En 2024, 99,3% des défaillances ont touché des TPE. Cela en dit long sur l’attention encore insuffisante portée à ces petites structures qui constituent plus de 98% du tissu entrepreneurial marocain.
Elles sont partout, mais on ne les voit pas assez. Elles forment 98,4% des entreprises formelles, assurent 56% des emplois privés déclarés et représentent 86,7% des entreprises de personnes morales. Elles, ce sont les micro, très petites et petites entreprises, censées constituer le nerf de la transformation économique du Maroc. Sauf qu’un nerf, pour fonctionner, doit être bien irrigué. Ce qui est loin d’être le cas.
La statistique la plus révélatrice tient en un pourcentage qui doit faire réfléchir : 0,2% des microentreprises ont réussi à devenir TPE ou PE entre 2017 et 2022. Autrement dit, la progression entrepreneuriale existe, mais vraiment à peine. Dans l’autre sens, la chute est plus fréquente : 4,7% des TPE redeviennent microentreprises et 3,5% des PE régressent. L’ascenseur monte rarement, par contre il redescend très bien.
Et que dire des défaillances ? 15.658 entreprises ont disparu en 2024, dont 99,3% étaient des TPE, souvent âgées de moins de cinq ans. C’est dire que lorsque l’économie éternue, ce sont les petites structures qui chopent la grippe.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) le rappelle clairement : cette fragilité n’est pas un mystère. Beaucoup de dirigeants sont des entrepreneurs «par nécessité»; plus de 20% n’ont jamais été scolarisés; moins de 15% disposent d’un diplôme universitaire ou professionnel; et la qualité du management se situe à 32 points seulement dans les benchmarks internationaux, loin des 49 points enregistrés dans les pays de revenu comparable.
Côté financement, les progrès sont réels mais l’accès reste un chemin étroit. A peine 5% des entrepreneurs de subsistance sollicitent un crédit bancaire. Et même quand ils frappent à la porte, celle-ci s’ouvre environ une fois sur deux : le taux de refus atteint 40% en 2023. Et au final, 73% de l’encours total des crédits va aux entreprises de plus de dix ans.
A tout cela s’ajoute un environnement qui complique la tâche.
Les délais de paiement ? 137 jours en moyenne.
La corruption ? 68% des entreprises la jugent «répandue ou très répandue».
La concurrence de l’informel ? Le premier frein cité dans les enquêtes de terrain.
L’accès à la commande publique ? Seules 8% des TPE et 4% des microentreprises soumissionnent.
L’export ? A peine 13,7% exportent au moins 10% de leur production.
Une force silencieuse, mais…
Le diagnostic fait par le CESE est solide. Les programmes existent, notamment Intelaka, la Charte de l’investissement, les mécanismes de garantie, la digitalisation des procédures, ou encore les CRI rénovés… Mais tout cela manque encore de cohérence, d’articulation et parfois de simplicité. L’offre de soutien ressemble au panier de la ménagère : il est bien garni, mais jamais avec l’ingrédient qu’il faut au moment où il faut.
Alors, les micro/TPE/PE finissent par bricoler avec les moyens du bord. Certaines s’en sortent, beaucoup stagnent et trop disparaissent.
C’est pourquoi le CESE propose de remettre de l’ordre dans tout ça. Et préconise de regrouper les dispositifs dans un Small Business Act, déployer une stratégie territoriale, professionnaliser l’accompagnement, améliorer l’accès au financement selon la taille, renforcer le capital humain, sécuriser les délais de paiement, lutter vraiment contre les pratiques déloyales et adapter la fiscalité pour éviter d’effrayer les petites structures au moment précis où elles envisagent de grandir.
Un Small Business Act qui a tout son sens quand on sait que les micro/TPE/PE restent un formidable levier de développement territorial. Elles absorbent le choc du chômage et créent de la richesse sociale là où les grandes entreprises ne vont jamais, notamment au cœur des quartiers, des villages et des petites villes. Elles innovent modestement mais réellement et incarnent l’esprit d’initiative marocain. En clair, l’économie nationale ne peut tout simplement pas se permettre de les laisser au bord de la route.
En définitive, si les micro/TPE/PE produisent «seulement» 20,1% de la valeur ajoutée des entreprises morales, c’est juste parce qu’elles manquent de souffle. Et pour qu’elles en aient, il faut les aider à consolider la place qu’elles occupent déjà dans l’économie. Car elles sont petites uniquement par la taille, mais grandes par leur
impact socioéconomique.
F. Ouriaghli