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Crowdfunding : que vaut le projet de loi ?

Crowdfunding : que vaut le projet de loi ?

 

- Le projet de loi régissant l’activité du crowdfunding au Maroc se caractérise par sa rigueur et le strict encadrement de cette activité.

- De nombreux défis (culturels, opérationnels, de gouvernance, etc.) devront être relevés pour assurer l’essor de ce mode de financement alternatif.

 

 

Après plusieurs années d’attente, d’études et de concertation, le Maroc va enfin se doter d’un cadre réglementaire pour le crowdfunding. Un projet de loi régissant les activités de financement collaboratif, élaboré par la direction du Trésor et des Finances extérieures (DTFE) relevant du ministère des Finances, a été déposé fin mars 2018 au Secrétariat général du gouvernement (SGG) pour consultation. Que vaut ce texte, et est-il susceptible de favoriser l’émergence de ce mode de financement, par ailleurs plébiscité dans le monde (voir encadré) ?

Les experts du crowdfunding que nous avons sollicités sont unanimes à dire que cette première mouture est sérieuse, «solide» et qu’elle cherche avant tout à maîtriser cette activité naissante, qui fait appel à l’épargne des citoyens. Il s’agit d’un cadre règlementaire strict, même si la tendance actuelle sur le marché mondial est plutôt d’aller vers plus de dérégulation.

Il faut dire que dans tous les pays qui ont souhaité encadrer ce mode de financement, la première démarche de structuration de cette activité est sensiblement la même, c’est-à-dire une démarche de régulation et un encadrement de l’activité assez strict, comme c’est le cas au Maroc.

 

D’abord instaurer la confiance

 

Une fois le marché plus mature, et avec un peu plus d’expérience, on constate une tendance à la dérégulation progressive de cette activité, comme c’est le cas en Turquie ou à Dubaï par exemple, où l’écosystème start-up et entrepreneurial est autrement plus développé. «L’approche marocaine qui consiste à maîtriser le cadre d’exercice est la bonne, surtout qu’il y a des enjeux très forts qui portent notamment sur la construction et l’établissement d’un climat de confiance», souligne Arnaud Pinier, co-fondateur et PDG de Happy Smala, une agence de conseil en finance alternative et en innovation fondée en 2014 à Rabat, pionnière du crowdfunding au Maroc.

La question de la confiance est en effet primordiale au démarrage de l’activité. «On ne peut pas se permettre, sur les premières années d’exercice de l’activité, qu’il y ait des cas de mauvais usage. Il est important de permettre l’émergence de cette économie de manière progressive et structurée», précise notre interlocuteur.

Cette prudence explique pourquoi le Maroc a fait le choix d’une double régulation du crowdfunding : à la fois par la Banque centrale pour les dons et les prêts et l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) pour les activités d’investissement en capital. Une configuration inédite dans le monde, faut-il préciser.

 

Quelle demande au Maroc ?

 

En réalité, la pertinence de ce projet de loi et son efficacité vont beaucoup dépendre de sa mise en application par circulaires. Celles-ci doivent notamment définir l’approche dérogative qui va être nécessaire, puisqu’il faut savoir qu’aujourd’hui toutes les diligences qui sont demandées aux plateformes sont quasiment les mêmes que celles qui s’appliquent à des acteurs du secteur financier ou à des acteurs du marché des capitaux en matière de reporting, de maîtrise des risques, etc.

L’autre interrogation qui se pose concerne le niveau de la demande au Maroc pour ce type de financement collaboratif. A ce stade, il est difficile de s’en faire une idée précise. On entre même un peu dans l’inconnu, selon Arnaud Pinier, «parce qu’on est sur des pratiques qui sont nouvelles, et la confiance qui est un élément déterminant n’existe pas aujourd’hui. Ce cadre législatif doit justement créer cette confiance».

L’une des problématiques qu’il faudra résoudre, concerne les habitudes de paiement des Marocains. Le paiement en ligne est certes en progression, mais demeure encore faible. «Tant qu’on n’aura pas des gens qui font des paiements en ligne sur des plateformes, ça sera compliqué d’avoir de grosses campagnes de crowdfunding», estime notre expert.

