement immobilier, le 3ème en Afrique et le premier de la région.
Entretien avec Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux.
En coulisses, les opérateurs sont unanimes. Les banques seront le plus grand bénéficiaire des OPCI, du moins au départ. Cela leur permettra de «financiariser» rapidement leur bilan en transférant leurs biens immobiliers (sièges sociaux, bureaux des filiales, agences...) à des fonds immobiliers.
En contrepartie, les banques allègeront leurs bilans, les pressions sur leurs capitaux propres et disposeront de liquidités. Des plus-values seront engrangées dans la foulée lors de l'apport des biens, d'autant plus qu'elles sont exonérées jusqu'en 2020. L'impôt n'est payé qu'en cas de cession des parts obtenues en contrepartie, avec un abattement de 50%.
Le législateur a mis toutes les chances de son côté pour augmenter l'attrait des OPCI. Et bien que des zones d'ombre persistent, le cadre global est avantageux. Les OPCI sont neutres fiscalement. Ils ne payeront pas d'IS et ne feront aucune retenue à la source sur les dividendes ou intérêts perçus. Tout se fait au niveau de l'épargnant. Lorsqu'il s'agit d'une personne physique, le droit commun est appliqué avec une taxation de 15% sur les dividendes et 20% sur les plus-values. Les personnes morales bénéficieront pour leur part d'un abattement de 60% sur l'IS pour les dividendes perçus, alors que les plus-values de cession de part seront soumises à l'IS standard.
Pas moins de 14 sociétés de gestion cherchent à investir ce marché. Selon l'AMMC, 4 dossiers d'agrément sont déjà à l'étude et certains opérateurs devront dans la foulée annoncer leurs IPO. Selon nos informations, au moins deux des futurs OPCI chercheront à se faire coter les mois qui suivent leur démarrage, profitant de leur taille initiale. Outre ces IPO, les OPCI se positionneront en investisseurs sur les autres compartiments du marché des capitaux. Car ces organismes devront au minimum détenir 10% de leurs actifs en liquidités et instruments liquides, alors que le ventre mou du fonds peut être constitué d'actions de sociétés à prépondérance immobilière. Il s'agit notamment des foncières et autres immobilières cotées. Mais l'on imagine mal ces fonds, qui mettent en avant la sécurité et le rendement, se remplir d'actions immobilières considérées des plus risquées et de moins en moins rémunératrices.
Après le départ fictif donné le 11 juin, le départ réel est attendu vers la fin de l'été 2019 avec les premiers agréments des sociétés de gestion, alors qu'une deuxième circulaire de l'AMMC est attendue les semaines à venir. Par ailleurs, le ministre des Finances annonce que trois évaluateurs d'actifs ont reçu des agréments. Leur liste sera publiée au Bulletin officiel et leur rôle sera de valoriser les actifs, un rôle clé qui sera affiné avec la mise en place d'un référentiel des prix de l'immobilier pour le secteur. L'autre question épineuse est celle de la distribution. Car ces fonds, pour arriver au public, devront être commercialisés de la même manière que les OPCVM par exemple. Le réseau bancaire sera-t-il suffisamment outillé et formé pour le faire ?
Une autre question, plus technique, concerne la possibilité des gestionnaires d'actifs traditionnels d'investir en OPCI. Consultés, des gérants d'OPCVM disent être dans le flou pour le moment. Ils n'ont pas d'autorisation explicite pour placer leurs billes dans les fonds immobiliers. Ceux qui sont intéressés devront sans doute mettre à jour et faire valider leurs documents de référence auprès de l'AMMC. ◆
Les OPCI peuvent être classés en deux catégories. Les OPCI ouverts au grand public et les OPCI à règles de fonctionnement allégées (OPCI-RFA) réservés aux investisseurs qualifiés. Ils peuvent prendre deux formes juridiques : les PFI (Fonds de placement immobilier) et les SPI (Société de placement immobilier). Les FPI sont des copropriétés d'actifs sans personnalité morale, alors que la SPI est une société anonyme à capital variable. Les deux ont une taille minimale de 50 MDH (capital dans le cadre de la SPI, apport initial dans le cadre du FPI). Elles peuvent toutes les deux être cotées en Bourse.
Les OPCI auront la particularité de pouvoir lever des dettes de manière conséquente. Ceux ouverts au public pourront atteindre jusqu'à 40% de leurs sources de financement sous forme de dettes. Les fonds dédiés, ouverts à des investisseurs qualifiés, pourront montrer à 60%, avec le risque, en cas de dégradation de la valeur des biens, de détériorer fortement leur actif net et leurs valeurs liquidatives. Les dettes peuvent être obligataires, bancaires ou sous forme de compte courant d'associé. Les contrats de crédit-bail immobiliers sont également tolérés.