Deuxième élément à prendre en considération : les Marocains ne connaissent quasiment qu’un seul modèle de crowdfunding, qui est le modèle du don. «Aujourd’hui, il y a quelques belles campagnes de solidarité et ça fonctionne. Le problème est que le modèle du don est largement assimilé à de la charité», explique A. Pinier, qui est par ailleurs membre fondateur de la Crowdfunding Morocco Federation.

Tout l’enjeu sera donc de stimuler les volets prêt et investissement, autrement plus intéressants pour le financement des entrepreneurs, des entreprises et des start-up. Aujourd’hui, la partie «prêt» drive 70% du marché en Europe. Sur la région méditerranéenne, l’investissement représente 90% des volumes collectés par crowdfunding.

A priori, le marché marocain devrait donc se développer de manière substantielle sur ces deux volets, confirme le fondateur de Happy Smala : «Sur la partie entrepreneuriale, nous sommes en train de tester la prévente. Avec le e-commerce qui commence à se développer, on se dit que ça peut fonctionner. La perspective du marché parait être intéressante pour le Maroc. Il y a une plateforme de prêts en Jordanie qui commence à bien marcher et apporter une soupape de financement importante pour les TMPE et les start-up».

 

Lever les freins psychologiques

 

Mais encore une fois, insiste-t-il, il y a une incertitude sur la question de la confiance, mais aussi de la gouvernance et de l’asymétrie de l’information. Des freins psychologiques et culturels doivent également être levés.

«On accompagne 80% de projets en région Méditerranée sur le montage de projets crowdfunding, et on constate que pour ces porteurs de projets, il y a un enjeu psychologique, puisqu’ils ont l’impression de faire de la mendicité. Il y a une culture du financement des start-up qui est encore erratique. Certains entrepreneurs préfèrent attendre des subventions de fonds plutôt que d’aller chercher l’argent des clients et des investisseurs», explique A. Pinier.

C’est là l’une des conditions pour que le financement collaboratif au Maroc se développe et que les campagnes de collecte soient couronnées de succès : que le porteur de projets soit proactif. ■

 

 


La tendance au niveau mondial et les enjeux de la complexification

L’engouement pour le crowdfunding au niveau mondial ne se dément guère. Pas moins de 65 milliards de dollars de fonds ont été collectés l’année dernière via des plateformes de crowdfunding, dont 1 milliard de dollars rien qu’en France.

Les bad buzz et autres brebis galeuses qui auraient pu ternir son image ces dernières années, n’ont en réalité pas affecté l’activité ni altérer la confiance.

En 2017, le crowdfunding a même dépassé en fonds investis les ventures-capital. Les transactions en valeur devraient connaître une croissance annuelle de l’ordre de 29% d’ici 2022.

Par ailleurs, toujours au niveau mondial, on constate deux tendances remarquables pour le crowdfunding : d’une part, la structuration du marché, et d’autre part sa complexification.

En effet, on constate un mouvement de consolidation du marché (concentration), étant donné qu’il s’agit d’une activité qui nécessite une masse critique pour être rentable. Cette consolidation se fait soit entre plateformes, soit entre plateformes et établissements bancaires (exemple du rachat par le groupe bancaire Banque Postale de la plateforme de financement participatif KissKissBankBank & Co. en juin 2017 en France).

L’autre tendance remarquable au niveau mondial est que le crowdfunding se complexifie, à l’image de l’ensemble des activités financières depuis une trentaine d’années.

Cette complexification a un double effet : à la fois sur les individus qui ont une visibilité de plus en plus réduite sur la nature des produits financiers qu’on leur offre, et sur certains banquiers qui en profitent pour créer des produits de spéculation.

Aujourd’hui, il existe des produits financiers qui se développent autour du crowdfunding, notamment des produits assimilables aux fameux Credit Default Swap (CDS). «Ma crainte est que cela soit le ver dans la pomme», souligne A. Pinier. C’est un point de vigilance qu'il faudra suivre de près. ■


 

 

Par A. Elkadiri

 

 

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